Abderrassoul Lehdari : «Si Aziz nous a appris la méthode, la rigueur, la maîtrise du sujet et l’esprit critique»

Pour apprécier à sa juste mesure la personnalité de «Si Aziz» et son apport progressiste à la nation marocaine, il faudrait pouvoir parcourir tous les domaines qu’il a lui-même arpentés et investis par sa réflexion et sa praxis, en même temps qu’il les a marqués de son empreinte et de son action enseignement universitaire, investigation et études en matière de genèse du sous-développement et de stratégie du développement, analyse concrète de l’économie marocaine dans tous volets.

C’est une participation qui force l’admiration et représentation élogieuse des économies marocaines à de nombreux colloques, éditions d’ouvrages et de nombreux articles, direction de multiples recherches variées, militantisme exemplaire, une contribution par une réflexion engagée aux débats publics les plus épineux de notre monde contemporain, etc. …

Hauteur de vues très critiques

Autant dire donc que la tâche est immensément délicate, voire impossible. Aussi je me restreindrais ici à quelques éléments seulement de sa riche vie active et intellectuelle en insistant particulièrement sur deux aspects : la pensée alerte, la profondeur et la hauteur de ses vues très critiques que j’ai pu apprécier   «in vivo» avec les étudiants durant les années 1975-1977, expérience prolongée  en tant que collègue et directeur de ma recherche, et son comportement probe et imbu d’une modestie reconnue, connue et soulignée par tous.

Homme doté d’une vaste et polyvalente culture, capable de se mouvoir aisément du terrain de l’économique au politico sociologique et de la philosophie à l’artistique, Si Aziz savait admirablement captiver l’attention de ses auditeurs. Je dirais même qu’il envoûtait l’assistance sous le charme de son style impeccable et simple tel qu’il atteint sans peine l’intelligence de son récepteur. Mais loin de verser dans le verbalisme creux et vaseux où le plagiat se mêle à la phraséologie pédante, Si Aziz était toujours préoccupé par la rigueur scientifique, la clarté cristalline, le discours argumenté et engagé au sens plein du terme. Car l’objectivité scientifique ne signifie point et n’a jamais signifié la neutralité. L’épistémologie moderne nous apprend qu’il n’y a pas de fait «pur» ou encore «qu’il n’y a pas de critères absolus pour séparer ce qui est observation de ce qui est théorie» Comme l’écrit très clairement P. Thuillier dans son livre» Jeux et enjeux de la science» (éd Laffort), les faits scientifiques «loin d’être des données qu’il suffirait de constater (plutôt) sélectionnés, construits et interprétés» .

S’il en est ainsi, la meilleure garantie de l’objectivité scientifique réside dans l’explication nette par l’auteur de ses présupposés et positions politiques. Ce que n’a jamais oublié Si Aziz en prenant ouvertement le parti de la classe ouvrière et en menant un combat acharné contre le positivisme et ses diverses formes dans la discipline économique.

L’excitation de notre fringale du savoir

Mais l’inestimable intérêt des cours magistraux et conférences de Si Aziz gît autant dans ce qu’ils invitent à la méditation profonde et au criblage de l’arme de la critique que dans l’incitation de lire davantage et l’excitation de notre fringale du savoir qu’ils provoquaient en nous.

Méthode, rigueur, maîtrise du sujet et surtout esprit critique et éveillé : Voilà ce que le regretté Si Aziz nous a inculqués, voilà ce qui amena les étudiants en fin de chaque année à lui offrir un bouquet de fleurs  en couronnement de sa mission formatrice et éducatrice remarquablement acquittée.

Un autre mérite de cet homme, mais pas des moindres, est son humilité, son intégrité, sa fameuse modestie et sa généricité. Animé d’un profond respect des hommes dans leur diversité, Si Aziz a toujours su et pu se mettre au-dessus des vilenies et des bassesses de toutes natures.

D’une politesse habituelle, il abordait ses pairs, collègues ou étudiants avec sourire ineffable et un respect total. Bien plus, il répugnait même à les considérer, ne serait-ce qu’un instant comme des personnes dénuées de maturité ou bien avec un paternalisme plus ou moins feutré.

Avec lui, le traitement se fait d’égal à égal, sans surestimation de soi, sans vanité. Ce qui lui fait honneur et ce qui agrandit sa valeur. Car la vraie personnalité bien qu’elle commence par soi-même ne se donne pas par moi-même, mais s’acquiert par des relations très humaines et très respectueuses avec autrui.

En tant que chef du département ou en tant que directeur de recherche ou encore en tant que professeur, il savait se mettre patiemment à l’écoute attentive de ses interlocuteurs sans les interrompre et sans en prendre un air de grandeur factice ou simulée. Bref, c’était l’homme qui s’imposait sans imposer quoi que ce soit à n’importe qui.

En outre, il n’était guère avare en conseils sincères, suggestions fructueuses et aides dans toute la mesure de son possible pour toute personne quels que soient ses opinions, es consultations et son rang social.

Nous avons donc perdu en Si Aziz un homme d’une grande qualité, d’un comportement exemplaire doublé d’un penseur vif, alerté et très critique. Si Aziz n’est pas mort : Il vit encore dans nos cœurs, nos pensées et notre praxis.

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