Ces millions d’abstentionnistes malgré eux

Elections législatives en Italie

Ils sont malades ou vivent loin de leur résidence habituelle: en Italie, des millions d’électeurs, abstentionnistes malgré eux, ne peuvent glisser leur bulletin dans l’urne, une anomalie démocratique due bien souvent à la proverbiale bureaucratie du pays.

Si la participation aux élections législatives reste élevée, elle a décru en moyenne de 92,4% à 74% entre 1944 et 2021, selon les chiffres officiels. Et l’institut Demopolis estime qu’elle devrait encore descendre – à 67% – aux législatives du 25 septembre.

La majorité des électeurs qui ne se déplacent pas disent se désintéresser de la politique ou ne pas se reconnaître dans l’offre.

Mais un peu moins de un électeur sur deux affirme ne pas pouvoir voter pour des raisons indépendantes de sa volonté, a révélé un « livre blanc » publié en mai par le gouvernement.

« L’abstention involontaire » touche d’abord les personnes âgées à mobilité réduite (2,8 millions de personnes), des malades, des personnes vivant avec un grave handicap.

Elle concerne également tous ceux qui se trouvent loin de leur résidence administrative pour motifs d’études, de travail ou de vacances, et qui sont estimés à 4,9 millions, soit 10,5% du corps électoral. Car en Italie, la domiciliation et la résidence sont deux choses distinctes et chacun vote là où il a déclaré sa résidence administrative.

Or le temps, la distance et les frais de transport représentent souvent une difficulté insurmontable. Beaucoup de jeunes, en particulier les étudiants, sont dans ce cas.

Mayla Bottaro, 24 ans, étudie à Bologne, mais sa résidence administrative est en Ligurie, sur la côte, à plus de trois heures de train en passant par Milan… « Pourquoi je devrais faire ce sacrifice quand l’Etat, lui, ne fait aucun effort pour que je puisse voter chez moi? », se demande-t-elle.

Pour faciliter le retour des électeurs dans leur circonscription, les transporteurs offrent des rabais.

La compagnie aérienne ITA propose 50% de ristourne sur les vols domestiques. Les compagnies ferroviaires Trenitalia et Italo ainsi que les compagnies de ferry pour les insulaires ont également des tarifs soldés.

Mais cela ne suffit pas toujours

Lorenzo Sangermano, 26 ans, étudie, lui, à Rome, mais vient de Bergame dans le nord, distante de 600 kilomètres. « A côté de mes études, je travaille dans la restauration. Le 25 [septembre], je travaille. Et évidemment, si je ne vais pas bosser, je ne suis pas payé », explique-t-il à l’AFP.

Certains abstentionnistes pourraient changer de résidence mais ne le font pas, soit parce que la démarche est fastidieuse, soit parce que les impôts sont plus avantageux dans leur province d’origine, soit parce qu’ils sont locataires et que le propriétaire de leur logement conserve sa propre résidence à l’adresse de la location.

Il ressort du livre blanc que la majorité de ces électeurs buissonniers ont leur résidence dans les régions du sud de l’Italie, les plus pauvres du pays, pourvoyeuses de main d’oeuvre dans le nord.

C’est le cas de Maria, agent d’entretien originaire de Calabre, à la pointe sud de la botte, qui travaille à Rome: « Je n’irai pas voter. Qui va me payer le voyage? ».

Alors quelles solutions?

Les experts italiens restent dubitatifs sur le vote par procuration car il ne garantit pas selon eux le caractère strictement privé du scrutin.

De même, ils ont écarté l’extension au territoire national du vote par correspondance, pourtant possible pour les Italiens de l’étranger. Quant au vote en ligne, il n’est même pas envisagé dans un pays où des millions de personnes n’ont toujours pas accès, ou dans des conditions médiocres, à une connexion internet.

Enfin, une autre forme d’abstentionnisme subi existe en Italie: les étrangers, présents sur le territoire depuis parfois des décennies, mais qui, du fait des montagnes qu’il faut franchir pour se faire naturaliser et obtenir le document d’identité, ne peuvent exercer leurs droits civiques.

Simohamed Kaabour, 40 ans, originaire du Maroc, est depuis juin conseiller municipal à Gênes. Arrivé en Italie en 1982, il n’a obtenu la nationalité qu’en 2009, à l’âge de 27 ans.

Or, souligne-t-il à l’AFP, « l’inclusion et l’intégration sont des processus qui nécessitent la participation active et la jouissance d’un droit comme celui de voter ».

Un texte visant à réformer les conditions de vote devait arriver en commission au parlement le 24 juillet. Mais le lendemain, le gouvernement de Mario Draghi tombait.

Étiquettes ,

Related posts

Top