Entretien avec Dr Mohamed Dkhissi
Le Professeur Mohamed Dkhissi, chirurgien orthopédiste dans le privé, est un ancien enseignant à la Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca. Actuellement, il occupe le poste de trésorier de l’Association nationale des cliniques privées (ANCP).
A ce titre, nous l’avons sollicité pour jeter un faisceau de lumière sur ce qui se fait au niveau de la lutte contre la pandémie du covid-19. Entretien.
Al Bayane : Pr Dkhissi, vous avez décidé, en tant que secteur privé et ANCP, et avant d’être sollicité par le ministère de la Santé, de mettre les cliniques du privé à la disposition de la médecine publique pour renforcer la lutte contre la pandémie. Pourriez-vous nous parler de ce renforcement?
Pr Dkhissi : Au début du mois de mars et dès l’apparition du premier cas de coronavirus au Maroc, nous avons pris l’initiative et tenu, à notre demande, une réunion avec la déléguée du ministère de la Santé dans le grand Casablanca, Dr Rmili, afin d’exprimer notre volonté de contribuer à l’effort de guerre que le Maroc pourrait engager contre la pandémie.
Nous avons également exprimé notre disponibilité à mettre des cliniques et des lits de soins intensifs et de réanimation, à travers le Maroc, à la disposition du ministère de la Santé, pour, en cas de saturation, alléger la pression sur l’hôpital public.
Parallèlement, nous avons sensibilisé nos antennes régionales dans les grandes villes sur le même sujet et les avons incitées à prendre attache avec les autorités sanitaires locales pour la même fin.
A l’issue de notre première réunion, avec la responsable de la délégation de Casablanca, nous avons constitué une commission de travail mixte, public-privé, pour faire un suivi, pour parer à toute évolution de la situation épidémiologique. Dans ce cadre, nous avons tenu quelques réunions, sachant que, pour le moment, les autorités centrales estiment que les structures du public suffisent à contrôler la situation. Le seul besoin se posait en termes de matériel et de ressources médicales humaines, pour une préparation préventive d’une éventuelle propagation du virus. Des séances de formation ont été organisées pour le personnel médical et paramédical du secteur privé, pour être, en cas de besoin, fin-prêts à intervenir, aux côtés de la médecine publique et militaire, tout en évitant les risques de contagion du personnel soignant.
Parallèlement, l’ANCP a organisé une campagne de sensibilisation, en diffusant des dizaines de milliers d’affiches et de dépliants pour informer sur la maladie, collés dans les diverses administrations et lieux publics.
Quelle est la nature de la collaboration, aujourd’hui, du secteur médical du privé aux côtés de vos collègues du public ? Est-ce que vous serez appelés à vous mettre en première ligne dans cette guerre?
Tout en se préparant pour le combat contre la pandémie, l’ANCP a fourni aux autorités sanitaires des lits de réanimation et du matériel indispensable à la prise en charge des malades (respirateurs, scoops, seringues auto-pousseuses, moniteurs de surveillance…).
A Casablanca, nous avons fourni 20 lits de réanimation au nouvel hôpital de Sidi Moumen, qui doit prendre en charge les malades du covid-19.
Nous allons également équiper une aile à l’hôpital Moulay Youssef de Casablanca.
Par ailleurs et à l’heure actuelle, deux cliniques et une Fondation accueillent les malades covid-19 positifs. Les autres cliniques dirigent directement les cas suspects vers le CHU Ibn Rochd et à l’Hôpital Moulay Youssef, qui se trouvent en première ligne , avant de les diriger sur le CHU Ibn Rochd. Cette opération se passe sous la supervision des responsables mandatés par l’ANCP, en les personnes des docteurs Mohamed Benaguida et Moulay Ahmed Boudarka. Cette coordination se passe bien et dans la bonne intelligence.
D’autre part, dans le cadre de la préparation de l’hôpital de Hay Hassani de Casablanca pour accueillir des cas éventuels de maladie du coronavirus, l’ANCP a déjà mis à la disposition de l’Etat 2 à 3 cliniques pour y évacuer et accueillir les femmes enceinte. Elles seront admises, dans ces cliniques privées, à titre gracieux, que ce soit pour des opérations d’accouchement normal ou avec césarienne, avec prise en charge des nouveaux nés et des prématurés.
L’objectif est de permettre aux services de maternité et de gynécologie obstétrique de cet hôpital, y compris les services des prématurés et des couveuses, soient vidés et réservés au covid-19.
A Rabat, 4 cliniques sont déjà prêtes à accueillir des malades du covid-19, avec une clinique spécialisée pour les enfants et les nouveaux nés.
Que diriez-vous aux Marocaines et Marocains qui demandent s’il y aura une issue positive à cette pandémie? peut-on l’espérer dans combien de temps, une, deux, trois semaines ou plus…?
Je dirais, pour le moment «hamdoulah ». Ensuite, je tiens à les assurer que la situation n’est pas catastrophique, comme d’aucuns essaient de la présenter. Cependant les jours qui suivront seront déterminants pour le combat contre la pandémie. Tout dépendra du respect des règles de confinement et de distanciation sociale, surtout dans familles.
Il faudra dire que la situation est bien maîtrisée pour le moment et l’Etat fait le maximum pour parer au quotidien et son lot de cas confirmés.
Je n’en veux pour exemple que le fait qu’actuellement le CHU Ibn Rochd de Casablanca, qui est bien équipé, a une capacité litière de 120 lits, occupés seulement, valeur d’aujourd’hui, à hauteur d’une trentaine de réanimés.
Je tiens à signaler que de nombreux médecins et des soignants , notamment les plus jeunes aussi bien du public que du privé, qui font preuve d’abnégation et ne quittent les hôpitaux que pour aller dormir dans un hôtel , à proximité de l hôpital Ibn Rochd, mis à leur disposition, afin d’éviter, en cas de contamination, de propager le virus dans leurs familles.
Je pense, tout particulièrement à toutes ces blouses blanches, médecins, médecins internes, personnel paramédical, infirmiers, aides-soignants, personnel d’hygiène, brancardiers, ambulanciers qui lutte, au quotidien pour sauver des vies.
Aussi, il y aura, dès cette semaine, puisque la période d’isolement se situe autour d’un mois, une bonne augmentation du nombre de malades guéris, après la fin de la quarantaine et des soins intensifs dispensés aux premiers cas atteints du virus.
A propos, qu’en est-il des tests, quelle est la (les) procédure (s) suivie (s)?
Il faudra savoir que les tests sont faits dans les cas suivants : un malade suspect qui appelle la plateforme du 115 ou le 300, un malade dirigé par un cabinet médical ou une clinique du privé et soupçonné d’être porteur du virus (pour Casablanca, les laboratoires agréés sont ceux de l’Institut pasteur, du CHU Ibn Rochd, celui de l’Hôpital Moulay Youssef et le laboratoire de la Fondation Cheikh Khalifa). Le malade qui se présente aux services des urgences avec des symptômes du virus est également candidat au test.
Pour les cas qui appellent au téléphone, une voiture Covid-19 est chargée de les ramener de chez eux à l’hôpital.
Dans les cabinets et cliniques privés, des images thoraciques au scanner sont exécutées, systématiquement pour voir si le patient présente des lésions pulmonaires typiques, il est alors dirigé vers les urgences qui décident de l’opportunité d’un test.
Ce sont les urgences qui dirigent les patients vers les laboratoires agréés.
Le patient est gardé en isolement, en attendant le lendemain et les résultats du test. Si ce dernier est négatif, le patient est renvoyé chez lui avec des consignes d’isolement.
Et pour chaque cas positif détecté, ce sont tous ses contacts et les membres de sa famille qui passeront le test, et qui seront isolés, le temps d’une quinzaine (14 jours).
En attendant, que conseillez-vous à la population, à part les gestes barrières?
D’abord je leur demanderais de rester à la maison, surtout durant ces deux semaines (période de déclaration de la maladie du virus) et de ne sortir que pour une extrême urgence, avec l’apparition de niches familiales. C’est la période la plus dangereuse.
Deuxièmement, de porter, obligatoirement, un masque de protection, de préférence chirurgical mais, à défaut, un masque artisanal peut protéger, en cas de sortie pour urgence. J’insiste énormément sur le port du masque ! Il est salvateur!
Car, le virus se transmet par les aérosols (en expirant et en parlant). Il faudra savoir aussi que les porteurs sains ou en incubation n’éternuent pas et ne toussent pas, mais ils contaminent l’entourage ! Il faut donc encourager tout le monde au port du masque et leur expliquer comment le porter. Et de l’importance du maintien de la distance de sécurité, malgré le port du masque.
Troisièmement, si l’Etat et le corps soignant sont fortement engagés, c’est autour de la population d’être responsable et de respecter les règles du confinement et des gestes-barrière.
Dernier conseil : les personnes âgées et celles à risque (diabétiques, obèses, insuffisants respiratoires et cardiaques) doivent respecter, coûte que coûte, la distanciation sociale et le confinement, appelé à être prolongé pour quelques semaines.
Propos recueillis par Mohamed Khalil