Comment Cooper Pharma a investi l’Afrique de l’Est

Si de nombreux opérateurs économiques ayant accompagné Sa Majesté lors de sa dernière tournée ont annoncé des investissements, notamment en Afrique de l’Est, il n’en reste pas moins que la plupart de ces projets sont à un stade embryonnaire.

Le laboratoire pharmaceutique marocain Cooper Pharma a d’emblée communiqué sur le lancement de la construction d’une unité de fabrication locale de médicaments et la commercialisation imminente de ses produits dès ce mois de décembre !

Cooper Pharma est le seul laboratoire pharmaceutique marocain à avoir fait partie des différentes délégations ayant accompagné le roi Mohamed VI lors de sa tournée en Afrique de l’Est. Et pour cause, cela fait cinq ans que le management y prépare son implantation. C’est ainsi que Cooper Pharma a pu annoncer, en marge de la visite officielle au Rwanda, le lancement de la construction d’une unité de fabrication locale de médicaments en joint-venture avec des opérateurs locaux et régionaux.

En réalité, le laboratoire présidé par Jawad Cheikh Lahlou a pris la décision de s’intéresser à l’Afrique dans sa globalité à la fin des années 90. Seulement, le management fait le choix de procéder par étape.

Ainsi, Cooper Pharma a d’abord investi la Côte d’Ivoire puis l’ensemble de l’Afrique francophone avec un business model d’exportation en partenariat avec des distributeurs locaux, avant d’avoir sa propre équipe de visiteurs médicaux, qui sont aujourd’hui autour d’une centaine. «Il y a un peu plus de deux ans, nous sommes passés à une autre phase de développement en Afrique de l’Ouest, avec la signature d’un partenariat pour la construction d’une unité de fabrication de médicaments à Abidjan; car la Côte d’ivoire reste le plus grand marché de cette région.Au même moment, nous avons signé des accords commerciaux d’exportation avec le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda, le Burundi, puis avec le Nigeria et le Ghana, à l’instar de ce que nous avions fait il y a plus de dix ans en Afrique de l’Ouest», explique un membre du top management.

Seulement,les normes pharmaceutiques dans ces pays-là exigent de tester de nouveau les médicaments étant donné que les conditions climatiques (température, humidité,…) y sont différentes de celles du Maghreb ou de l’Europe. L’objectif est de savoir si ces produits vont rester stables dans le temps et garder les mêmes propriétés.

Et il faut généralement compter un an, voire un an et demi pour obtenir ces conclusions. C’est pourquoi, il est important d’anticiper ce délai dans le rétro-planning avant de déposer le dossier d’AMM –autorisation de mise sur le marché-. «Nous avons donc entamé les démarches il y a deux ans et demi, mais la réflexion quant à la manière d’opérationnaliser notre implantation en Afrique de l’Est a démarré bien avant. Au final nos produits seront sur le marché,après avoir passé les étapes d’audit et d’enregistrement des produits, dès ce mois de décembre 2016 au Kenya et au Rwanda, et dans les mois qui suivent dans les autres pays», poursuit la même source.

Construire une usine pour contrer la concurrence

Il est vrai qu’en Afrique francophone, Cooper Pharma amis plus de dix ans pour passer de l’étape d’exportation à l’étape de fabrication avec l’usine d’Abidjan qui devrait être opérationnelle sous peu. Simplement, il faut savoir que l’Afrique de l’Est est un marché beaucoup plus concurrentiel. Dès lors, il a fallu au laboratoire pharmaceutique dès le début des facteurs différenciant pour le pénétrer. Si ces pays présentent une plus forte intensité concurrentielle, du moins dans le secteur pharmaceutique, c’est parce que le marché du médicament s’est évidemmentdéveloppé selon le modèle anglo-saxon et que de ce fait certains médicaments sont également distribués en grande surface. Les marges sont donc beaucoup plus étriquées, d’autant plus que certains des médicaments du portefeuille cibléspar Cooper sont concernés.

« Le label Maroc » a développé un véritable savoir-faire en matière de fabrication locale. Or il se trouve que cette région de l’Afrique a un taux de fabrication très faible et que les gouvernements et les groupes privés sont demandeurs en ce sens. Il y a une réelle volonté politique pour limiter les importations, pour ne plus continuer à importer plus de 70% des besoins en médicament, et nous avons un réel avantage compétitif à faire valoir en la matière », explique un expert du secteur. Faut-il rappeler que nous fabriquons 65% des médicaments que nous consommons, là où même la France présente un taux de 60%, l’Afrique du sud un taux inférieur à 30% et le Moyen-Orient à 20%.

Il faut dire aussi que le Maroc produit aujourd’hui des anticancéreux, des collyres ophtalmiques, ce qui est très rare dans le monde, des génériques hépatiques, des pilules contraceptives, …Le Maroc a dès lors sur le papier un vrai positionnement, d’autant plus qu’il est classé en zone Europe : il est internationalement reconnu pour avoir des médicaments de bonne qualité qui bénéficient d’un contrôle rigoureux.

En outre, il faut garder tout de même à l’esprit que le marché du médicament réalise actuellement 0% de croissance par an au Maroc! En Afrique de l’Est, il est à 10%. Dès lors, on pourrait se demander pourquoi les grandes multinationales n’investissement pas le secteur !

« Les multinationales du secteur considèrent l’Afrique de l’Est comme une zone à risque. Sur les bourses européennes ou américaines, il y a des facteurs discount, comme on les appelle en finance, qui font que pour maximiser son gain et minimiser son risque, une multinationale préfère ne pas y aller », poursuit notre expert.

Toutefois, il est à noter que les laboratoires indiens exportent massivement dans la région, mais à différents niveaux de qualité, et eux aussi ne sont pas implantés localement. Seuls quelques indiensqui sont nés en Afrique ont investi dans des usines, et ce n’est que dernièrement qu’un opérateur chinois vient de réaliser un investissement de 100 millions de dollars en Ethiopie dans une unité de fabrication. En somme, il n’y aque l’Inde et la Chine qui pour l’instant sont positionnés commercialement, même s’il est à noter que des opérateurs tunisiens tentent également de se positionner sur l’Afrique de l’Est.

Une réelle opportunité de développement pour l’industrie pharmaceutique marocaine

«Je pense vertueux que nos «homologues» marocains s’allient eux aussi à des opérateurs locaux en joint-venture. Je ne crois pas en un modèle de développement où l’on monte sa filiale à 100% », pense une source autorisée au sein de Cooper Pharma. Pour sa part, Le laboratoire fondé en 1933 s’est associé à un distributeur qui souhaitait monter en valeur ajoutée et se diversifier. D’ailleurs, et selon le nombre de spécialistes, si le Maroc a une carte à jouer en Afrique de l’Est,c’est celle des partenariats internationaux avec les multinationales qui collaborent déjà avec nos laboratoires au Maroc. «Faire de l’Afrique de l’Est une priorité est devenue incontournable ; non seulement pour le potentiel économique qu’elle représente (un marché de 300 millions de consommateurs), mais aussi pour les perspectives de coopération multilatérale qu’elle offre pour le hub qu’est le Maroc», recommande le dernier rapport de l’IRES –Institut de Recherches Économiques et Sociales-.D’ailleurs Cooper Pharma est en pleine discussion avec des partenaires français et espagnols pour qu’ils intègrent le tour de table aussi bien de l’unité de Kigali que celle d’Abidjan : ils apporteraient une technologie ou un portefeuille de produits qui serait fabriqué localement, leur permettant ainsi d’accéder à une géographie où ils ne sont pas présents.

Toutefois, investir dans cette région de l’Afrique n’est pas chose aisée. Une attention particulière doit être accordée aux subtilités culturelles. L’Afrique est un continent, mais il compte cinquante-quatre pays avec des peuples, des états d’esprits, des histoires, des langues différentes. En effet, en Afrique anglophone, l’état d’esprit est davantage orienté business et efficacité. Si de nombreux hommes d’affaires marocains craignent l’obstacle de la langue et invoquent l’éloignement géographique, ceux qui y sont allés parlent plutôt de la difficulté inhérente au fait d’entreprendre lui-même, et à l’industrie en elle-même aussi. « Être rebuté par la langue ou l’éloignement géographique est à mon avis un non-sens en ces temps de globalisation. Par ailleurs, l’Afrique de l’Est est une région qui réserve de belles surprises car les anglophones ont fait -à leur actif- de belles réalisations en matière d’infrastructures et d’éducation. Nous avons eu à recruter des kenyans et des rwandais d’un excellent niveau ! », soutient la même source au sein de Cooper Pharma.

Dès lors, la vraie question dans un environnement des affaires anglo-saxon, à la fois très concurrentiel et très réglementé, est de savoir quel marché cibler précisément et sur quelle niche se positionner exactement. Dans le cas du labo marocain, le top management a non seulement fait le choix d’opter pour la fabrication locale, mais aussi de ne cibler que la production d’une certaine famille d’antibiotique. Ainsi, leur portefeuille se concentrera sur 2 ou 3 classes thérapeutiques, alors qu’en Afrique francophone ils sont présents sur une dizaine et au Maroc sur une vingtaine !Cependant, s’il y a un facteur clé de succès qui met tous les analystes d’accord, c’est l’impératif de s’inscrire dans le long terme et dans une logique de partage des technologies et des savoir-faire. Pénétrer ces marchés sans stratégie win-win est désormais une mission quasiment impossible !

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