L’énergie représente une part importante des coûts de production, notamment dans certains secteurs industriels comme la cimenterie, la mine et l’agro-alimentaire. L’efficacité énergétique représente donc l’un des meilleurs moyens pour une entreprise d’accroître ses bénéfices et d’être plus compétitive. Dans ce contexte, l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE) travaille avec les pouvoirs publics et plusieurs partenaires à l’international sur plusieurs programmes à destination des secteurs énergivores tels que l’industrie qui représente à elle seule 21% de la consommation énergétique finale. Saïd Mouline, directeur général de l’AMEE, explique dans cette interview, les enjeux des énergies renouvelables pour les entreprises et revient sur le rôle de l’agence pour favoriser la transition énergétique. Aussi, le DG de l’agence insiste sur la nécessité de l’audit énergétique et la mise en œuvre au sein de l’entreprise d’un système de management de l’énergie.
«Les économies d’énergie peuvent atteindre jusqu’à 25%»
Al Bayane : Quel bilan, faites-vous, de la transition énergétique au Maroc?
Saïd Mouline : Au Maroc, dès Mars 2009, lors des Assises de l’Énergie, la lettre Royale a donné priorité aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique dans la politique énergétique. Le Maroc s’est fixé comme objectif de devenir l’un des acteurs majeurs de la transition énergétique dans le monde et plus particulièrement sur le continent africain. L’objectif à l’horizon 2030 c’est que les énergies renouvelables atteignent 52% de la capacité électrique et en termes d’efficacité énergétique, que la consommation énergétique soit réduite de 20%. Le Maroc tend à sécuriser son approvisionnement énergétique avec le développement de ses propres ressources énergétiques, accessibles et durables.
Ce positionnement est traduit par le lancement de programmes structurants dans les secteurs des énergies renouvelables, du gaz et de l’efficacité énergétique. En agissant sur l’offre et la demande, le Maroc entend se positionner sur cet axe en consolidant son mix énergétique dans un environnement où notre pays est en plein développement et où le prix de l’énergie est en constante augmentation.
Le prestigieux Prix du Visionnaire en Efficacité Énergétique (Energy Efficiency Visionary Award) attribué à sa Majesté le Roi Mohammed VI à Washington, consacre la pertinence et la pro-activité de l’approche Royale qui érige le Maroc en modèle en matière de transition énergétique à l’échelle régionale et internationale.
Quelles sont les actions majeures de l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE) pour favoriser cette transition?
L’efficacité énergétique repose sur de nombreux piliers, essentiellement la réglementation, la normalisation, le développement de programmes, l’assistance technique, le changement de comportements et le renforcement des capacités. C’est l’AMEE qui s’est vu attribuer ces missions pour piloter et mettre en œuvre toute la stratégie dans ce secteur.
Dès sa création, l’AMEE ex ADEREE a lancé au début de l’année 2013 les États Généraux de l’Efficacité Énergétique dans un débat national participatif, qui a abouti à l’élaboration d’une stratégie nationale d’efficacité énergétique à l’horizon 2030 accompagnée de plans d’actions détaillés. Tous les secteurs concernés ont été étudiés : le bâtiment, l’éclairage public, l’industrie, le transport, l’agriculture et la pêche. L’objectif étant de réaliser d’abord un benchmark, de partager l’état des lieux de l’efficacité énergétique au Maroc pour produire ensuite une liste de mesures, programmes nationaux et projets capables de générer un environnement favorable pour le développement durable de l’efficacité énergétique au Maroc et la création d’emplois verts.
Un plan d’action est actuellement en cours de déploiement, notamment au niveau de la mise en œuvre de nouveaux programmes nationaux d’efficacité énergétique dans ces secteurs, dans leur volet législatif, qualitatif, financier, de renforcement des capacités nationales et de sensibilisation grand public à même d’atteindre les économies d’énergies tracées. Tous les secteurs sont concernés : le bâtiment à travers le déploiement de la nouvelle règlementation sur l’efficacité énergétique dans la construction, l’industrie avec les projets d’audit énergétique et de mise en place de systèmes de management de l’énergie, le transport avec la promotion du transport collectif et le développement des moyens de transport propres et efficients, l’agriculture et la pêche avec les projets de pompage solaire et d’audits énergétiques, etc.
Ces programmes sont accompagnés d’actions de communication, de formation et d’amélioration de la qualité des équipements énergétiques mis sur le marché national.
Une approche régionale a aussi été adoptée, notamment par le programme Jihatinou de l’AMEE qui cible les villes et régions du Maroc.
Avez-vous signé des partenariats dans ce sillage ? Si oui, quels sont vos partenaires?
La coopération nationale et internationale reste l’un des principaux piliers de la mise en œuvre de la stratégie nationale d’efficacité énergétique. Elle est toujours considérée par notre agence comme un moyen d’ouverture sur son environnement extérieur, ainsi que d’échange et d’interaction avec ses partenaires nationaux, régionaux et internationaux, pour réussir la mise en œuvre sur le terrain des programmes d’efficacité énergétique, mais aussi pour bénéficier du transfert du savoir-faire international en matière de technologies pointues dans les secteurs de l’industrie, du transport, du bâtiment ou de l’éclairage public.
Cela passe donc par la réalisation de programmes communs, ainsi que par le développement de plateformes d’échanges et d’expertises dans les domaines d’intérêt commun pour la promotion de l’efficacité énergétique et la contribution à la protection de l’environnement. L’AMEE collabore dans ce cadre avec une quinzaine de pays de notre continent, et plusieurs dizaines d’organismes nationaux comme les ministères, les banques, les régions, les villes, les opérateurs publics, et les ONGs, en plus des principaux acteurs de la coopération internationale (Union Européenne, Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement …)
Pourquoi les entreprises doivent-elles absolument investir dans l’efficacité énergétique?
Le secteur industriel représente plus de 21% de la consommation énergétique finale. L’efficacité énergétique dans ce secteur est donc l’un des principaux leviers pour la maîtrise des coûts, la compétitivité des sociétés et la satisfaction des objectifs économiques et environnementaux. Je rappelle que l’énergie représente une part importante des coûts de production, notamment dans certains secteurs industriels comme la cimenterie, la mine et l’agro-alimentaire.
L’efficacité énergétique représente donc l’un des meilleurs moyens pour une entreprise d’accroître ses bénéfices et d’être plus compétitive. L’audit énergétique et la mise en œuvre au sein de l’entreprise d’un système de management de l’énergie sont les principaux outils nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction des coûts. Des dispositifs d’incitation financière avec un accompagnement technique et une contribution financière aux investissements sont disponibles aujourd’hui au niveau de plusieurs banques nationales. Les industriels ont donc tout intérêt à investir dans ces actions.
Existe -t-il une recette magique pour y parvenir?
Il faut que l’engagement de l’industriel soit au plus haut niveau de l’entreprise. C’est avec cet engagement doublé de la mise en place d’un système de management de l’’énergie comme l’ISO 50001 que l’entreprise peut réaliser dans un processus d’amélioration continue, des économies d’énergie et réduire sa consommation pour en faire un meilleur usage. Les investisseurs et les consommateurs sont souvent mal ou pas suffisamment informés sur l’existence et le potentiel d’efficacité énergétique ainsi que sur l’évolution des technologies d’économie d’énergie. Il faut noter qu’il devient plus facile pour un organisme, d’intégrer le management de l’énergie à l’ensemble des mesures qu’il met en œuvre pour améliorer son management global de la qualité.
Concrètement, comment l’AMEE accompagne-t-elle les entreprises dans la mise en place des systèmes d’efficacité énergétique?
Nous avons travaillé en amont avec la mise en place d’une cartographie des secteurs industriels énergivores et l’identification des principales mesures d’économie d’énergie. Cette action nous a permis de cerner les principaux avantages, mesures et pistes d’amélioration visant à généraliser l’audit énergétique et évaluer l’économie d’énergie engendrée.
Dans cette optique, l’AMEE a mené plusieurs actions et campagnes de sensibilisation au profit de centaines d’industriels de différentes régions du Maroc sur l’importance de mener à terme les principales mesures d’économie d’énergie dans l’entreprise, notamment celles dont le temps de retour est inférieur à 2 ans. L’AMEE a aussi lancé trois nouveaux projets relatifs à la labellisation de certains équipements industriels, ainsi qu’un programme de définition des performances énergétiques minimales et d’étiquetage des équipements électriques industriels comme les transformateurs et les moteurs électriques. Ces mesures aideront les PME à baisser leur facture énergétique et à être plus compétitives.
Qu’est-ce qui vous frappe dans les résultats?
Un engagement et une réactivité très remarquable des principaux acteurs du secteur. Un effort important de normalisation, de formation et de sensibilisation des industriels reste néanmoins nécessaire pour atteindre toutes les entreprises, quels que soient leur taille et secteur à travers tout le Maroc. L’industrie de la construction, de l’agro-alimentaire et de la chimie représente un fort potentiel à exploiter et les expériences nationales et internationales ont montré que les résultats sont là avec des économies d’énergie globales et importantes qui peuvent atteindre jusqu’à 25%. Ces mesures sont évidemment accompagnées par la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’origine industrielle.
Quel est le coût de l’efficacité énergétique pour une entreprise ?
Les audits énergétiques, réalisés jusqu’à maintenant au Maroc et par l’AMEE, ont montré qu’il existe un potentiel d’économie d’énergie très important dans les unités industrielles. Dans ce sens, une économie moyenne de plus de 15% est possible dans ce secteur. Toutefois, un certain nombre d’obstacles empêche jusqu’à présent l’investissement à grande échelle dans l’efficacité énergétique, même si 50% de ces projets d’investissements ne nécessitent aucun investissement ou ont un temps de retour sur investissement très court. Notre expérience montre également que les meilleurs résultats ont été obtenus par les entreprises dont le top management soutient ce genre d’initiatives.
Quels sont, pour vous, les priorités et leviers d’actions immédiats?
Troisième secteur énergivore, l’industrie représente à terme un gisement potentiel d’économies considérables, estimé à 17% à horizon 2030, soit 1,2 Mtep. Dans ce sens, les mesures d’économie d’énergie proposées par l’AMEE recommandent notamment la réalisation d’audits énergétiques systématiques par chaque entreprise, la mise en place de normes obligatoires de performance énergétiques minimales des appareils électriques et des process, ainsi que la généralisation des systèmes de management de l’énergie.
Enfin, pensez-vous à contribuer à l’accélération de la transition énergétique en Afrique?
Les grands projets structurants, qui sont actuellement menés avec les pays du continent, sont principalement orientés vers la gestion de l’offre. La maitrise de la demande « DSM ou Demand-Side Management » reste l’une des principaux outils qui complètent cette stratégie, avec la réalisation de programmes qui sensibilisent les consommateurs au gaspillage énergétique, en recourant aux technologies économes en énergie ou en priorisant les équipements les plus performants et la gestion globale de l‘énergie. Sur une facture pétrolière de plusieurs dizaines de milliards de dirhams, économiser 20% d’une manière cumulative au niveau de tous les secteurs représente plusieurs milliards de DH économisés par an, soit la construction de plusieurs centrales de production d’énergie. On réduit ainsi la consommation et l’importation de pétrole, de gaz et l’émission des gaz à effet de serre. Ces mesures représentent donc une opportunité énorme pour le budget de l’État tout en améliorant la productivité et la compétitivité nationale des industriels.
Nous avons la chance d’être dans un continent qui est en plein développement économique et social, et l’Efficacité Énergétique est encore plus intéressante à intégrer depuis le départ dans tous les projets d’infrastructures, puisque cela va permettre d’optimiser les coûts et éviter la construction de nouvelles centrales de production d’électricité.
Kaoutar Khennach