Entretien avec le réalisateur marocain, Mohamed Abderrahman Tazi:
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
La cérémonie d’ouverture du Festival national du film de Tanger a été marquée par un vibrant hommage rendu au cinéaste marocain Mohamed Abderrahman Tazi. En effet, le public assoiffé du 7ème art a été au rendez-vous lors de la projection de son nouveau long métrage «Fatema, la sultane inoubliable», un biopic, retraçant la vie et le parcours de la sociologue et grande figure du féminisme au Maroc. Derrière la caméra, Mohamed Abderrahman Tazi livre un récit de vie riche que singulier. Rencontre.
Al Bayane : Le FNF de Tanger vous a rendu un vibrant hommage lors de la cérémonie d’ouverture. Quelle en était votre impression en associant votre hommage à celui de Nour-Eddine Saïl?
Mohamed Abderrahman Tazi : D’être associé à un hommage posthume à Nour-Eddine Saïl est un honneur. J’étais très touché dans la mesure où c’est un ami de plus de 50 ans, parce que je l’ai connu au moment où on préparait le film «Wachma» alors que j’étais à l’époque dans le groupe, sous forme d’une coopérative culturelle, et grâce à lui ce film a pu voir le jour.
C’est le premier souvenir de ma rencontre avec Nour-Eddine Saïl, et depuis nous sommes devenus des amis. On a fait des émissions pour la télévision. En suite, c’est grâce à lui que j’ai pu faire le film «le grand voyage ». Cet hommage à un double sens pour moi : un hommage à ma carrière, un hommage à tout ce parcours de 58 ans. En même temps avec Nour-Eddine Saïl, c’était un sentiment de fierté.
Le public n’a pas manqué la projection de votre nouveau film « Fatema, la sultane inoubliable. » De prime abord, pourquoi ce personnage ? Pourquoi le bioptic ? Ce format était-il un choix inscrivant dans votre exploration de nouveaux genres cinématographiques?
Le cinéaste c’est comme un chercheur, parce qu’il ne peut pas être sur le même sujet. J’ai fait de la comédie, de la tragédie et je souhaiterai faire du Western…. Mais entre temps, il y a eu cette personnalité de Fatema Mernissi qui nous a quittés. Pour moi, c’est un devoir de pouvoir lui rendre un hommage à ma manière. C’est une vision d’un artiste sachant que notre relation amicale et familiale m’a permis de connaitre cette femme sur tous les plans. Je tenais à faire ce film parce que c’est un devoir en quelque sorte.
Or, j’ai voulu faire ce film de son vivant. Puis, il y a moi dedans. C’est-à-dire, on me voit à des moments où Fatema était des fois très triste ou joyeuse. C’est un moyen d’exprimer à ma manière ces souvenirs que j’ai passés avec cette femme et que nous sommes en devoir de rendre hommage à nos icônes et penser à notre patrimoine, à nos personnalités : Ali Yata, Abderrahim Bouabid, Sadiki, Laâlaj et d’autres qui méritent des films. Aujourd’hui, malheureusement, la voix qui se dessine est celle du divertissement pour le cinéma marocain…et c’est triste.
Au-delà de ce devoir de mémoire à cette sommité de la pensée marocaine, africaine et arabe, le film est un témoignage, un récit de vie bien documenté parce qu’on y voit par exemple des références aux figures emblématiques de la peinture marocaine (Farid Belkahia, Chaïbia Talal) , mais aussi ses voyages et déplacements multiples. Parlez-nous un peu de ce travail qui a été fait sur la documentation ?
J’ai fréquenté Fatema, j’étais dans sa maison où elle recevait des artistes, des poètes, des peintres, des écrivains, des photographes. Pour moi, leur description était facile sans dire que c’est Belkahia ou autre. Ce n’était pas difficile de reprendre chaque personnage et de voir quelques primes de ce passage avec la poésie, la peinture. Le travail du biopic est très difficile parce qu’il faut être fidèle au personnage et à l’époque parce que les gens sont encore vivants. C’est un grand bonheur de pouvoir révéler tous ces souvenirs.
Le personnage de Mernissi est filmé avec beaucoup de sincérité. La preuve : le film a pu séduire le public jusqu’au bout. Quel est votre secret ?
Le secret, c’est la sincérité. Il faut être sincère de ce qu’on exprime. Il faut être fidèle à ses idées. Il faut les maintenir à tout moment. Et il faut faire le film du cœur. C’est le plus important. J’ai fait ce film parce que j’ai envie d’exprimer des choses et non pour gagner de l’argent. Ce film est de la mémoire individuelle que j’espère nous rejoindre à la mémoire collective. Il faudrait aussi que les jeunes puissent découvrir notre patrimoine. Ce film est pour le Maroc et les marocains.
La talentueuse actrice Meryem Zaimi a incarné avec brio le rôle de Fatema Mernissi. Comment avez-vous travaillé sur ce personnage à la fois unique et singulier ?
L’évolution du personnage durant 40 ans n’est pas assez facile. Généralement, pour ce genre de film, il faudrait deux ou trois comédiens pour jouer le même rôle. Je tenais à ce que ça soit la même. Et c’était vraiment un défi dans la mesure où je croyais en le maquilleur parce que je savais qu’il pouvait réussir dans la mesure où on voit Fatema quand elle avait 35 ans ou 75 ans. Meryem Zaimi est une grande comédienne qui a interprété avec brio ce personnage.
Dans le film, il y a ce long voyage avec le personnage dans les grandes étrapes de sa vie. Du Msid en passant par l’université et d’autres espaces et villes.
J’avais des archives sur Fatema. J’en ai beaucoup que j’ai filmés pendant ces voyages, et j’en ai placé quelques uns. Je suis heureux d’être arrivé au bout de ce film malgré toutes les difficultés, parce qu’on devait le tourner au début de l’année 2020. Avec cette tragédie de la Covid-19 on a retardé et reporté… et finalement on a pu lancer le film.
Pensez-vous qu’il est temps de s’intéresser beaucoup plus à nos signatures et figures emblématiques de l’art et de la culture telles que Mohamed Kacimi, Farid Belkahia ou d’autres en réalisant des films ou biopic sur leurs parcours et vécus?
J’ai fait des films sur Kacimi. Ils sont inédits. C’était un grand ami. J’ai deux documentaires qui méritent d’être vus. Ils sont très beaux non pas parce que je les ai faits, mais j’estime qu’il s’est confié à moi, et on a pu faire des choses en commun.
A l’instar des autres pays, où en sommes de la contribution de nos chaînes de télévision en matière de l’encouragement de ce genre de films visant à braquer les lumières sur ces figures de proue de la culture ?
Dans chaque téléfilm que j’ai présenté à la télévision, il y a un message, il y a quelque chose… et c’est ce qu’on devrait mettre en valeur. Il faut faire quelque chose qui marque, un petit sillon dans notre mémoire pour ce pays là. Et ce qui est le plus merveilleux, c’est la reconnaissance du public et de ceux qui ont le pouvoir de décision et avoir au moins l’écoute. Et c’est triste : combien de fois j’ai lancé un appel pour toutes ces écoles de cinéma pour pouvoir faire profiter les étudiants de mes 50 ans d’expérience : silence radio !!! Il faudrait qu’on y pense à ces jeunes-là. Je suis triste de voir qu’il y a un manque d’information parce que les gens qui leur donnent ces informations sont mal informés ou ils n’ont aucune information à fournir.
Peut-on espérer aujourd’hui à une école de cinéma proprement marocaine, notamment avec certaines productions cinématographiques manquant de profondeur et de vision?
En effet, maintenant qu’on voit tous ces films qu’on fait, il y a la technologie mais il y a un manque d’idées. Il n’y a pas de profondeur. C’est triste de voir un film ou un téléfilm et le lendemain on l’oublie. C’est la culture du divertissement qui prime. C’est triste aussi de voir aujourd’hui un public qui est très influencé par le Ramandan. Et aujourd’hui ça passe au cinéma. On est entrain de faire des téléfilms qui ressemblent à ces séries et on rejoint à ce qu’on dit en Egypte «Al Joumhour Ayez Kida». Et si on va dans ce sens là, on espérera jamais à avoir une écoule marocaine de cinéma.
Un dernier mot peut-être pour les lecteurs d’Al Bayane…
D’abord, j’ai beaucoup de respect pour le lecteur d’Al Bayane. Je suis un lecteur, et je ne dirai pas très assidu, mais je lis tout ce qui est page culturelle aussi bien sur l’électronique que le papier qui existe toujours. Je suis fier de dire qu’il y a une ligne éditoriale en ce qui concerne la culture qui continue et qui est pérenne. Et ça, c’est important!