Entretien avec Dr Omar El Amrani El Mrini, Vétérinaire sanitaire
Propos recueillis par Fairouz EL Mouden
La production d’œufs de consommation dans le monde et au Maroc particulièrement requiert des mesures sanitaires et bio sécuritaires très strictes. La spécificité de l’élevage des poules pondeuses et l’étendue des systèmes d’élevage intensifs favorisent la diffusion et la transmission rapide des maladies et virus d’une ferme à l’autre. Dr Omar EL Amrani El Mrini, vétérinaire sanitaire, conseiller technique auprès de l’Association nationale des producteurs d’œufs de consommation (ANPO) et membre de la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole (Fisa), se dit confiant quant à la rigueur des circuits de contrôle de toute la chaine de production des œufs de consommation. Dans cet entretien, il précise, entre autres, que pour garantir la qualité de l’œuf, il est nécessaire que l’espace de vie de la poule pondeuse soit totalement réglementé et que le carnet de santé soit exhaustif….
Al Bayane : La production de l’œuf nécessite-elle des conditions sanitaires spéciales?
Dr El Amrani : Bien entendu, toute l’aviculture à travers le monde et le Maroc, en l’occurrence et plus particulièrement, la production d’œufs contrôlée requiert des mesures sanitaires et bio sécuritaires très strictes compte tenu du caractère contagieux des principales maladies aviaires et l’étendue des systèmes d’élevages intensifs abritant de larges populations élevées dans un ou plusieurs bâtiments d’élevage et une ou plusieurs fermes. Bien qu’éloignées les unes des autres en application des prérogatives réglementaires (loi 49/99, décret et arrêtés d’application), celles-ci resteraient assez confluentes et favorables à la diffusion rapide de maladies aviaires d’un élevage à un autre et d’une région à une autre. Ce schéma suscite l’adoption de mesures sanitaires et bio sécuritaires draconiennes tant structurelles qu’opérationnelles derrière lesquelles il y’a un grand engagement de moyens et de personnes qualifiées pour en assurer l’application adéquate.
Quels sont à votre avis, les contrôles préalables nécessaires pour garantir une bonne qualité de l’œuf ?
La qualité de toute denrée alimentaire dépend principalement de deux éléments, de sa salubrité à travers toute la chaine de production et de la distribution jusqu’au consommateur final (de l’étable à la table et de la fourche à la fourchette) et aussi, ses propriétés nutritionnelles et leur équilibre dans la ration quotidienne selon les différents âges et les catégories de consommateurs (bébés, jeunes, adultes en bonne santé et/ou souffrant d’une quelconque maladie).
Pour garantir une bonne qualité de l’œuf, il est nécessaire et c’est préalablement bien tenu en compte par les éleveurs de poules pondeuses notamment au Maroc , de veiller à l’établissement de fermes conformes aux normes internationales dotées de tout confort pour les poules pondeuses y habitant, un espace vie réglementé (au moins 420 cm2 par poule logée, une ambiance contrôlée en O2, CO2, ammoniaque NH3 (climatisation, chauffage, renouvellement d’air régulier), une alimentation équilibrée et contrôlée pour l’absence ou au plus une faible teneur tolérée par la réglementation pour les pesticides, herbicides, Mycotoxines, OGM, absence d’usage de toute hormone, un carnet de santé exhaustif contre toutes les maladies virales, bactériennes et parasitaires connues de l’espèce poule avec application de programmes de prophylaxie rigoureux par les vétérinaires spécialisés, une désinfection permanente des sites d’élevage utilisant des biocides autorisés par l’ONSSA et un strict respect des délais d’attente en matière d’usage occasionnel de médicaments, notamment les antibiotiques. Pour ce point précis, il est nécessaire de souligner qu’il est strictement interdit par la loi d’utiliser des antibiotiques chez les poules pondeuses dont les œufs sont destinés à la consommation humaine sauf 2 antibiotiques dont le délai d’attente œuf est testé et autorisé à 24 heures. La supervision sanitaire vétérinaire continue est garantie par une convention d’encadrement sanitaire obligatoire pour l’exercice de l’activité avicole. Celle-ci stipule l’observation stricte et le contrôle par les vétérinaires et les éleveurs de la réglementation sanitaire et bio sécuritaire régissant le secteur (loi 49/99) et ce, au niveau des différents petits détails près (programmes de contrôle utilisant des techniques d’analyse de laboratoires normalisées très performantes).
Au-delà, il faut assurer un bon stockage et une distribution dans des conditions sanitaires adéquates.
Qu’en est-il de la production de l’œuf Beldi et quels sont aussi les risques liés à la consommation de ce produit jugé rapidement périssable?
Le Maroc produit environ 800 millions d’œufs beldi et fût historiquement grand exportateur de cette catégorie d’œufs pour l’Espagne et la France pendant le colonialisme. Il s’agit d’une production traditionnelle avec ses avantages et inconvénients. L’œuf beldi possède des propriétés nutritives similaires à celles des œufs produits en système contrôlé à quelques différences près en relation avec l’alimentation (plus de vert au pâturage chargé de chlorophylle, responsable de la coloration plus jaunâtre du jaune d’œuf Beldi) et le système d’élevage en liberté favorisant un métabolisme plus oxygéné, responsable de la couleur plus foncée de la viande du poulet beldi. Par contre, le poulet Beldi a une alimentation non équilibrée et parfois douteuse. Il mange souvent n’importe quoi et reste prédisposé aux déchets ménagers, poubelles, verres de terre, insectes… etc. A cela s’ajoute le fait que les œufs Beldi sont pondus au sol, dans des endroits non protégés des souillures, sous la chaleur de saison et sans protection contre les effets mécaniques et chimiques environnementaux. Cela expliquerait en partie la réduction de sa durée de salubrité comparé aux œufs roux produits en système intensif.
A votre avis, quelle est la durée de vie d’un œuf ? Les conditions de stockage peuvent-elles changer la vie de l’œuf?
Un œuf dispose déjà d’une protection naturelle, à savoir sa coquille. Sa durée de vie dépend de plusieurs facteurs, notamment la température extérieure, l’intégrité de sa coquille et l’environnement de son stockage. La coquille des œufs constitue à elle seule une barrière biologique naturelle garantissant à cette denrée une préservation de toute contamination extérieure. Un œuf est qualifié extra frais jusqu’à 9 jours d’âge dans un endroit sec et frais. Cette durée peut être prolongée jusqu’à 6 semaines dans un réfrigérateur à +4°C voire plus de 6 mois dans la chaux ou le sable frais.
L’œuf issu d’une ferme de volaille atteinte du virus de l’influenza aviaire est-il affecté par le même virus?
Il y a lieu de préciser qu’il existe une classification mondiale des virus de l’influenza aviaire en deux catégories. Les virus dit hautement pathogènes type H5 et H7 qui sont capables de tuer une poule en 24 heures. Son œuf alors n’est même pas pondu pour être servi au consommateur. Ces virus n’ont jamais touché le Maroc et il y a un arsenal juridique et sanitaire conséquent pour prévenir leur introduction au pays. Puis, les virus dits faiblement pathogènes spécifiques à la volaille genre H9N2 qui ont touché le Maroc depuis janvier 2016. Il est reconnu par toute la communauté mondiale scientifique que le virus de l’influenza aviaire n’est pas un virus à transmission verticale vraie et que la durée de son excrétion par des poules affectées ne dépasse pas plus de 5 à 12 jours. Ceci justifie qu’une poule atteinte du virus de l’influenza n’excrète pas le virus longtemps et que ce dernier n’est pas transmis dans l’œuf. Aussi, il est confirmé que les virus de l’influenza en général et ceux aviaires sont très fragiles dans le milieu extérieur et ne se transmettent pas par voie éolienne au-delà de 1 km. Tous les arguments restent favorables à la non contamination des œufs issus d’une ferme de volaille atteinte du virus de l’influenza aviaire.
De la production à la consommation en passant par le transport et le conditionnement, quels sont les contrôles nécessaires qui peuvent assurer la traçabilité de l’œuf et maintenir sa bonne qualité?
Les éléments de contrôle et de traçabilité au niveau de la production sont référés à la réponse de la question 2. A cela s’ajouteraient des mesures spécifiques à garantir les conditions sanitaires et techniques relatives au transport et conditionnement des œufs issus des fermes de production. Il s’agit de l’obligation d’agrément des moyens de transport des œufs de la ferme vers les centres de conditionnement des œufs et les magasins de semi gros. Les caisses bennes de camions sont étanches, faites de matériaux lavables et isothermes. La loi oblige le transport des œufs sous 15°C. Les camions de transport sont obligatoirement lavés et désinfectés avant et après chaque livraison au risque de faire l’objet d’une source de contamination croisée entre élevages au cas où il y aurait des risques de maladies contagieuses aviaires. L’ensemble de ces mesures sont gérées en observation des textes réglementaires régissant le transport de volailles et des œufs de consommation (arrêté spécifique du Ministère de l’agriculture).
La mission d’un vétérinaire s’arrête-elle à la ferme? Dans quelle mesure votre responsabilité est-elle engagée?
La mission du vétérinaire commence avant même l’établissement d’un quelconque projet avicole. Il délivre ses premiers conseils et appréciation depuis le choix du site d’implantation de l’élevage, participe à l’établissement des documents administratifs et techniques du projet et veille à l’autorisation réglementaire par les confrères de l’ONSSA conformément à la loi 49/99. Il assure l’obligation de l’encadrement et contrôle tout au long de la vie du projet. Il est considéré comme l’auxiliaire de l’ONSSA dans le contrôle des élevages avicoles et a l’obligation de rapporter à l’office toute anomalie et manquement constatés. Il participe à la formation des éleveurs et du personnel travaillant dans les élevages et contribue aux solutions nécessaires à garantir les conditions sanitaires et bio sécuritaires des élevages et produits en découlant.
Les médicaments injectés aux volailles ont-ils une incidence sur l’œuf et sur la santé du consommateur?
Les médicaments utilisés chez la volaille, notamment les poules pondeuses consistent souvent et plus de 95% en des vaccins vivants, inactivés ou recombinants rentrant dans le programme de prophylaxie garantissant les volailles contre les maladies contagieuses spécifiques de l’espèce. A cela s’ajoutent des compléments vitamines et oligoéléments nécessaires pour ajuster l’état de stress éventuellement généré par les opérations de vaccination. Ces produits sont totalement inoffensifs pour les poules et le consommateur des produits aviaires (œufs ou viandes blanches de volailles).
Compte tenu de l’excellente qualité des systèmes d’élevage intensifs des poules pondeuses, des conditions d’hygiène rigoureusement observées et des programmes de prophylaxie appliqués en élevage, il est rarement nécessaire de faire usage d’antibiotiques pour corriger une infection bactérienne diagnostiquée. Au quel cas, et ça arrive rarement, le choix des molécules à utiliser est sanctionné par des analyses de laboratoire affirmatives et une obligation d’observation des délais d’attente réglementaires pour éviter toute transmission de résidus dans les œufs destinés aux consommateurs. Les seuls produits autorisés à l’usage chez la poule pondeuse ont un délai d’attente de 24 heures.
Quels sont les principaux médicaments utilisés dans le traitement des différentes maladies de la volaille ? Et quels sont leurs effets sur la santé de l’Homme, si toutefois, la durée exigée entre la guérison et la consommation n’est pas respectée?
Les différentes catégories de médicaments utilisés chez la poule pondeuse sont, comme précisé, totalement inoffensifs pour le consommateur car ils sont appliqués en phase d’élevage des poules pondeuses bien loin de la période de production des œufs. Tout comme pour les bébés et enfants qui reçoivent l’essentiel des vaccinations au jeune âge.
D’autres médicaments ou compléments alimentaires tels les vitamines, minéraux et oligoéléments, sont complètement inoffensifs pour le consommateur. Bien au contraire, ils se retrouvent dans les produits avicoles notamment les œufs au profit du consommateur. Aujourd’hui, nous disposons à l’international de systèmes de production d’œufs enrichis par du sélénium, vitamine E, Oméga 3 EPA et DHA…etc.
Il n’existe pas d’anti inflammatoires stéroïdiens ou non stéroïdiens destinés à la volaille, hormis une seule spécialité pharmaceutique à base d’aspirine rarement utilisée.
Il est rarement fait usage d’antibiotique chez les poules pondeuses. Le choix des molécules à utiliser est sanctionné par des analyses de laboratoire affirmatives et une obligation d’observation des délais d’attentes réglementaires pour éviter toute transmission de résidus dans les œufs destinés aux consommateurs. Les seuls produits autorisés à l’usage chez la poule pondeuse en production sont les tétracyclines et ont un délai d’attente de 24 heures maximum. Ils sont souvent non choisis pour des raisons de non efficacité thérapeutique chez la volaille.
Si toutefois, il y a usage frauduleux d’un antibiotique chez la volaille, et au cas où il n’y a pas respect du délai d’attente requis par le fabriquant, des résidus d’antibiotique pourraient se retrouver dans l’œuf ou la viande de volaille et risquent d’être consommés. Cela pourrait générer une résistance à cet antibiotique chez le consommateur.
***
Quelques éléments indicatifs en rapport avec l’usage de l’oeuf
L’œuf est extra frais jusqu’à 9 jours après la ponte; et il est frais de 9 à 28 jours après la ponte.
Les modes de préparation culinaire en fonction de l’état de fraîcheur des œufs :
– 9 jours après la date de ponte, on peut utiliser l’œuf pour une mayonnaise, le faire à la coque, ou poché.
– Jusqu’au 14ème jour après la date de ponte : Frits, au plat.
– Jusqu’au 21ème jour après la date de ponte : En omelette.
– Jusqu’au 28ème jour après la date de ponte : Œuf dur, préparation cuite, pâtisserie cuite.