Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi
La Cour Internationale de Justice, qui siège à La Haye et qui s’était faite toute petite lors des invasions de l’Irak, de la Libye, de l’Afghanistan, de la Syrie, du Yémen, de la Somalie et j’en passe, s’est subitement réveillée, mercredi dernier, de sa légendaire léthargie, en se déclarant « profondément préoccupée » par l’ampleur des combats qui se déroulent en Ukraine.
En s’exprimant dans le cadre de la procédure d’urgence qui avait été lancée par Kiev quelques jours avant le déclenchement de l’offensive russe, la juge-présidente de la CIJ, Joan Donoghue, a affirmé qu’après avoir pris « conscience de l’ampleur de la tragédie humaine » qui se déroule en Ukraine, la Cour est « profondément préoccupée par l’emploi de la force » car cela soulève « de très graves problèmes de droit international » et ordonne, en conséquence, à la Russie de suspendre, immédiatement, ses opérations militaires en Ukraine.
C’est à croire que, lors de leur entrée dans les pays précités, les troupes US et leurs alliés de l’OTAN avaient offert des fleurs à la population et que celle-ci les avait accueillis en chantant et en dansant alors qu’il ne s’agit-là que d’un deux poids-deux mesures incompréhensible que le bon sens ne peut que réprouver fermement.
Si les jugements de la CIJ sont contraignants et sans appel dès lors qu’elle fonde ses conclusions sur les traités et les conventions, il y a lieu de préciser, toutefois, que, non seulement elle ne dispose d’aucun moyen pour les faire respecter mais que même le verdict portant sur le fond du conflit entre les deux pays ne pourrait pas voir le jour avant plusieurs mois voire même des années.
Aussi, en considérant que cette décision qui « ordonne à la Russie de suspendre les opérations commencées le 24 Février 2022 et dont les prétextes déclarés sont de prévenir et de réprimer un prétendu génocide dans les régions de Lougansk et de Donetsk en Ukraine » ne constitue qu’une première étape, Anne-Claire Legendre, la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, a annoncé que bien que la procédure judiciaire y afférente « dans laquelle la Cour examinera, au fond, les graves violations du droit international commises par la Russie » est longue, la France « comme l’y autorise le Statut de la Cour Internationale de Justice, se tient prête à intervenir… en soutien à l’Ukraine car cette affaire concerne également (les) intérêts fondamentaux (de la France) pour le plein respect du droit international ».
Mais, si pour Melanie O’Brien, professeur de droit international à l’Université d’Australie occidentale, l’intervention de la France constitue « l’un des actes les plus forts qu’un Etat peut entreprendre pour soutenir l’Ukraine face aux violations du droit international par la Russie », Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin a tenu à préciser, de son côté, que du moment que la mise en œuvre de la décision de la CIJ reste tributaire de l’accord des deux parties et que celui-ci « ne peut pas avoir lieu » dans l’état actuel de choses, la Russie se voit donc contrainte de ne point « tenir compte » de la décision prise par la juridiction précitée.
Ainsi, même si, en réponse à la demande de Kiev, la Cour a décidé de prononcer des mesures d’urgence dites conservatoires pour ordonner à la Russie de suspendre immédiatement ses frappes, Moscou qui a réfuté, dans un document écrit, la compétence de la CIJ sur la requête de l’Ukraine au motif qu’elle ne relève pas du champ d’application de la Convention de 1948 sur le génocide sur laquelle Kiev a fondé son dossier, a refusé de comparaître lors des audiences tenues par cette Cour les 7 et 8 mars.
En outre, bien qu’en considérant que l’offensive qu’elle a mené contre l’Ukraine constitue un « acte de légitime défense », la Russie a demandé « respectueusement à la Cour de s’abstenir d’indiquer des mesures conservatoires », la CIJ a estimé, de son côté, qu’au regard de la Convention sur le génocide, elle a bel et bien compétence dans l’affaire quand bien même ce dossier va prendre du temps.
Il y a lieu de signaler, enfin, que même la Cour Pénale Internationale (CPI), également basée à La Haye, s’est intéressée au conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine puisque c’est dans le cadre de son enquête sur des allégations de crimes de guerre, que son procureur, le britannique Karim Khan, s’est rendu ce mercredi en Ukraine.
Y’a-t-il de bonnes raisons d’espérer que les décisions qui seront prises par les juridictions internationales précitées vont pouvoir faire taire le grondement des canons et épargner à la région et au monde la violente déflagration qui se profile à l’horizon ? Peu sûr mais armons-nous d’espoir et attendons pour voir…