Cold case, une fiction de gauche

Séries et désir d’Amérique

Quelle que soit l’issue du scrutin présidentiel -même si Trump est bien parti pour rester- le désir d’Amérique demeure. Il est constitutif de l’imaginaire contemporain. Il passe notamment à travers la fiction, dont les séries. Et  l’une des séries phares d’un paysage audiovisuel pourtant très doté en produits de qualité.

Cold case est désormais un «classique». Classique dans le sens où c’est une série que tous les publics apprécient  au-delà du temps et des frontières géographiques. Lancée en 2003 par Meridith Stielm, Cold case compte 156 épisodes de 42 minutes qui s’étalent sur des saisons allant de 2003 à 2010.

On retrouve un lieu familier des grandes séries américaines ; à savoir un département de police sauf que trois éléments font une première différence: ce n’est plus New York, c’est Philadelphie qui abrite le travail des policiers; les enquêtes concernent non pas des affaires en cours mais celles dites «cold case», celles classées car non résolues; l’autre élément est la présence d’une figure centrale, Lilly Rush (Kathryn Morrid) qui dirige l’équipe. Femme inspectrice de la police criminelle de Philadelphie, elle enquête sur les meurtres jamais élucidés commis il y a plusieurs années voire plusieurs décennies, grosso modo entre 1910 et 2010.

Lilly Rush et son équipe sont plus historiens que flics. Ils passent l’essentiels de leur temps à éplucher des vieux documents (journaux, albums de photos, archives…); à écouter les souvenirs des personnes âgées où mettre au jour des traces du passé. « Finalement, leur travail ressemble plus à celui de l’historien qu’à celui de policier, en tout cas tel qu’il est habituellement représenté à l’écran, avec une sur-présentation du terrain  par rapport au bureau dans ce métier » écrit Marjolaine Boutet dans son livre Cold case, la mélodie du passé (Paris, PUF, 2013).

La série se distingue aussi par son lieu d’intervention, Philadelphie. C’est un choix qui n’est pas fortuit, c’est l’une des villes les plus historiques des USA. C’est la première capitale du pays. Partout où l’on va, le passé vit. Il suffit de le rencontrer. Dans l’un des épisodes, on découvre un terrain vague, au sein d’un quartier pauvre, en fait, le site est un ancien marché aux esclaves.

Le décor est ainsi placé, nous n’avons pas affaire à la grande histoire mais à celle des opprimés, des oubliés; celle des victimes de leur époque plus encore que d’un assassinat. Dans l’épisode 11 de la saison 5 qui retrace l’histoire tragique d’une famille américano-japonaise pendant la seconde guerre mondiale, l’inspectrice dit à son patron qu’«ils parlent pour les victimes». Le rôle des enquêteurs est donc de rendre la parole à ceux qui ne l’on pas eue.

J’aime particulièrement comment sont articulées l’ouverture et la clôture des épisodes de la série. Chacun des épisodes commence par la même structure pour les quatre séquences qui font l’incipit. Un : on ouvre par une scène au passé, précisément datée et induite par des éléments de mise en scène : éclairage, décor, vestimentaire, bande son d’époque…

A ce moment, on ne connaît pas encore les protagonistes. Deux : par un fondu noir on passe à la deuxième séquence avec le corps sans vie d’un ou plusieurs personnages qu’on avait vu précédemment. Trois: on voit un policier qui classe le dossier dans la salle des archives; parfois la caméra capte au passage l’année et le nom de la victime. Quatre : la quatrième séquence nous ramène au présent avec l’ouverture du dossier suite à la découverte d’un élément qui va relancer l’enquête.

La clôture, elle, est chargée d’émotion. A la fin de chaque épisode, la boîte d’archives qui a été réouverte  par les enquêteurs change de lieu de stockage et rejoint le rayon  des affaires résolues, avec la mention mise en avant par la caméra «closed». Tout se déroule dans un montage magnifique, très poétique, avec l’apparition de la victime comme un fantôme au moment de l’arrestation du meurtrier avec un regard généralement destiné à Lilly. Un regard non pas vengeur mais apaisé et reconnaissant. Justice a été rendue. La vérité a fini par éclater.

L’auteure de la série a réussi à convaincre la chaîne CBS d’adopter un nouveau procédural centré non pas sur le meurtrier ou l’enquêteur mais sur la victime dont la vie est restituée à travers une série de flashback. La série affiche également un engagement politique évident notamment pour les questions de genre. Au niveau thématique la question des femmes est omniprésente mais aussi au niveau de la réalisation, 83 épisodes sur 156 sont écrits par des femmes. Cold case est une fiction de gauche qui offre une autre image de l’Amérique et délivre un message de tolérance et d’altérité.

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