Abdelwahab Meddeb: de la philosophie soufie

Abdelouahed Hajji

Comment faire découvrir au lecteur un pan de la culture musulmane sans le fixer au passé ? C’est le pari gagné par Abdelwahab Meddeb. Sa pensée est l’héritière de l’héritage soufi, exprimant la volonté d’affirmer un monde ouvert et harmonieux. Son but ultime consiste à créer un dialogue entre les générations et de là, il essaie de diffuser la thèse selon laquelle l’Islam n’est pas est un simple dogme, il  est la civilisation ce qui permet de l’ouvrir aux grandes questions de l’époque.

Le dialogue se crée dans la compréhension et le compromis. L’Islam n’est pas à appréhender dans le système de la pensée de Meddeb comme une loi, mais aussi comme une culture d’amour et de dialogue. Il est inéluctablement fort de souligner que le soufisme, comme raccourci vers Dieu, est l’un des visages de l’Islam modéré.  La mystique explique cette richesse infinie de la civilisation de l’Islam. Pour étayer sa thèse, le philosophe tunisien recourt aux maîtres soufis pour bien suggérer l’héritage intarissable du patrimoine musulman qui ne se réduit pas à un seul registre.

De l’exotérique à l’ésotérique, l’être arrive à saisir ses structures ontologiques, c’est-à-dire à se définir. C’est ce que les écrits d’Abdelwahab Meddeb essaient de nous enseigner. Ils sont une chanson d’amour et de reconnaissance profonde de la spécificité de l’autre.

L’aspect hybride et « impur » des écrits d’A. Meddeb est loin d’être fortuit. Il est le désir d’ouvrir le texte/la culture vers l’infini. Dans Phantasia, l’écrivain développe, amplement, l’idée de métissage non seulement entre les pensées, mais aussi entre les langues qui se trouvent en dialogue dans ce texte éclaté. Cet éclatement, nous semble-t-il,  constitue même l’originalité de l’écriture du poète philosophe qui cherche et se cherche dans un langage ésotérique.  Phantasia, en se référant à Al Kindi, désigne la présence de la chose en l’absence de sa matière.

Ibn Arabi semble le grand mystique qui revient massivement dans les écrits de Meddeb. Il est sa référence quotidienne.  En réalité, il se réfère à lui afin de perpétuer la tradition de la mystique; c’est dire cette tradition de l’ouverture et  de salut. C’est aussi la tradition de l’amour de l’être humain au-delà de son étiquette culturelle et religieuse.

L’écriture de A. Meddeb se propose de traduire ce bien immatériel de l’Islam. On peut parler chez lui de « Shath » traduit par les spécialistes du soufisme par «débord». La langue se trouve en échec lorsqu’elle veut traduire ce que le poète ressent. En vérité, elle ne peut pas contenir la voix divine, tout se passe comme s’il fallait chercher chercher un autre registre. Il suffit de voir le cas de Hallaj, grand soufi qui a annoncé un jour : «je suis le vrai/ la vérité». Ceci montre qu’il est entré en communication avec Dieu. Ce qui demande d’inventer un autre langage non profane.  C’est bien ce que Ibn Arabi nomme : le monisme existentiel.

Le soufisme est bien évidemment une logique qui peut dévoiler le côté lumineux de l’Islam qui n’est pas seulement un dogme mais aussi une religion d’amour loin des lectures littérales. Le soufisme pensons –nous peut déconstruire les stéréotypes reliés à l’Islam.

Si le monde moderne nous dégoûte à cause du manque de la spiritualité, le monde mystique nous permet, quant à lui, de supporter le «tragique de l’être». Il nous aide à vivre le quotidien comme aime dire A. Meddeb puisqu’il est un instant d’amour et de reconnaissance.

Cette écriture hermétique et plurielle, fondée sur la présence de toutes les traces, assure la continuité de cet héritage, disons-nous que le soufisme est bien cet espace de l’entre-deux. Abdelwahab Meddeb, écrit dans ce sens que : «Le seul lieu possible est celui de la dualité, de l’intervalle, de l’interstitiel».

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