Débat sur «le mariage des mineures entre l’exception et la règle»

Conférence du PPS

M’Barek Tafsi

Ce n’est pas uniquement la dérogation à la règle du mariage à 18 ans, exception qui ouvre la voie au mariage des mineures par « consentement ! » ou par force qui scandalise, mais c’est surtout le contournement de la loi qui explique la persistance de cette pratique qui a la peau dure, selon les participants à une conférence, organisée vendredi 16 juin par le Parti du Progrès et du Socialisme, dans le cadre de sa contribution au débat en cours autour de la nécessité de la réforme du code de la famille.

Pour contourner la loi, les spécialistes en la matière sont allés jusqu’à mettre en place à travers leur interprétation tendancieuse de cette règle d’exception d’autres formes à côté du mariage par la Fatiha tels le mariage par chèque blanc ou celui par contrat, selon la défenseure des droits de l’homme Faouzia Oulkour, présidente de l’association Ylli pour la protection de la fille.

C’est ainsi que le mariage des mineures est encore très répandu au Maroc, en dépit des efforts déployés aux niveaux constitutionnel, légal et institutionnel et de la ratification des conventions internationales relatives aux droits de l’enfant.

Il faut rappeler aussi que nombreux sont ceux qui soutiennent aux niveaux national et international que ce mariage des mineures, qui leur fait beaucoup de mal et leur vole tout : (enfance, droits à la santé, l’éducation, la vie digne et décente, l’épanouissement et autres)  constitue une violation flagrante des droits humains et a des répercussions négatives et des conséquences  défavorables tant sur les femmes mineures que sur la société tout entière.

C’est une honte pour le Maroc d’aujourd’hui de constater qu’une telle pratique est encore très répandue non seulement dans les milieux pauvres, pour des raisons socio-culturelles et économiques évidentes (pauvreté surtout), mais également parmi des familles aisées et dans de grands centres urbains comme Casablanca, ont-ils indiqué.

Selon des statistiques disponibles, 20 738 autorisations judicaires de mariage de mineurs ont été octroyées en 2019, soit 7,53 % de l’ensemble des actes de mariages contractés.

Au terme de leurs débats convergents, les participants ont appelé à l’éradication pure et simple de ce phénomène qui porte atteinte aux droits humains des femmes et des enfants et qui représente une discrimination fondée sur le genre allant à l’encontre des normes internationales.

Soumaya Hajji : Le mariage des mineures a la peau dure

  Ouvrant les débats, Soumaya Mouncif Hajji, membre du bureau politique du PPS et présidente de la commission de l’égalité et des droits des femmes, a rappelé que le code de la famille de 2004 avait fixé l’âge de mariage à 18 ans révolus. L’article 19 du code de la famille dispose en effet que «la majorité matrimoniale s’acquiert pour le garçon et la fille, à dix-huit ans grégorien révolus».

Lorsqu’en 2004 le code de la famille a porté l’âge de la capacité matrimoniale à 18 ans, on pensait que le problème du mariage précoce allait être résolu. Hélàs non, a-t-elle dit. Le législateur a cru bon de prévoir toutefois une exception qui accorde au juge de la famille chargé du mariage la faculté d’autoriser le mariage du garçon et de la fille même avant d’atteindre ledit âge (Art 20). Pour ce faire, le cadi dispose désormais d’un pouvoir discrétionnaire d’appréciation pour accorder au non les autorisations de mariage de mineures.

C’est ainsi que des mineures sont mariées « par consentement » ou « force » à un âge où elles doivent être sur les bancs de l’école pour y apprendre et s’approprier les moyens de leur existence et de leur autonomisation pour s’assurer une vie décente et digne.

De telles dispositions législatives, décidées en violation des conventions internationales ratifiées par le Maroc en matière notamment de protection des droits des enfants et des femmes et de la Constitution de 2011, habilitent donc le juge de la famille à accorder cette autorisation de mariage, après une enquête sociale et une expertise médicale, qui sont réalisées dans des conditions très contestables, a-t-elle expliqué. C’est ce qui explique pourquoi le nombre des mariages des mineures n’a pas diminué et que c’est ces derniers sont devenus presque la règle au lieu de l’exception.

C’est ainsi qu’environ 39.031 actes de mariage de mineures ont été recensés en 2011, soit 12% du total des actes de mariage établis pendant la même année. Quoique le nombre des mariages de mineures a depuis pris une tendance baissière pour se situer à 25.514 actes en 2018, soit un taux de 9,13% du nombre total de mariages de cette année, il semble qu’il a repris aujourd’hui sa tendance à la hausse, confirmant ainsi que c’est là un phénomène très résistant et difficile à combattre.

Il s’agit en effet d’un phénomène dont la prévalence trouve évidemment son origine dans la situation de pauvreté et de précarité des familles, mais également dans l’image rétrograde de la fille dans des milieux victimes de l’ignorance, de l’embrigadement conservateur, de l’absence d’écoles et d’institutions socio-éducatives et d’éloignement de la modernité, etc…, a expliqué la militante.

Maa El Ainine : …et pourtant, le Maroc réagit positivement aux résolutions onusiennes relatives à la protection des droits de l’enfant et de la femme.

Selon la modératrice de cette conférence, Fatima Zahra Maa El Ainine, chercheuse et défenseure en matière des droits de l’homme, le Maroc est l’un des pays qui réagissent favorablement aux résolutions de l’ONU et des organisations internationales relatives à la protection des droits des enfants et des femmes.

Elle a toutefois estimé nécessaire d’abroger dans le code de la famille la disposition qui octroie au juge de la famille la possibilité d’accorder à titre exceptionnel cette autorisation. En vertu de cette loi, le cadi dispose en effet d’un pouvoir discrétionnaire d’appréciation sur la base d’une enquête sociale et d’un certificat médical, qui sont réalisés dans des conditions très contestables, a-t-elle relevé.

Selon elle, il est vraiment honteux qu’un tel phénomène persiste dans le Maroc d’aujourd’hui, qui a adhéré à toutes les conventions internationales relatives à la protection des droits de l’enfant et de la femme dont celles concernant la lutte contre la traite des êtres humains, a-t-elle souligné.

Selon elle, le Maroc se doit d’œuvrer pour honorer tous ses engagements en la matière envers la communauté internationale, à travers la mise en œuvre des résolutions afférentes au respect des droits humains des enfants et des femmes et en harmonisant sa législation nationale avec de telles conventions et chartes internationales.

Rachid Meziane : L’enquête sociale et l’expertise médicale requises au mariage des mineures souvent bâclées

 Pour Rachid Meziane, membre de la commission nationale de prise en charge des femmes victimes de violence et expert auprès du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre la violence faite aux femmes, c’est surtout cette enquête sociale et cette attestation médicale par lesquelles, utilisées par le juge pour justifier sa décision d’autoriser ou non le mariage d’une mineure qui posent problème, comme prévu dans l’article 20 du code de la famille.

Elles sont souvent bâclées, comme le montre une étude sur les mariages des mineures dans la province d’Azilal.

Les attestations médicales sont délivrées en général par des médecins généralistes, alors que la loi dispose que l’expertise médicale doit être de nature psychologique et physiologique de la future mariée pour déterminer si elle est en mesure de jouer pleinement son rôle en tant que responsable et mère de famille pour fonder avec son conjoint un foyer ou non. Sur le plan physiologique, l’expertise doit répondre à la question de savoir si la fille est en âge de devenir femme ou non.

Quant à l’enquête sociale, elle est réalisée par le juge dans son propre bureau en présence de la mineure et de son père et en l’absence de sa mère, sa confidente. Et c’est dans un tel bureau, théâtre d’une véritable scène d’intimidation, qu’il est demandé à la mineure de faire connaitre publiquement « son consentement » qui ne doit pas aller à l’encontre du choix de ses parents ou déshonorer la famille, a déploré Dr Maziane.

Toute cette procédure est souvent bouclée en une journée, alors que c’est toute la vie d’une jeune fille qui est en jeu et qui risque de se transformer en cauchemar, selon Dr Meziane, qui a appelé à la mise en place d’une stratégie préventive du mariage des mineures au Maroc à travers notamment l’adoption de peines plus lourdes contre les détournements d’enfants.

Touria Skalli : la gynécologue avoue avoir été confrontée à des situations difficiles pour arrêter des hémorragies de mineures mariées, victimes d’agression sexuelle lors de la première nuit

D’entrée, Dr Touria Skalli, gynécologue obstétricien et membre du Bureau Politique du PPS, a souligné que la lutte menée par les forces de progrès en matière de protection des droits de l’enfant et de la femme se heurte notamment aux offensives des forces conservatrices et réactionnaires pour empêcher toute réforme du code de la famille et toute abrogation de cette règle d’exception qui accorde au juge le droit d’autoriser le mariage des mineures. Ces forces rétrogrades sont en effet passées maître en matière de contournement de la loi, a-t-elle affirmé, rappelant que c’est ce qu’elle a retenu de son expérience d’ancienne députée du PPS.

Si le mariage est un droit, il ne doit pas se faire au détriment des droits des enfants à l’éducation, à la santé et à une vie digne, décente et épanouie, a-t-elle fait observer.

Elle s’est ensuite arrêtée sur les lacunes de la loi relatives à l’expertise médicale (physiologique et psychologique) requise pour que le juge puisse justifier sa décision d’autorisation, tout en dénonçant la légèreté avec laquelle le médecin généraliste traite la question, sans tenir compte des conséquences désastreuses de sa signature d’un document sur la vie d’un être humain innocent.

 Elle est revenue de même en tant que spécialiste sur les changements que subit le corps humain, tout en précisant notamment que la puberté est la période de la vie où le corps passe de l’état d’enfant à celui d’adulte. Les organes sexuels et le corps dans son ensemble évoluent, se développent et/ou changent de fonctionnement. La croissance s’accélère. L’adolescent s’approche de sa taille adulte à la fin de sa puberté. Son corps sera capable de se reproduire, la fonction de reproduction est alors dite acquise.

Et en tant que praticienne, elle a relaté avoir été confrontée à des situations difficiles et insupportables pour soigner des jeunes filles en détresse, à la suite d’une véritable agression sexuelle et d’une relation sexuelle forcée, lors du premier rapport sexuel avec « son le mari », plus âgé qu’elle de plusieurs années (10, 20, 30, 40, 50 ans, etc…) .

Elle dit aussi avoir été obligée de tout faire pour arrêter des hémorragies violentes et graves, suite à une véritable agression sexuelle sur des mineures dont la puberté est à ses débuts.

Selon elle, de tels mariages de mineures sont souvent accompagnés de drames dont personne ne parle « pour protéger l’honneur de la famille et de la femme » comme ces hémorragies, sans parler des traumatismes que subit l’adolescente et qui vont la marquer pour le restant de sa vie.

Elle a fait savoir aussi que le taux de mortalité maternelle parmi ces mineures « sacrifiées par leur famille » est très élevé, suite à une crise d’hypertension artérielle ou une toxémie.

Elle a rappelé dans le même ordre d’idées que les adolescentes sont confrontées dans ces conditions sociales critiques à des problèmes psychologiques qui les dépassent, étant donné qu’elles ne sont pas suffisamment préparées pour fonder une famille et s’occuper de l’entretien et de l’éducation des enfants. A cela, il faut ajouter que ces mineures sont souvent obligées de partager le même toit avec les autres membres de la famille du mari où elles sont traitées comme des domestiques. Un véritable drame social quoi.

Oulkour : Le Maroc appelé à se réconcilier avec son enfance

Partant de son expérience en tant que défenseure des droits de l’homme et actuelle responsable de l’Association Ylli, qui prend en charge des jeunes filles dans le besoin, l’ancienne parlementaire Faouzia Oulkour a souligné que le Maroc doit d’abord se réconcilier avec son enfance, à travers la mise à niveau de toutes les législations concernant aussi bien l’interdiction du mariage des mineures que le travail des enfants. Pour y parvenir, il est nécessaire pour les forces progressistes de conjuguer leurs efforts pour faire face aux milieux conservateurs, attachés au statut quo et à leurs privilèges.

Pour ce qui est de la prévalence du mariage des mineures, elle trouve son explication non seulement dans des conditions socio-culturelles, mais également dans l’hésitation du législateur à adopter des lois plus fermes qui jouent le rôle de levier au sein de la société au lieu de se contenter de répondre à une question conjoncturelle, selon elle.

Et au lieu de trouver des solutions à la situation de l’enfance marocaine, L’Etat a laissé la société et la famille décider du sort des enfants marocains à travers notamment cette échappatoire trompeur du mariage des mineures pour alléger le fardeau sur les familles pauvres.   Et ce n’est pas à la société civile de trouver des réponses à toutes ces questions, a-t-elle estimé, appelant les partis politiques et tous les acteurs à assumer leurs responsabilités pour délivrer la société marocaine de ces pratiques dévalorisantes de ses enfants.

Réagissant à ces propos, une ancienne députée a souligné qu’en dépit de l’adoption de lois avancées, le problème se pose au niveau de l’exécution de celles-ci comme c’est le cas de cette autorisation du mariage précoce.

Me Idrissi : Le contournement de la loi, la fourberie et la mauvaise foi compliquent la lutte contre le mariage des mineures

Prenant la parole, Me Khalid Idrissi a estimé que la persistance du phénomène du mariage des mineures trouve son explication en premier dans la fourberie et le contournement de la loi et de cet article 19 du code de la famille, qui permet au juge d’accorder à titre exceptionnel l’autorisation de mariage d’une mineure, à l’issue d’une procédure bâclée, accomplie en une journée.

L’imperfection de cette loi offre aussi au demandeur de cette autorisation de mariage de s’adresser à n’importe quel juge de son choix, dans le cas où le premier juge la lui refuse. La loi ne l’oblige pas à ne demander une telle autorisation que dans le lieu de résidence de la future « mariée ».

Selon lui, il vaut mieux opter pour une approche préventive du mariage des mineures, en considérant notamment que les démarches du futur mari et ses premiers contacts avec les filles en bas âge comme un crime de détournement de mineures.

Il a également mis en lumière les lacunes qui entachent l’enquête sociale et le certificat médical concernant la santé physiologique et mentale de la future mariée et les failles exploitées quotidiennement devant les tribunaux par tous les esprits fourbes et de mauvaise foi, sans se soucier du devenir de l’enfance marocaine.

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