Au-delà des tabous

Journée mondiale de la prévention du suicide 2024

Ouardirhi abdelaziz

Le suicide. Voilà un sujet dont on parle peu, ou pas du tout dès lorsqu’on n’est pas concerné par ce problème. Pourtant le suicide est une réalité sociale, un sujet certes sensible, très délicat, qui nous concerne et nous interpelle combien même de nombreuses personnes préfèrent éluder toute discussion autour de ce fait bien réel.

Aujourd’hui, nous saisissons la journée mondiale de prévention du suicide qui est célébrée le 10 septembre par tous les pays du monde, dont le Maroc, pour mieux sensibiliser nos citoyens, sur ce thème qui demeure un tabou, dont les répercussions sont amplifiées par la stigmatisation sociale et le regard de l’autre.

Qu’est-ce que le suicide ?

L’OMS définit le suicide comme un acte qui consiste à se donner délibérément la mort. Le suicide est un événement complexe déterminé par l’interaction de plusieurs facteurs. L’individu, son histoire, son environnement immédiat, son milieu social, composent une trame dont il est presque impossible de défaire les entrelacés.

La cause profonde du suicide est la souffrance. Celle-ci peut sembler insurmontable et devenir insupportable. La mort peut alors être envisagée comme un apaisement et le suicide une manière de mettre fin à cette intense souffrance. Cependant, le suicide n’est pas un choix. Au contraire, c’est lorsqu’une personne a l’impression de ne plus avoir aucun choix qu’elle peut être amenée à penser à se suicider.

C’est une situation dévastatrice qui laisse souvent les proches avec de nombreuses questions sans réponse. Les personnes qui perdent un être cher par suicide ressentent généralement des sentiments de désespoir et de confusion au cours de la période de deuil.

Quels sont les déterminants du suicide ?

Les déterminants du suicide sont multifactoriels. Ils sont liés à la précarité, au taux de chômage, l’absence d’accès à un projet de vie, la discrimination, les tabous et interdits qui entourent la sexualité et les relations sexuelles hors mariage, la violence dans toutes ses formes à l’égard des femmes et mineures notamment, l’absence ou la faiblesse de soutien familiale ou de soutien socio-économique, à l’isolement.

Une situation dans laquelle se retrouvent de plus en plus de personnes âgées. Tous ces éléments peuvent apporter un déséquilibre dans la vie de ces personnes.

Quelle est la situation au niveau mondial ?

À l’échelle mondiale, on estime qu’un suicide a lieu toutes les 40 secondes et une tentative de suicide toutes les 3 secondes. Ce qui correspond à 1 million de suicides chaque année, soit un taux moyen de 9 pour 100 000 habitants, dont 12,6 hommes respectivement 5,4 femmes pour cent mille. D’après les estimations, 45 800 adolescents se suicident chaque année, soit plus d’un jeune toutes les 11 minutes.

 C’est plus que l’ensemble des personnes tuées par les guerres et les catastrophes naturelles. À cela s’ajoute 10 millions de personnes endeuillées par suicide.

En outre, le suicide est, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la treizième cause de mortalité dans le monde, tous les âges compris et la cinquième cause la plus courante de décès chez les adolescents âgés de 10 à 19 ans. Il constitue la quatrième cause de décès chez les garçons âgés de 15 à 19 ans, après les accidents de la route, la tuberculose et les violences interpersonnelles, et la troisième cause de décès chez les filles âgées de 15 à 19 ans.

Qu’en est-il au Maroc ?

Selon le rapport de l’OMS en 2019, 2617 suicides ont été enregistrés au Maroc, dont 865 suicides de femmes et 1752 d’hommes, ce qui situe la prévalence du suicide au Maroc autour de 7,2 pour 100 000.

Il y a probablement une sous-estimation du phénomène étant donné le tabou qui entoure encore le suicide. Il arrive assez souvent qu’on classifie certains suicides en accidents domestiques ou autres types d’accidents.

Taux de mortalité par suicide de certains pays dans le monde

Parmi les pays du monde qui enregistrent les taux de suicides les plus élevés pour 100.000 habitants en 2019, on trouve le Lesotho, qui a le taux de suicide le plus élevé au monde, soit 72 suicides pour 100.000 habitants, l’Afrique du Sud, 23.5 suicides pour100.000 habitants.

On retrouve ensuite Guyana, pays d’Amérique du Sud et Eswatini, pays également enclavé en Afrique du Sud.

 Dans les pays membres de l’Union européenne en 2021, c’est la Slovénie qui avait le taux de suicide le plus élevé avec près de 20 suicides pour 100.000 habitants.

Les Etats unis, 16.1 suicides pour 100.000 habitants. La Belgique, 18.3 pour 100.000 habitants. Avec un taux de suicide de 13,8 pour 100.000 habitants, la France est au dessus de la moyenne qui est de 10 suicides pour 100.000 habitants. La Grèce, Chypre et le Liechtenstein sont les pays européens avec le taux de suicide le plus bas, avec moins de 5 suicides pour 100.000 habitants.

Quelles sont les personnes exposées ?

Si le lien entre suicide et troubles mentaux (en particulier la dépression, l’anxiété, la schizophrénie, et les troubles liés à l’usage des différentes drogues et l’alcool) est établi. Il n’en demeure pas moins vrai que de nombreux suicides ont lieu de manière impulsive dans un moment de crise et de défaillance de l’aptitude à faire face aux stress de la vie, tels que les problèmes financiers, une faillite,  une rupture amoureuse, jeunes filles victimes de viol ou d’inceste, mère célibataire, une maladie incurable, ou une douleur chronique.

De plus, les conflits familiaux, la violence dans toutes ses formes à l’égard des femmes et les mineures notamment. Cas des petites bonnes, les divorcés, la maltraitance ou un deuil et un sentiment d’isolement sont fortement associés au comportement suicidaire. Les taux de suicides sont également élevés dans les groupes vulnérables confrontés à la discrimination, au rejet. Cas des SDF, des  personnes âgées dépendantes, de certains handicapés entre autres.

Dans ces groupes, le risque de suicide est plus élevé lorsqu’il y a isolement, lorsque le soutien social et familial est faible ou inexistant, situation dans laquelle se retrouvent malheureusement de plus en plus de personnes âgées parfois abandonnées par leurs propres enfants.

Pour une meilleure prise en charge des maladies mentales

Le suicide est maintenant compris comme un malaise mental multidimensionnel qui résulte d’une interaction complexe de divers facteurs biologiques, génétiques, psychologiques, sociologiques et environnementaux. La recherche scientifique a démontré qu’entre 40 et 60 % des personnes mortes par suicide avaient consulté un médecin dans le mois précédant l’acte suicide. Parmi elles, la majorité avait vu un généraliste plutôt qu’un psychiatre.

Cette réalité est corroborée par les chiffres de l’offre de soins psychiatriques qui sont en deça des besoins réels de notre population.

Le Maroc compte près de 343 psychiatres, répartis sur les secteurs privé et public, soit un médecin pour 100.000 habitants, alors que l’OMS préconise un taux de couverture de 1,7 médecin pour 100.000 habitants.

Par ailleurs, on relève une faible capacité d’accueil des 34 structures hospitalières existantes qui comptent seulement 2.330 lits, soit une moyenne de 6,64 lits pour 100.000 habitants. 

Il ne faut pas être expert pour comprendre que l’indigence actuelle de l’offre de soins psychiatriques témoigne du sous-investissement de l’État dans ce domaine.

Le grand problème, c’est le nombre de Marocains qui présentent un ou plusieurs troubles mentaux. Selon les chiffres du ministère de la Santé, de la protection sociale lui-même, on apprend que près de 40% des Marocains âgés de plus de 15 ans souffrent de troubles mentaux et psychiatriques, soit 9,6 millions de citoyens. Selon les mêmes statistiques, plus de 26% des Marocains souffrent de dépression au cours de leur vie, 9% de troubles anxieux et 5,6% de troubles mentaux, alors que 1% des Marocains souffrent de schizophrénie.

Les maladies mentales quand elles ne sont pas prises en charge précocement, traitées et bien suivies par des spécialistes vont affecter la pensée, l’humeur ou le comportement de l’individu, et lui causer de la détresse ou de la souffrance et être une cause potentielle de suicide ou de tentative de suicide.

Prévention et lutte du suicide

La prévention du suicide doit être au cœur de nos services en santé mentale au niveau de toutes les régions, des hôpitaux psychiatriques et des consultations ambulatoires. 

Les suicides sont évitables. Plusieurs mesures peuvent être prises au niveau de la population, des groupes de population et au niveau individuel pour prévenir le suicide et les tentatives de suicide.

Il est essentiel, fondamental pour notre pays de mettre en service des lignes téléphoniques d’écoute, afin d’orienter les personnes souffrant d’idées suicidaires mais aussi leurs proches, un service que nos hôpitaux, la protection civile et la surêtre nationale peuvent aisément envisager et organiser .

Ce service doit garantit une écoute professionnelle et confidentielle 24h/24 et 7j/7, par des infirmiers formés à cette mission et des psychologues formés comme répondants. Il faut couvrir tout le territoire national.

Les efforts de prévention du suicide nécessitent une coordination et une collaboration entre de multiples secteurs de la société, dont le secteur de la santé publique et privée et d’autres secteurs, tels que l’éducation, l’emploi, l’agriculture, l’industrie, la justice, le droit, la sureté, la politique et les médias. Ces efforts doivent être complets et intégrés car aucune approche utilisée seule ne peut avoir un impact sur une question aussi complexe.

Pour terminer cet article qui coïncide ave la journée mondiale de lutte et de prévention du suicide « 10 septembre 2024 », il me plait de citer un passage de la conférence du professeur Driss Moussaoui, ancien président de l’Association mondiale de psychiatrie sociale et ex-directeur du Centre collaborateur de l’OMS en santé mentale et en neurosciences: « la prévention du suicide se doit d’être en même temps médicale, en particulier à travers le diagnostic et le traitement de la dépression, qui est le principal facteur de risque, mais aussi des mesures sociales pour rendre la vie dans les villes et dans les campagnes plus humaine et moins rudes. 

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