L’écrivaine et femme politique belge d’origine marocaine Fatiha Saidi a présenté, jeudi soir à Bruxelles, son livre-témoignage « Les fourmis prédatrices ou l’itinéraire d’un expulsé d’Algérie ».
Lors d’une rencontre organisée à l’initiative de l’ambassade du Maroc en Belgique et la Maison des cultures maroco-flamande « DARNA », l’ancienne sénatrice belge, elle-même petite fille de Marocains expulsés d’Algérie, a partagé avec l’assistance son récit du drame vécu par Mohamed Moulay auquel elle donne la parole pour raconter son histoire, et à travers lui, celle de milliers de Marocains renvoyés manu militari du sol algérien en décembre 1975, laissant derrière eux leurs familles et leurs biens.
Dans un échange avec la journaliste et romancière Nadia Dala qui a animé la rencontre en présence notamment de l’ambassadeur du Maroc en Belgique et au Grand Duché du Luxembourg, Mohamed Ameur, Fatiha Saidi est revenue sur l’historique de ces expulsions massives que le gouvernement algérien de l’époque avait voulu être une «Marche noire», un acte politique de vengeance en riposte au succès de la «Marche verte» initiée par le Maroc pour recouvrer pacifiquement ses provinces du Sud.
C’est à cette vague d’expulsions arbitraires et sans préavis que Fatiha Saidi fait allusion dans le titre de son ouvrage « Fourmis prédatrices », l’écrivaine faisant référence aux fourgons verts et blancs s’activant comme des fourmis prédatrices et ramassent avec frénésie, que ce soit en rue, dans les écoles, les usines, les chantiers, les commerces et les maisons, les Marocains installés en Algérie.
Dans ce roman autobiographique, basé sur des témoignages minutieusement vérifiés, elle retrace l’itinéraire de Mohamed Moulay depuis son enfance, au moment de son expulsion, jusqu’à la reconstruction, dans une tentative de restituer fidèlement cette tragédie, l’histoire de « milliers de vies brisées, de familles séparées ».
Il s’agit d’ »un devoir de mémoire » envers les victimes et leurs familles, en particulier les petits enfants qui, comme l’auteur, en quête d’identité, veulent connaître l’histoire de leurs grands-parents, leur souffrance et leurs durs parcours de reconstruction dans leurs pays d’origine, le Maroc, où ailleurs, après avoir tout perdu en Algérie.
Il lui a fallu deux ans pour écrire ce livre par lequel elle voulait aussi rendre hommage à ses propres grands-parents en y intégrant une rencontre fictive entre ceux-ci et le protagoniste.
« C’est la seule fiction dans le roman », a précisé Fatiha Saidi. Le récit est truffé, par ailleurs, d’anecdotes, les victimes en général ayant tendance, explique-t-elle, à prendre distance avec les épisodes douloureux de leur vie, trouvant refuge dans le rire, voire l’autodérision.
Elle a partagé, à cet égard, avec l’assistance le souvenir de sa grand-mère qui lorsqu’on lui avait demandé ce qu’elle regrettait le plus en Algérie, n’hésitait pas à répondre que c’était le fait qu’elle n’a jamais pu déguster le tagine qu’elle avait laissé mijoter sur feu doux, croyant alors qu’elle n’allait pas tarder à rentrer chez-elle à l’issue d’un contrôle de routine avant d’être surprise, comme des milliers d’autres victimes, de faire l’objet d’expulsion immédiate.
Ce jour qui devait être un jour de fête (l’Aid El Kebir) a été alors un jour de deuil pour les milliers de personnes qui, comme elle, avaient été contraints de quitter le pays où elles avaient vécu des dizaines d’années (plus de 40 ans pour le cas de sa grand-mère) en parfaite fraternité et harmonie avec les Algériens, relate l’écrivaine qui estime que la douleur de la séparation aurait été encore plus prononcée chez les couples mixtes.
Son ouvrage n’est nullement motivé par un souci de vengeance ni de haine, mais s’inscrit plutôt dans une démarche visant à faire connaître une page de l’histoire méconnue aussi bien des Marocains que des Algériens, dont les liens de fraternité sont solides, a-t-elle tenu à préciser, faisant remarquer qu’aujourd’hui plusieurs Algériens se disent scandalisés par ces expulsions inhumaines et dégradantes, d’autant plus que le Royaume n’avait pas répondu par des mesures de rétorsion à l’encontre de la communauté algérienne établie sur son sol. En introduction de la rencontre, la romancière Nadia Dala s’est dite touchée aussi bien par le style littéraire du roman que par la dimension humaine du récit, un témoignage poignant qui lève le voile sur « une tragédie, un traumatisme que des générations ont vécus ».
« C’est important d’en parler pour pouvoir aller de l’avant, rafraichir la mémoire collective et guérir cette plaie qui est toujours ouverte », a-t-elle dit en soulignant l’effet thérapeutique du roman.
Fatiha Saidi qui s’était inspirée de l’ouvrage de Mohamed Charfaoui « la Marche noire », un premier témoignage du drame des milliers de familles marocaines expulsées d’Algérie, avait déposé en janvier 2012 une proposition de résolution au Sénat belge sur l’expulsion arbitraire en 1975 de milliers de marocains établis en toute légalité sur le territoire algérien.
Si cette proposition n’a pas abouti, « sous la pression de l’Algérie », elle a eu au moins le mérite de lancer un débat à travers l’organisation au Sénat d’un colloque où experts marocains et européens avaient été unanimes à souligner que cette expulsion constitue une violation flagrante des droits de l’Homme et du droit international eu égard aux très graves exactions commises par les autorités algériennes à l’encontre des milliers de Marocains qui ont été conduits manu-militari à la frontière marocaine après avoir été dépossédés de tous leurs biens, rappelle-t-on. Fatiha Saidi est une Belge d’origine marocaine. Née à Oran, elle vit en Belgique depuis l’âge de 5 ans. Petite fille de Marocains expulsés d’Algérie, elle est ancienne députée bruxelloise et ancienne membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et membre honoraire du Sénat.
Actuellement, elle est adjointe au Maire de la commune bruxelloise d’Evere. Mohamed Moulay dont elle raconte le témoignage est un fonctionnaire retraité du ministère de la Jeunesse et des Sports. Né à Ançor à Oran, il vit depuis 1975 au Maroc.