Droit international et législation et réalité nationales

Les discriminations dans l’entreprise et dans la fonction publique

Dernière partie

L’état des lieux des discriminations

L’état des lieux des discriminations dans l’entreprise et dans le service public peut être effectué soit le biais d’enquêtes et d’investigations dans le terrain. L’identification des formes et des manifestations des discriminations est réalisée par les outils suivants :

Au Maroc, les enquêtes sur les discriminations sont quasi-inexistantes, les victimes de ces faits n’intentent pratiquement aucune action judicaire ni devant le juge pénal pour la sanction des infractions ni devant le juge civil pour la réparation des dommages subis.

Quatre catégories de mesures peuvent être utilisées pour mesurer et évaluer l’existence de discriminations. Ces outils sont : le testing; les déclarations des personnes sur les discriminations dont elles ont fait l’objet, les statistiques et les données provenant des tribunaux ou des services de police et la différence entre la population pouvant être potentiellement discriminée et l’ensemble de la population concernée ou testée.

D’autres sources peuvent être utilisées pour mesures les discriminations dont l’observation et les sources bibliographiques notamment les révélations de la presse ou des ONG œuvrant dans le domaine des droits de l’homme. 

Selon une enquête «les discriminations ethniques ou liées à l’appartenance sociale sont pourtant présentes en entreprises» et il y a «consanguinité de l’encadrement supérieur de certaines entreprises dans l’industrie ou le secteur financier».

Les discriminations dans l’entreprise

Dans le contexte marocain, il y a rareté des connaissances pratiques des discriminations pratiquées dans l’entreprise. Le BIT a réalisé une étude sur « inégalités de de genre et pratiques d’entreprises au Maroc » en 20113 mais cette étude est trop générale et n’identifie pas les nids des discriminations elle n’a pas déniché les discriminations et leur état des lieux. Le Conseil national des droits de l’homme et l’Association ADALA ont effectué eux aussi une étude sur la question des discriminations dans l’entreprise. Cette étude n’a pas été vulgarisée sauf de manière rudimentaire.  70% des syndicalistes et 34% des inspecteurs du travail ont confirmé «l’existence de la discrimination au sein de l’entreprise marocaine, en raison du sexe de l’employé et de sa couleur de peau». Le port du foulard peut parfois constituer un handicap à l’accès à l’emploi ou une cause indirecte du licenciement. Dans certaines circonstances, il y a préférence non fondée du diplôme délivré par une école étrangère par rapport à celui d’une école nationale.il y a même une discrimination entre les diplômes en fonction de leur date d’obtention.

Selon une enquête « les discriminations ethniques ou liées à l’appartenance sociale sont pourtant présentes en entreprises» et il y a « consanguinité de l’encadrement supérieur de certaines entreprises dans l’industrie ou le secteur financier».

Les discriminations dans la fonction publique

Dans la fonction publique, il y a des statuts qui établissent le principe de l’égalité en matière de salaire, d’avancement et de promotion dans un cadre statutaire et ce, contrairement à qui ce qui se pratique dans l’entreprise dont les rapports sont contractuels.

Toutefois, les statuts des fonctionnaires qui ont été, dans leur quasi-totalité, presque similaires (exemple administrateur adjoint/ ingénieur d’application ; administrateur/ ingénieur d’Etat, information /informatiste spécialisé.) ont connu depuis les réformes entamées depuis 1987 une grande différenciation en matière de salaires, de promotion et d’avancement dans la carrière).

Dans les nominations aux emplois supérieurs, la loi organique n° 02-12 du 27/7/2012relative à la nomination aux fonctions supérieures et le décret de son application n° 2-12-412 du 11/10/2012 ne garantissent pas une égalité dans l’accès aux emplois supérieurs. L’autorité gouvernementale concerné prend un arrêté en vertu de l’article 3 du décret pour fixer les conditions à remplir pour les candidats notamment le niveau scientifique requis, les compétences professionnelles.

Elle est habilitée à constituer une commission chargée de l‘examen des candidats .le ministre concerné peut imposer n’importe quelles conditions, ou opter pour celles qui favorisent un candidat potentiel de sa famille , de son parti ou son ami et designer comme membres ceux qui répondent à ses désirs. D’où les critiques visant les nominations partisanes par la presse.

Par ailleurs, il y a des discriminations entre les fonctionnaires quant aux primes, motivations et œuvres sociales selon les ministères.

Le personnel relavant de la fonction publique communale est soumis à l’autorité des présidents des conseils communaux ruraux ou urbains et des présidents des conseils régionaux qui exercent des mandats politiques et par conséquent, il y a risque de discrimination pour raisons politiques ou syndicales qui peut se répercuter sur l’évolution de la carrière administrative du personnel communal. Un établissement public à caractère social fixe l’âge de participation à des concours à un âge très bas par rapport alors que l’âge maximum prévu pour les concours à la fonction public est 45 ans .d’où une discrimination fondée sur l’âge. Dans le domaine de la discrimination raciale, la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance Mme Tenday Achiume a déclaré que « l’égalité en droit n’assure pas l’égalité de fait » et a recommandé au gouvernement de compléter sa législation sur la discrimination raciale  et de concevoir un plan d’action national juridique et politique de lutte contre la discrimination raciale.

Pour un renforcement de l’égalité

La valorisation du principe de non-discrimination et de l’égalité dans l’emploi et la profession suppose la vulgarisation des droits fondamentaux au travail, l’appui des ONG aux victimes de discriminations, une forte implication des organisations professionnelles d’employeurs et de travailleurs et l’activation de la mise en place de «la commission « l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination».

Pour une  «autorité pour la parité»

Sur la base de l’article 19 de  la Constitution , loi n° 79-14 relative à l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination promulguée par le dahir n°1-17-47 du 21/9/2017[2]fixe les attributions , la composition , les modalités d’organisation et les fonctionnement.

Etant une institution nationale indépendante, cette Autorité jouit de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Elle est investie d’importantes missions dont certaines missions sont consultatives, d’autres se rapportent à l’examen des réclamations .Une autre catégorie concerne la sensibilisation et l’information et la formation sur la question de l’égalité et la non-discrimination.

En vertu de l’article 2 paragraphe 3, l’Autorité est habilitée à «recevoir et examiner les réclamations concernant les cas de discrimination portés devant (elle) par toute personne se considérant victime de l’un des deux cas , en formuler les recommandations aux autorités compétentes et veiller au suivi des suites qui leur sont réservées en coordination avec lesdites autorités».

Elle est aussi chargée d’encourager et d’inciter à la mise en œuvre des principes d’égalité, de parité et de parité dans tous les domaines de la vie publique et d’observer tout manquement à ces principes et proposer les mesures nécessaires pour leur respect.

L’Autorité est chargée aussi par le paragraphe 7 de l’article 2 «d’assurer l’observation et le suivi des formes de discrimination dont les femmes sont victimes, émettre toute recommandation  qu’elle juge appropriée et proposer toute mesure efficiente en vue de rétablir les situations dues à tout comportement , pratique ou usage à caractère discriminatoire ou constituant un manquement au principe d’égalité entre homme et femme, sans qu’elles soient en contradiction avec les constantes de la nation». Sa composition est diversifiée et représentative.

La mise en place de cette instance pourrait promouvoir l’effectivité du principe de l’égalité et de la non-discrimination.

Section 2 :L’amélioration des politiques publiques des discriminations

La lutte contre les discriminations dans le domaine de l’emploi et de la profession n’exige pas uniquement l’adoption de lois les prohibant, encore faut-il mettre en place les mesures et les moyens pour garantir l’effectivité des législations antidiscriminatoires.

L’action publique de l’éradication des discriminations doit s’inscrire dans une politique publique globale cohérente et homogène.

Les deux plans gouvernementaux déjà conçus pour la promotion de l’égalité, c’est-à-dire, les plans transversaux de l’égalité couvrant les périodes 2012-2016 et 2017-2021 connaissent   des limites et n’ont pas généré d’impacts significatifs sur l’élimination des discriminations.

D’où la nécessité d’opter pour de nouvelles politiques plus efficaces pour éradiquer toutes les discriminations.

Section 3 : L’implication des organisations professionnelles d’employeurs et de travailleurs et de la société civile

Les organisations d’employeurs, les syndicats de travailleurs et les ONG œuvrant dans la perspective de promotion des droits humains ont un rôle crucial à accomplir dans la   lutte contre les discriminations dans les relations publiques et privées du travail, c’est-à-dire, dans l’emploi et profession.

Au sein de l’entreprise, les syndicats de travailleurs peuvent dénoncer les actes discriminatoires, lutter contre de tels actes , effectuer des audits de l’égalité et négocier les conditions de promotion de l’égalité et de la non-discrimination, intenter des actions judiciaires contre les actes discriminatoires ou s’adjoindre aux procès en cours  en tant que partie civile pour appuyer les victimes des discriminations. Les ONG ont un rôle identique dans ce domaine.

Les organisations d’employeurs peuvent elles aussi intervenir auprès de leurs membres, les chefs d’entreprises pour les sensibiliser sur la question de l’égalité et de la non-discrimination en tant que droit fondamental, droit humain et facteur de performance économique et sociale de l’entreprise. En collaboration avec des acteurs institutionnels, la CGEM a élaboré en 2007 un document « genre et performance économique des entreprises marocaines .Synthèse documentaire et statistique »et en 2009 « la responsabilité sociale de l’entreprise : les aspects relatifs au travail ». Ces documents avec d’autres sources supplémentaires peuvent constituer un cadre référentiel pour la préparation des audits et des diagnostiques des discriminations dans l’entreprise et l’élaboration de plans d’actions visant l’élimination de ces phénomènes.

 Toutefois, en dépit des rôles qui sont confiés, les organisations professionnelles notamment celles de travailleurs n’accordent pas d’importance à la question de l’égalité que ce soit aux niveaux des revendications ou des négociations collectives ou dans le dialogue social. La collaboration bipartite entre les syndicats et les employeurs au sein de l’entreprise et la collaboration tripartite entre ces deux acteurs professionnels et les pouvoirs publics concernés dans les domaines de l’information, de la consultation et de la consultation pourrait favoriser la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations dans l’emploi et la profession.

Section 4 : La promotion des droits fondamentaux au travail

Les droits fondamentaux au travail comprennent quatre grandes catégories de droits qui sont interdépendants et qui sont nécessaires pour la jouissance par les salariés des autres droits économiques et sociaux. Ces droits fondamentaux sont :

a) la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective ;

b) l’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire ;

c) l’abolition effective du travail des enfants ; et

d) l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.

La vulgarisation des droits fondamentaux au travail dans leur globalité au sein des organisations professionnelles d’employeurs et des syndicats de travailleurs et auprès des employeurs pourrait aider à la promotion de l’égalité dans les relations du travail en tant que droit fondamental au travail.

Par ailleurs, la liberté syndicale et l’interdiction du travail forcé qui représentent elles aussi des droits fondamentaux peuvent en cas de leur respect contribuer à la valorisation de l’égalité et à l’éradication des discriminations dans les lieux du travail.

Le respect de la liberté syndicale, du principe de l’égalité et la non-discrimination permettent d’éviter la traite des personnes et le basculement vers le travail, l’exploitation économique et l’atteinte à la dignité des travailleurs.

Conclusion

Les discriminations existent partout y compris dans les pays démocratiques .Elles sont fondées sur plusieurs considérations illégitimes. L’égalité est un objectif est atteindre. Elle est une des conditions de la démocratie.

L’égalité et la non-discrimination revêtent une dimension globale juridique, politique économique sociale et culturelle. En dépit de cette généralité, la question de l’égalité et la non-discrimination a été traitée dans cet article dans sa dimension professionnelle. Malgré l’importance de la législation (abstraction de certaines lacunes et insuffisances) protectrice du droit à l’égalité et à la non-discrimination, l’impact positif demeure limité car la mise de ce droit n’est pas judiciarisée. D’autres mesures notamment des actions publiques consistant en des politiques publiques de lutte contre les discriminations, la formation et la sensibilisation ainsi qu’une forte implication des acteurs institutionnels et professionnels sont indispensables pour faire régner le principe de l’égalité et de la non-discrimination en général et dans la vie professionnelle.

Par Ahmed Bouharrou

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