Il y a 20 ans, le grand saut dans l’euro

Janvier 2002-janvier 2022

Adieu francs, lires, marks, pesetas : le 1er janvier 2002, trois ans après sa naissance officielle, les habitants de douze pays européens peuvent enfin tenir l’euro dans leurs mains.

Retour sur les premiers jours de ce grand saut historique, entre euphorie et réticences, grâce aux archives de l’AFP.
« Café, croissant, baguette et fleurs : les Français ont inauguré l’euro dans les petits commerces avec beaucoup de curiosité », raconte une dépêche matinale, ce 1er janvier.

« Certains fêtards, en particulier, ont fait du retrait d’euros une des attractions de leur réveillon » pour palper sans attendre la nouvelle monnaie : 450.000 retraits ont eu lieu pendant la nuit aux distributeurs de billets.
Devant l’une de ces machines, une femme observe son billet : « Ça fait un an que j’attends ça, on peut enfin les toucher ». « De toute façon, on n’a pas le choix », commente un passant stoïque.

Pour les premières dépenses en euros « concrets », les petits commerçants ouverts sont en première ligne en ce jour férié. Et tentent de se plier à l’obligation de rendre autant que possible la monnaie en euros, même quand ils sont payés en francs, encore acceptés pour quelques semaines.

Gare de l’Est, une guichetière s’arme de patience face à des clients chargés de vieilles pièces jaunes. « J’essaie de rassembler dix francs en mitraille pour m’en débarrasser parce que ma boulangère n’en veut plus », explique l’un d’eux.
Les jours suivants, changement d’échelle: l’activité reprend, les grands commerces entrent dans la danse.
« Les pièces se ressemblent toutes », se plaint à Dublin l’employée d’une chaîne vestimentaire irlandaise. « Et ils devraient abandonner la plus petite, la pièce d’un cent, qui est ridicule ».

Tout se passe bien à Athènes, où l’AFP raconte un passage à l’euro « dans la bonne humeur ».
Sauf exception: au marché central, un bastion populaire situé au pied de l’Acropole, la drachme continue le 3 janvier à régner dans les échanges. « Leur monnaie de barbares, qu’ils se la gardent », tonne un boucher.
En Italie, où le gouvernement de Silvio Berlusconi se déchire au sujet de la nouvelle monnaie unique, les queues s’allongent dans les banques, les postes et devant les billetteries des gares. La police est appelée à la rescousse quand la situation s’envenime.

A Naples, un numéro vert « SOS euro » est mis en place pour signaler erreurs et abus dans les conversions, dont se plaignent les consommateurs italiens.
Certains ajustements de prix par le haut ne passent en effet pas inaperçus.
Comme au Vatican, où la « bénédiction papale » sur parchemin passe de 5.000 lires à 3 euros, soit une hausse de 0,46 euro. Les musées du Vatican et la visite à la coupole de la basilique Saint-Pierre deviennent aussi plus chers.

En Espagne, de nombreuses boutiques de « tout à 100 pesetas » (0,60 euro) passent au « tout à un euro ».
Dans la plupart des douze pays, les histoires « d’arrondis » exagérés se multiplient. Mais « aucun dérapage des prix généralisé n’a été constaté », assure la Commission européenne.

Le président de la Banque centrale européenne (BCE), le Néerlandais Wim Duisenberg, y met du sien pour convaincre : « Lorsque j’ai acheté un Big Mac cette semaine, accompagné il est vrai d’un milkshake à la fraise, cela m’a coûté 4,45 euros, c’est-à-dire exactement le prix que j’avais payé pour le même repas en deutschemarks » avant le basculement monétaire.

En France, le client d’un bar du centre-ville d’Auch s’est prémuni à sa manière contre toute hausse : un serveur s’est rendu compte, mais un peu tard, qu’il avait réglé sa consommation avec un billet factice de 5 euros d’un jeu de Monopoly.

A l’issue de cette première semaine, le principal problème est celui des pénuries de pièces et petites coupures, constatées dans plusieurs pays.
Aux Pays-Bas, élève modèle du passage des transactions en euros, des supermarchés et stations services, à court de petite monnaie, décident au bout de quelques jours de rendre à nouveau la monnaie en florins.
Les Espagnols sont appelés à ne pas thésauriser des euros pour éviter les pénuries qui se profilent.

En France, le gouvernement est surpris par « la précipitation des Français pour se débarrasser en quelques jours de tous leurs francs », dont les grosses coupures « cachées sous le matelas » ou les « pièces sorties des tirelires des enfants ».
Pour ne pas gripper le système, les autorités bancaires demandent aux Français de ne pas acheter « leur baguette avec un billet de 500 francs ».

Malgré ces difficultés, les premiers pas des pièces et billets en euros pour plus de 300 millions d’Européens sont largement salués comme une réussite.

« Même l’attachement légendaire des Allemands à leur deutschemark » n’a pas résisté au mouvement, relève l’AFP le 5 janvier.
« Je suis convaincu que le 1er janvier 2002 restera dans les livres d’histoire dans tous nos pays comme le début d’une nouvelle ère en Europe », s’enthousiasme Wim Duisenberg, surnommé « le père de l’euro ».

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