De l’enseignement supérieur et de l’urgence de revenir à l’ancienne évaluation

Par Mokhtar Chaoui*

L’une des choses qui posent un grand problème au sein de nos facultés, c’est la façon avec laquelle se déroulent les contrôles et leur évaluation. A chaque période d’examens, on entend parler de fuite, de copies non corrigées, de notes gracieusement offertes pour les beaux yeux de celles-ci ou d’autres retirées pour punir ceux-là. Il y a assurément beaucoup d’exagération et de fantaisie à ce propos, mais comme le dit le proverbe sénégalais : «Chose souvent répétée a toujours un fond de vérité».

Personnellement, je dois avouer que depuis qu’on a imposé le système modulaire LMD (Licence/Master/Doctorat), qui a été conçu pour accorder plus de marge de manœuvre aux profs (partant du principe que tous les profs sont responsables et intègres), la crédibilité de l’enseignement supérieur a touché le fond, autant sur le plan de l’acquisition du savoir que sur ceux de la recherche scientifique, des contrôles et des évaluations. Limitons-nous ici à l’évaluation et aux problèmes qu’elle pose, et comparons-la à celle de l’ancien système.

Quand j’enseignais à la faculté des Lettres et des Sciences humaines d’Oujda, (de 1994 à 2000), nous, professeurs, étions obligés de déposer nos épreuves (au moins trois sujets différents) au bureau des examens qui était sous la responsabilité pédagogique du vice doyen et administrative du secrétaire générale. Une fois les épreuves remises, nous signions un registre qui atteste du dépôt des sujets et sur lequel étaient marqués le nom du département, du prof, l’intitulé de la matière, la nature de l’épreuve, le lieu, le jour et l’heure des contrôles. Chacun de nous devait être présent le jour de l’examen et être témoin de l’ouverture des enveloppes scellées qui contenaient les épreuves, en présence de responsables qui font partie du comité du contrôle des examens. Ce qui veut dire que nous-mêmes ne savions pas lequel des trois sujets proposés a été choisi par la commission pédagogique du département. Ceci réduisait considérablement les possibilités de fuite des questions.

À la fin des épreuves, il était hors de question que nous emportions les copies chez nous. Ces dernières restaient au bureau des examens, et nous devions revenir chaque jour à la faculté pour corriger. Nous nous rendions dans une salle qui nous était réservée ; récupérions les copies qui étaient numérotées, aux noms des étudiants cachés, et chaque prof se mettait dans un coin pour corriger dans un silence de cimetière. Une fois terminé, nous rendions les copies à un responsable qui ne quittait jamais la salle et nous nous donnions rendez-vous pour le lendemain afin de continuer la correction. Il était interdit d’écrire des remarques sur les copies (les remarques, on les transcrivait sur des fiches à part dont les numéros correspondent à ceux des copies) pour ne pas influencer le collègue qui fera la double correction. Les professeurs devaient corriger selon le même barème qui donnait toujours la priorité à la langue, ensuite à la compréhension et enfin à la méthodologie. Ce qui expliquait que nous avions rarement, pour ne pas dire jamais, de grandes disparités entre les notes. Nous étions limités dans le temps, car les dates des rattrapages étaient fixées à l’avance, avant même le début des contrôles. Les corrections ne dépassaient jamais dix jours, deux semaines dans le pire des cas, bien que nous corrigions plus de 2000 copies. Et les étudiants disposaient d’au moins deux semaines entre l’affichage des résultats et les rattrapages.

Nous étions obligés non seulement de corriger nos copies, mais aussi celles des autres collègues, car la double correction était obligatoire ; ce qui évitait qu’un prof distribue les notes à sa guise. Malgré cela, nous arrivions facilement au bout de nos corrections, fatigués certes, mais la conscience tranquille d’avoir fait correctement notre boulot. Quant aux réclamations des étudiants, il n’y en avait pratiquement aucune, du moins dans notre département.

Avec l’arrivée du système LMD, ce fut la pagaille dans toute sa splendeur. Les professeurs proposaient les sujets sans passer par un comité pédagogique, choisissaient la forme qui les arrangeait (écrit / oral / dossier / exposé ou parfois juste la présence), déterminaient, eux-mêmes, la date des contrôles, et surtout emportaient les copies avec eux. Ce fut la porte ouvert à toutes les irresponsabilités et à un désordre indescriptible. On se retrouvait avec des profs qui avaient déjà terminé leurs contrôles alors que d’autres n’avaient même pas commencé leurs cours ; avec des profs qui avaient rendu leurs notes alors que d’autres n’avaient pas encore programmé leurs examens ; avec des profs qui chômaient pendant des semaines parce qu’un collègue ou deux tardaient à rendre leurs notes, etc. Tout le département était alors bloqué. Les étudiants, eux, étaient perdus, sans repères et à la merci de l’humeur de tel ou tel prof. Pour sauver les meubles, on  commençait le semestre suivant avant que les étudiants n’aient la moindre idée sur la validation ou non du semestre passé. Ce fut aussi la porte ouverte à tous les soupçons, légitimes parfois ; car lorsqu’un prof emporte les épreuves chez lui, personne ne peut garantir qu’il les a vraiment corrigées ; et si oui, selon quel barème?

Depuis 4/5 ans, on a enfin pris conscience de la gravité de la chose, sûrement à cause des multiples plaintes et des interminables demandes de consultation des copies, et on a fini par imposer un calendrier des examens. Mais est-ce suffisant ? Bien sûr que non. Car, les profs continuent d’emporter les copies chez eux et aucune autorité ne cherche à savoir si les corrections ont été faites ou pas. Il n’y a pas non plus de contraintes qui obligent les professeurs à communiquer les notes à une date fixe et sans retard. Quant à la double correction, elle est devenue une chimère. Résultat : des étudiants qui obtiennent 3 sur 20 chez un prof et 15 chez un autre. Ajouter à cela que les noms des étudiants sur les copies ne sont pas cachés, ce qui enlève une part d’objectivité à la correction, car d’autres paramètres entrent en jeu et on jongle entre l’indulgence pour les uns et la fermeté pour les autres. Pour moi, et je le dis haut et fort, les copies ne doivent pas quitter l’établissement et ce sont les professeurs qui doivent se rendre à la fac pour les corriger sur place selon un calendrier précis et une date butoir.

Je pense sincèrement que la crédibilité des contrôles et celle des évaluations imposent un retour à l’ancienne pratique. Cette dernière peut paraître trop rigide à certains, voire militaire, mais c’est cela ou continuer à toucher le fond et à décrédibiliser les études, les examens, les évaluations, les notes et les diplômes. Bien sûr les professeurs qui font correctement leur boulot se sentiront offusqués par mes propos, mais je sais qu’ils sont suffisamment intelligents pour comprendre que ce n’est pas à eux que je m’adresse… Dieu saura reconnaître les siens.

Devant cet état de fait que personne ne peut démentir, sauf ceux dont la mauvaise foi est légion, le silence des responsables (doyens et présidents) reste vraiment intriguant. Pourquoi ne veillent-ils pas au respect du règlement ? Pourquoi ne sanctionnent-ils pas ceux qui l’enfreignent ? Pourquoi permettent-ils que cette pagaille perdure ? Pourquoi n’usent-ils pas de leurs prérogatives pour contraindre les récalcitrants à respecter leur fonction ? Car au final, si certains professeurs continuent à déroger à l’éthique professorale, c’est parce que l’impunité est devenue la norme.

Je sais qu’en écrivant ceci, je vais attiser l’indignation des universitaires et m’attirer, pour la énième fois, les foudres de beaucoup de mes collègues, mais je ne suis pas à un ennemi près ; et puis, il faut bien que quelqu’un mette le doigt sur cette plaie et sur bien d’autres qui gangrènent le milieu universitaire.

À bon entendeur salut.

*(Enseignant-chercheur et écrivain)



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