Crise de programmes ou crise d’identité?

Quel est le patron qui, chaque matin, frappe à la porte de son bureau avant d’entrer ? Et bien, c’est le patron d’une chaîne de télévision ; chaque jour que le bon Dieu fait, il se réveille le ventre serré ne sachant pas s’il va être sûr de retrouver son siège…

Un siège éjectable. Medi1tv vient d’en fournir un éloquent exemple avec  le débarquement de son patron en plein moment de ce qui passe pour la haute saison télévisuelle, le ramadan. C’est en effet au cours de cette séquence très spéciale que nos chaînes publiques, selon leur dire officiel, réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires de l’année. Un équivalent de la rentrée scolaire pour le libraire du coin…C’est déjà un constat révélateur de l’échec d’un modèle audiovisuel bancal. L’épisode du changement à la tête de Medi1tv a fonctionné dans ce sens comme un révélateur grandeur nature. Sur le plan dramatique, c’est un scénario bien inspiré avec un moment fort, le fameux climax, illustré par la suspension et l’arrêt immédiat d’une émission de talkshow animée par Momo, une voix qui a cherché à se donner une image…sans succès apparemment. D’un point de vue strictement professionnel, cette précipitation ne cadre pas avec l’esprit du temps, avec le souci du respect des règles et des normes. Y a-t-il eu erreur grave qui justifie une telle mesure urgente ? L’explication officielle avancée parle du nécessaire  recadrage de la ligne éditoriale de la chaîne vers une dimension informationnelle ; vers une chaîne d’info en continu. C’est s’enfoncer davantage dans le ridicule, on n’installe pas une nouvelle configuration d’un média à la veille d’un temps mort, la pause estivale qui devrait normalement servir à réfléchir, penser et construire une nouvelle grille adaptée aux nouvelles orientations. La preuve c’est qu’à la place du show de Momo (raté, il est vrai), on a programmé Omar, un vieux feuilleton historique. Bah ! On peut lire ça comme une information !

En revanche,  le vrai feuilleton que nous a servi la télévision une nouvelle fois cet été et que Medi1tv a vécu dramatiquement est la crise d’identité de nos chaînes publiques. Certes, d’un point de vue ontologique, parler d’identité pour une télévision est une contradiction dans les termes. C’est un medium qui est au plus un tuyau qui fonctionne sur le flux, une auberge espagnole où l’on fait des rencontres au gré du hasard. Sauf qu’en parlant d’identité ici, il s’agit du niveau structurel et institutionnel. L’impasse de la télévision et du discours sur la télévision réside dans un paradoxe, celui de l’absence de cohérence entre la nature publique du statut des chaînes marocaines et leur fonctionnement commercial. La crise d’identité, flagrante pour Medi1tv, de plus en plus avérée pour 2M réside dans ce hiatus entre le synopsis fondateur et le produit livré ; la fameuse crise des cahiers de charges en a été une illustration éloquente. Aujourd’hui, parler pour Medi1tv de l’option chaîne d’info est une nouvelle piste pour aller directement dans le mur…un mur déjà bétonné par un rapport de forces international où même des chaînes prestigieuses (BBC world, CNN…) y perdent des plumes. Un choix éditorial qui apparaît comme un remake du choix « International », initialement prévu  pour la chaîne de Ain Sbaâ ; une chaîne qui n’est plus que l’ombre d’elle-même ; une pâle copie du projet ambitieux originel porté par le cinéma, le sport et la culture ; une vitrine du Maroc nouveau,  moderne, ouvert et pluriel. Projet aujourd’hui égaré dans les méandres des feuilles de comptabilité et des fiches de cuisine…

Pendant ce temps-là, les débats hélas se focalisent sur le contenu, les programmes et sur « la crise du scénario »…au lieu de braquer les feux de la critique sur les modes de production télévisuelle inscrits dans une logique d’économie de la rente au service des mêmes classes sociales. Un décalage de discours qui perpétue la violence symbolique inhérente aux rapports de domination médiatique.

Mohammed Bakrim

Top