Contribution du PPS aux assises fiscales

«Pour un système fiscal qui assure la justice sociale et l’efficacité économique»

Le PPS, en présentant sa contribution aux assises fiscales prévues les 3 et 4 mai prochain, s’inscrit parfaitement dans la note de cadrage élaborée à cet effet par le Ministère des finances. Ces assises qui se dérouleront sous le mot d’ordre de «l’équité fiscale» répondent à une attente et à une exigence exprimées depuis fort longtemps par divers milieux dont le PPS.

Contrairement aux deux dernières assises de 2009 et 2013 qui n’ont pas débouché sur des mesures concrètes et dont les recommandations sont restées globalement au niveau des voeux pieux, les travaux et conclusions des prochaines assises doivent aboutir à un projet de loi-cadre qui sera adopté selon le processus législatif en vigueur et mis en oeuvre progressivement dans un délai de 5 ans. Nous souscrivons pleinement à cette démarche participative et nous nous engageons à tout mettre en oeuvre pour faire aboutir ce processus dans l’intérêt bien compris de notre pays et de notre peuple.

La réforme fiscale n’est pas, en effet, une question technique ou une construction abstraite de l’esprit humain, mais elle est éminemment politique dans la mesure où elle met en équation des intérêts divergents et traite des enjeux sociaux et sociétaux d’envergure. On rappellera à cet égard, que la fiscalité joue une double fonction : d’une part, c’est un moyen de financer les actions régaliennes de l’Etat et les biens publics ; d’autre part, c’est un moyen de redistribution des revenus et de correction des inégalités et dysfonctionnements de la répartition primaire. Autrement dit, et comme cela a été rappelé dans ladite note de cadrage, un système fiscal équitable est celui qui encourage l’investissement productif et la compétitivité de l’entreprise, stimule le pouvoir d’achat et la création d’emplois, et lutte contre les inégalités sociales et spatiales. Bref, un système qui assure à la fois justice sociale et efficacité économique. Deux objectifs qui ne sont nullement contradictoires.

Précisons que de notre point de vue, l’équité envisagée est une équité horizontale et verticale : horizontale en ce sens que les personnes ayant la même situation doivent payer le même impôt ; verticale dans la mesure où les contribuables dont les revenus sont plus élevés doivent payer proportionnellement plus que les autres contribuables. D’où la nécessité de la progressivité. Ce principe de l’égalité devant l’impôt trouve d’ailleurs son fondement dans les conventions et traités internationaux en la matière et dans la Constitution du Maroc qui dispose dans son article 39 que «Tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques que seule la loi peut, dans les formes prévues par la présente Constitution, créer et répartir», et dans son article 40 que «Tous supportent solidairement et proportionnellement à leurs moyens, les charges que requiert le développement du pays, et celles résultant des calamités nationales et des catastrophes naturelles».

Ces considérations d’ordre méthodologique et politique doivent guider notre réflexion sur la mise en place d’un système fiscal alternatif qui soit en parfaite harmonie avec les impératifs et les exigences d’un nouveau modèle de développement. Nous estimons qu’il faut privilégier cette approche politique dans les débats pour mieux sensibiliser les acteurs et renforcer le sentiment d’adhésion à la réforme. Pas de citoyenneté sans la contribution aux charges publiques et la manifestation volontariste d’un sentiment de solidarité. Mais auparavant, il nous semble nécessaire de donner quelques éléments du diagnostic tels qu’ils ressortent de certains rapports élaborés par le CESE, la Cour des Comptes et les recherches universitaires, en appelant, chemin faisant, le Ministère des finances à présenter sa propre évaluation en la matière.

Ainsi, les données suivantes montrent les dysfonctionnements de notre système fiscal et son caractère injuste et peu productif :

– 62 % des 16.000 médecins au Maroc paient moins de 10.000 DH d’IR par an.

-Plus de 5000 commerçants grossistes versent moins de 5000 DH d’IR ou d’IS par an.

-47.000 entreprises du commerce de gros réalisent un chiffre d’affaires annuel de 53 Mds DH, sans déclarer de résultats.

-68 % des 240.000 entreprises marocaines sont déficitaires ou exonérées.

-24 % (moins de 60.000) sont soumises à l’IS au taux de 10 %.

-10 entreprises paient 25 % du montant global de l’IS. Moins de 1 % des sociétés génèrent 80 % des recettes de l’IS.

-75% de l’IR est acquitté par les salariés et employés.

Sur la période 2006 à 2013, les dérogations fiscales ont totalisé pour un pays à revenu intermédiaire comme le Maroc la somme hallucinante de 234 Md DH, soit 1.3 fois les recettes fiscales prévues en 2014 ou plus de 28% de la richesse produite chaque année ! Et encore, ce chiffre ne reflète pas toute la réalité, puisque sur les 412 dispositions dérogatoires recensées par l’administration fiscale en 2013, seules 302 ont fait l’objet d’une évaluation qui est parfois discutable. L’Etat ne dispose donc d’aucune visibilité sur l’impact financier des 110 dépenses fiscales non mesurées, mais les maintient en acceptant l’opacité totale.

Pour ce qui est de nos propositions concrètes, elles vont dans le sens de l’élargissement de l’assiette fiscale (lutte contre l’évasion et la fraude fiscales en plus de l’inclusion fiscale du secteur informel), la rationalisation des dépenses fiscales selon des critères transparents et démocratiquement élaborés, l’instauration de plus de justice fiscale et d’équité fiscales, l’encouragement de l’épargne productive et de l’investissement créateur de richesses et d’emplois, la simplification des taux et des procédures, le renforcement de notre souveraineté fiscale…

Ces propositions se déclinent comme suit :

  1. Élargir l’assiette de l’impôt en réduisant significativement les exclusions du champ d’application et les exonérations, faire en sorte que les dépenses fiscales soient plus simples, plus justes, plus efficaces et moins coûteuses pour le budget général de l’Etat.
  2. Aligner progressivement les taux d’imposition des revenus non salariaux sur ceux des revenus salariaux,
  3. Supprimer les systèmes de retenue à la source libératoires à taux réduits.
  4. Revoir le barème de l’impôt sur le revenu en relevant le seuil de la première tranche d’imposition à 45.000 DH annuellement, en allégeant les taux des tranches intermédiaires, en augmentant ceux des tranches élevées et en créant un taux marginal de 50% pour les très hauts revenus (supérieurs à 2 MDH par an).
  5. Systématiser l’examen contradictoire des dépenses non professionnelles des contribuables fortunés lorsqu’elles sont en incohérence avec le revenu global annuel déclaré (application effective des articles 29 et 216 du CGI).
  6. Accélérer la mise en oeuvre du système d’imposition graduelle des revenus agricoles et appliquer le seuil d’imposition de 5 MDH de chiffre d’affaires annuel à l’ensemble des exploitations appartenant au même groupe ou relevant du même centre de décision.
  7. Introduire dans la fiscalité des entreprises des dispositions de soutien à l’investissement et à la croissance économique: barème progressif de l’impôt sur les sociétés avec un premier seuil à 5% et un taux marginal de 25%, provisions  réglementées, exonération des plus-values à long terme, exonération totale dans un premier temps puis partielle après les 5 premières années d’activité des profits réinvestis, amortissements accélérés.
  1. Mettre en place un dispositif fiscal très incitatif pour les plans d’épargne salariale et les plans d’épargne en actions et réorienter massivement le régime fiscal de l’assurance-vie vers l’épargne longue investie en actions (à coupler avec les fonds de pension).
  2. Introduire la fiscalité écologique pour accompagner la transition écologique et mettre en oeuvre les engagements internationaux pris par notre pays au niveau de la lutte contre le réchauffement climatique. Faire de la fiscalité le fer de lance d’une politique écologique ambitieuse et volontariste préservant les ressources du pays et protégeant les intérêts des futures générations.
  3. Faire de l’inclusion de l’économie informelle (2,4 millions de personnes employées pour près de 410 MMDH de chiffre d’affaires, selon le HCP) et de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, une priorité absolue : cartographier la fraude au niveau géographique et sectoriel, élaborer une monographie fiscale des techniques de fuite devant l’impôt, renforcer les moyens et les effectifs des services du contrôle fiscal et augmenter les objectifs de recouvrement (10,8 MMDH recouvrés en 2015 suite au contrôle fiscal sur place et sur pièces pour un total de 206 MMDH de recettes fiscales soit 5% environ) , mettre en place un plan de lutte ambitieux contre l’économie souterraine, les fausses factures, les ventes sans facture, les déductions abusives, les pratiques de fraude internationale liées aux prix de transfert et aux sociétés offshore domiciliées dans les paradis fiscaux ou bancaires, procéder à un ciblage plus pertinent des contribuables «à risque», qui feront l’objet d’un contrôle fiscal plus méthodique et plus récurrent.
  4. Ouvrir la réflexion, en coordination avec les instances internationales, au sujet de l’introduction d’une fiscalité sur le commerce électronique appelé à prendre plus d’importance à l‘avenir.
  5. Elaborer une loi sur les signes extérieurs de la richesse pour dissuader les fraudeurs et ceux qui ont recours aux techniques astucieuses et frauduleuses de l’optimisation fiscale.
  6. Instaurer un taux de TVA majoré sur les produits dits de luxe en veillant, bien entendu, à en exclure tous ceux qui pourraient favoriser une activité de contrebande.
  7. Résoudre définitivement la question du boutoir et respecter les règles de la neutralité de la TVA.
  8. Permettre aux contribuables de bénéficier de crédits d’impôts pour les frais de santé et de scolarité.
  9. Instaurer une fiscalité sur le patrimoine et un impôt sur la fortune.
  10. Elargir le champ d’application de la fiscalité locale en identifiant de nouvelles sources de revenus (taxe sur l’électricité, redevance sur les déchets, versement transports, révision du taux de la taxe sur les terrains non bâtis, etc.), moderniser les impôts locaux et rendre leur assiette plus dynamique et plus en phase avec l’évolution du PIB et le développement de la régionalisation.
  11. Renforcer les droits des contribuables : simplifier les procédures administratives relatives à la déclaration, au recouvrement et au contrôle de l’impôt, fusionner les services de la DGI et de la TGR et créer des guichets fiscaux uniques, revaloriser le statut des vérificateurs, nommer des médiateurs fiscaux régionaux, renforcer la charge de la preuve incombant au fisc, publier la jurisprudence de la Commission nationale du recours fiscal ….
  12. Elaborer un rapport annuel sur les recettes fiscales qui sera porté à la connaissance de SM le Roi et, le cas échéant, fera l’objet d’un débat au parlement.

Nous émettons l’espoir de voir les prochaines assises fiscales déboucher sur une nouvelle ère marquée par l’instauration de relations de confiance entre l’administration des impôts et les contribuables. L’amélioration du climat de confiance entre l’administration fiscale et l’administration des impôts passe nécessairement parle respect de la légalité, une plus grande transparence et une meilleure lisibilité des règles.

Nous émettons l’espoir de voir les prochaines assises fiscales déboucher sur une nouvelle ère marquée par l’instauration de relations de confiance entre l’administration des impôts et les contribuables. L’amélioration du climat de confiance entre l’administration fiscale et l’administration des impôts passe nécessairement parle respect de la légalité, une plus grande transparence et une meilleure lisibilité des règles.

Enfin, l’interprétation des textes et des lois fiscales ne peut être de la seule compétence de la Direction Générale des Impôts ou de l’administration en général. Les relations entre les contribuables et l’administration doivent être de nature institutionnelle entre partenaires égaux en droits et obligations. D’où la nécessité de créer une entité indépendante, instance de médiation fiscale seule à même de trancher sur les contentieux fiscaux.

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