La désillusion est amère. Elle n’arrive pas à bousculer l’engagement ou à démotiver la militance, mais elle laisse une meurtrissure dont le rétablissement cache toujours la lésion profonde.
Les conditions d’une approche objective et sereine des causes de cette déconvenue restent éparses, et plus ou moins vigoureuses, auprès de celles et de ceux qui la ressentent. En lui-même, ce fait lui donne un aspect de « mur des lamentations » qui empêche le dépassement de la subjectivité et annihile la réflexion placide et froide sur les faits et les positionnements qui ont été optés au moment où il fallait choisir.
Il est alors simple de rejeter la faute sur l’autre, de ne voir en lui que l’objet de manœuvres censées le faire écarter pour garder pour soi tout ce qui a été acquis par la lutte de l’ensemble.
Si le champ politique national laisse apparaître la partie visible de l’iceberg, où les organisations, les tendances politiques, voire les individus, s’expriment sans toute la rigueur requise sur le déroulement des événements et des positionnements conséquents, beaucoup de faits restent à mettre en évidence pour comprendre ce comportement et la situation politique actuelle qui en est issue. Il est clair que l’histoire récente du Royaume du Maroc est encore à écrire pour « rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu. ».
Sauf que, pour cette actuelle et amère désillusion, on ne peut en vouloir au peuple, aux masses populaires ; à leur ignorance, à leur inconscience, à leur égarement et à leur tendance profuse vers la facilité, vers les plaisirs du corps, du football à la danse, et aux comportements sociaux induits par la corruption de l’âme. Il en a été toujours comme cela, seuls les moyens et les proportions changent !
Vouloir se transformer en rédempteur, après des années de mobilisation pour la libération de soi et des autres, rejoint le chemin des prédicateurs qui veulent maintenir la société prisonnière de leurs boniments.
Cette volonté de vouloir prendre ses distances avec le peuple pour trouver son âme n’est-elle pas le péché originel de la désillusion présente ?
La lutte contre le colonialisme, la lutte pour la mise en place d’un Etat indépendant et souverain, la lutte pour l’intégrité territoriale, la lutte pour la mise en œuvre des principes démocratiques, des libertés individuelles et collectives, la lutte pour l’établissement d’une économie nationale au service du développement des marocain(e)s dans leur ensemble et non seulement d’une infime partie d’entre eux, la lutte pour l’émancipation de la société et sa libération des forces obscurantistes et réactionnaires ; la gestation de l’ensemble de ses luttes, pour l’essentiel, la mobilisation et les avancées démocratiques qui en résultaient ne relevaient-elle pas des masses populaires et de leurs aspirations ?
De quel droit voudrait-on s’accaparer ce rôle de redresseur des torts sans que le peuple y soit associé pleinement et consciemment ? Graine de totalitarisme et de mépris pour les masses populaires qui affleurent par l’amère désillusion !
Certes, les temps sont difficiles comme peut être ils ne l’ont jamais été. Autant pour le gouvernement et sa majorité tricéphale qui n’arrivent pas à s’exprimer et encore moins à prendre les dispositions qui s’imposent, à l’instar d’autres exécutifs aussi néolibéraux qu’eux, pour parer à la dégradation du pouvoir d’achat de la population, consolider le processus démocratique dans tous ses aspects et renforcer le front intérieur face à l’adversité. Autant pour l’opposition, hétérogène et dispersée, ayant un œil sur ses affaires internes et un autre sur les possibilités d’un remaniement gouvernemental de plus en plus requis ; et autant plus encore pour les masses populaires qui ne cessent d’avaler des couleuvres sans pour autant voir leurs situations s’améliorer alors qu’une infime minorité se fait plein les poches.
Il est clair que l’action politique doit changer sans reniement. Son adaptation aux transformations de la société ne relève pas de l’invention de l’eau tiède. La prise en compte des nouveaux moyens de communication, utilisés en masse, est nécessaire sans qu’elle encourage la médiocrité, la polémique stérile, l’usage du faux et la vindicte verbale. La prise en compte du rapport des forces au sein de la société et de son évolution n’est pas antagonique avec l’élargissement des libertés collectives et individuelles. Le rôle de l’Etat reste déterminant dans la lutte contre le sous-développement et sa gouvernance doit s’améliorer pour mettre fin aux disparités spatiales et aux inégalités sociales. L’économie ne peut émerger sans le respect du droit et de la justice sociale. La culture ne peut devenir ce liant national puissant si sa diversité n’est pas prise en considération. La politique ne peut réussir si les déconvenues se perpétuent et conduisent à l’effondrement des intelligences.