Agricultrices, commerçantes, mères de familles…Elles sont sur tous les fronts et de tous les combats. Leur vie se déroule entre trois espaces: le foyer où elles se chargent des tâches ménagères et de l’éducation des enfants, le champ où elles participent, côte à côte avec l’homme, au travail agricole, et le souk où assurent elles-mêmes la commercialisation de leur récolte. Elles, ce sont les femmes rurales auxquelles l’ONU rend hommage le 15 octobre de chaque année, à l’occasion de la Journée internationale de la femme rurale.
Cette journée est consacrée à jeter la lumière sur le combat quotidien livré par ces braves femmes afin de subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles et évoluer dans un environnement souvent hostile fait de discriminations de tout genre, exploitation économique et manque de reconnaissance.
C’est, justement, pour attirer l’attention sur la situation de ces femmes, aussi productives que leurs homologues masculins mais moins considérées et moins valorisées, l’ONU a placé, cette année, la journée internationale de la femme rurale sous le thème « Une agriculture adaptable au climat pour l’égalité des genres et l’émancipation des femmes et des filles rurales ».
Le constat est frappant: Les femmes représentent 43% de la main-d’œuvre dans le secteur agricole, s’acquittent du même travail que les hommes (élevage, entretien des cultures, cueillette, moisson et même commercialisation), en plus de leur travail domestique, non rémunéré et invisible. Pourtant, en matière d’accès aux moyens de production, aux services publics tels que l’éducation et la santé et aux infrastructures comme l’eau et les services d’assainissement, elles restent largement marginalisées par rapport à leurs confrères hommes. Ces discriminations basées sur le genre existent partout dans le monde, mais elles sont plus marquées et poignantes dans les pays du Sud et en Afrique où la main d’œuvre agricole est constituée à 70% de femmes.
Selon la FAO, parvenir à l’égalité des genres en termes d’accès aux terres et aux moyens de production, à l’information et au financement, aiderait l’Afrique à accroître la production agricole de 20%. Cette égalité permettrait aussi aux femmes, comme aux hommes, d’adopter des techniques et stratégies adaptées aux changements climatiques pour assurer une continuité de leur production. De fait, garantir un accès égal aux hommes et aux femmes à la propriété foncière et aux autres ressources productives assurerait tout à la fois l’égalité des genres, la sécurité alimentaire et la gestion du climat.
Les changements climatiques n’arrangent pas les choses pour ces « superfemmes » en mal de reconnaissance. Ils compliquent leur accès, déjà limité, aux technologies, à la propriété, aux intrants, au financement abordable et de long terme, à l’eau, à l’énergie, aux infrastructures et aux services liés à l’exploitation. Au milieu de toutes ces barrières, les charges du travail qui augmentent et l’hégémonie masculine, les femmes rurales doivent continuer leur combat pour entretenir leurs familles, assurer la sécurité alimentaire de la communauté et contribuer à une croissance économique dont elles ne profitent pas, ou très peu, de l’usufruit.
Au Maroc, à l’aube de l’indépendance, les efforts de développement rural, qui étaient focalisés sur les problèmes économiques, et les mesures visant à accroître la production agricole étaient essentiellement conçus pour et dirigés vers les « agriculteurs chefs d’exploitation » qui sont, bien entendu, des hommes.
Cet état d’esprit semble aujourd’hui dépassé, puisque les autorités publiques et la société commencent à prendre au sérieux les apports sociaux et économiques des femmes de la campagne.
Les efforts sont actuellement centrés sur l’autonomisation des femmes rurales pour leur permettre de prendre leur vie en main, renforcer leurs capacités en matière de gestion, valorisation et commercialisation de leur production et, par là, mieux les intégrer dans la vie économique et sociale.
Dès son lancement en 2005, l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) a opéré une certaine révolution en la matière, en encourageant, par un appui financier, logistique et moral, les femmes rurales à monter ou s’impliquer dans des activités génératrices de revenus (notamment dans le cadre des coopératives) qui ont permis de sortir des milliers d’entre elles des affres de la pauvreté, de la précarité et de l’exclusion.
Au niveau des politiques publiques, la question de la promotion et de l’autonomisation de la femme rurale occupe désormais une place centrale dans les stratégies et les programmes gouvernementaux (le plan gouvernemental pour l’égalité « Ikram », le programme multisectoriel de lutte contre les violences fondées sur le genre par l’autonomisation des femmes et des filles au Maroc « Tamkine », le Plan Maroc Vert, le Fonds de Développement Agricole, le Fonds de développement rural et des zones montagneuses…).
Malgré ces avancées, la situation de ces femmes laisse encore à désirer. En effet, plus de sept femmes sur dix (71,8%) en milieu rural sont analphabètes, contre environ quatre sur dix (39,9%) en milieu urbain, selon un rapport du Haut-commissariat au Plan sur « Femmes marocaines et marché du travail: Caractéristiques et évolution », publié en 2014.
Le même document relève que, si en milieu urbain, la part des femmes exerçant des emplois sans rémunération ne constitue que 4,9% de l’ensemble de l’emploi féminin dans ce milieu, cette part s’élève à 73,8% pour les femmes rurales, dont 73,6% sont des aides familiales, exerçant principalement dans des activités agricoles.
Autant dire que, pour restaurer ces femmes dans la place qui leur échoit dans la société et le système économique, il reste tout un travail à faire sur divers plans. A commencer par celui de la sensibilisation dans lequel les médias ont un rôle primordial à jouer, pour mettre en valeur les mérites et les apports, non rémunérés mais inestimables, de ces soldates de l’ombre qui dédient leurs vies à leurs familles et leur communauté sans jamais se plaindre. PS.
Meriem Rkiouek (MAP)