Sionisme, antisionisme et antisémitisme
Mokhtar Homman
Dans un article précédent nous avons présenté le bilan d’un génocide étendu sur plus de 15 mois, dont les images étaient diffusées quotidiennement en direct. Pourtant l’Occident (1), se déclarant être des démocraties avancées, parangon des droits de l’homme universels, poursuivirent leur soutien à l’extrême-droite raciste israélienne en fournissant armes, soutien financier, politique et diplomatique. Certains pays, dont la France – voudrait-elle devenir la fille aînée du sionisme ? – refusent même l’application de leurs engagements auprès de la CPI sous prétexte qu’Israël n’est pas signataire du Statut de Rome (suffirait-il de ne pas reconnaître les tribunaux pour ne pas être arrêté, échapper à la justice ?).
La plupart des grands médias occidentaux (2) cachent l’horreur des massacres, s’opposent, loin de leur déontologie, à toute forme de soutien à la juste cause du peuple palestinien : interdiction d’antenne, accusation systémique d’antisémitisme, journalistes agressifs transformés en porte-paroles de la propagande sioniste (3). À cela s’ajoutent des procès contre des militants pour le cessez-le-feu, les nombreuses interdictions des manifestations en faveur du cessez-le-feu ou en soutien du peuple palestinien, subrepticement ou ouvertement affublées d’antisémitisme. Les médias ont même procédé à l’inversion des rôles, comme lors du match de football à Amsterdam le 8 novembre 2024 entre une équipe néerlandaise et une équipe israélienne : les images d’agressions d’hooligans israéliens, qui se promenaient dans la ville deux jours durant scandant des slogans en faveur du génocide, contre des passants maghrébins ont été commentées comme une ratonnade de Maghrébins contre des supporters israéliens. Des dirigeants politiques européens se sont immédiatement enflammés suivant les « informations » des médias israéliens. Une rectification après vérification ? Après constatation d’une manipulation ? Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose.
Quelques exemples de massacres précédents en Europe et au Liban
Certains contestent l’usage du terme génocide pour décrire les évènements à Gaza. Rappelons quelques cas de massacres et de génocides qualifiés retenus dans la mémoire collective.
Le bombardement nazi de Guernica, 7 000 habitants, le 26 Avril 1937 en appui des fascistes espagnols avec des bombes y compris incendiaires, provoqua la mort d’environ plusieurs centaines de civils (4) et la destruction de 70% de la ville.
L’armée israélienne à Gaza, pour le même type d’opération, a tué à ce jour directement cent fois plus de civils par les bombardements aériens, de tanks et d’artillerie, par les tirs à volonté des soldats d’occupation, causant un taux de destruction équivalent. Cent fois plus sans compter les morts indirects par famine, manque d’eau, manque de soins.
À Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944, des contingents de la division blindée SS Das Reich, connue pour ses massacres de civils sur le front de l’est, assassinaient officiellement 643 civils, dont 247 femmes et 205 enfants. Seuls trente habitants survécurent. L’armée sioniste tue des femmes et des enfants dans les mêmes proportions à Gaza.
Les États-Unis et le Royaume-Uni bombarderont massivement Dresde en Allemagne, du 13 au 15 février 1945, causant plusieurs dizaines voire des centaines de milliers de morts civils, la ville étant entièrement détruite, alors qu’elle n‘était pas un objectif militaire. Dans la nuit du 9 au 10 mars 1945, les États-Unis bombarderont Tokyo avec des bombes incendiaires larguées par 279 bombardiers, tuant environ cent mille personnes, en grande majorité de civils. À cela il faut ajouter le lancement de deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945, tuant des dizaines de milliers de civils immédiatement et pendant des années, uniquement pour prouver au monde qu’ils disposaient de cette arme et montrer ses effets. Car la capitulation japonaise était due à l’entrée en guerre contre le Japon de l’URSS. Les bombardements contre des objectifs civils et l’usage du napalm au Vietnam provoqueront la mort de millions de civils. Peut-on attendre un quelconque effroi des dirigeants et des médias aux États-Unis et au Royaume-Uni face aux bombardements sionistes à Gaza ou au Liban ?
À Sabra et Chatila du 16 au 18 septembre 1982, soit pendant trois jours, les milices phalangistes au service d’Israël massacrèrent entre 800 et 3 500 victimes selon les estimations, avec le soutien effectif de l’armée israélienne qui bloqua les sorties des camps et fournit l’éclairage de nuit nécessaire au massacre. Les miliciens ont commis des exécutions sommaires, des viols, des tortures et des massacres de masse. Les victimes étaient majoritairement des civils, notamment des femmes, des enfants et des personnes âgées. L’ONU qualifia ce massacre de génocide.
À Srebrenica 8 000 hommes et garçons musulmans furent assassinés par les milices serbes en Juillet 1995, sous l’œil impassible de 400 casques bleus néerlandais, un massacre qualifié par la CIJ de génocide le 26 février 2007.
Cette liste de massacres et génocides, unanimement reconnus, donne la dimension du génocide à Gaza que les sionistes et leurs soutiens continuent pourtant de nier sous prétexte de « droit à se défendre » uniquement pour Israël.
Pourquoi Israël bénéficie de l’impunité en Occident ?
Ces mêmes « démocrates » usent et abusent de l’argument d’antisémitisme (5) pour interdire l’expression populaire de solidarité avec le peuple palestinien. Rappelons que dans certains pays, tels la France et l’Allemagne, la législation confond antisionisme et antisémitisme, ce qui revient à interdire l’expression de toute critique politique d’Israël et de ses soutiens, comme on est en droit de le faire pour tout autre État dans le monde.
Comment et pourquoi en est-on arrivé à ces massacres ? Pourquoi, alors qu’ils sont diffusés en direct, cette indifférence occidentale, ce consentement au génocide, et surtout pourquoi Israël a-t-il ce soutien, bénéficie d’un flot d’armes létales depuis plus d’un an dont les pays occidentaux fournisseurs connaissent l’usage et le parrainent ?
Pourquoi hors de Palestine les mêmes faits auraient suscité une autre réaction, un embargo sur les armes ? Pourquoi ce n’est pas le cas lorsque c’est Israël qui les commet ?
La réponse comporte trois volets : l’intérêt économique, l’affinité idéologique et cet étrange mélange d’antisémitisme et de compensation des crimes antisémites chez les Occidentaux.
Nous développerons le point économique dans des articles ultérieurs. Nous allons étudier ci-après les deux autres volets.
Sionisme : un colonialisme singulier
En quoi les trois concepts de cette étude, sionisme, antisionisme et antisémitisme, sont liés et pourquoi nous ne parlons pas classiquement d’oppression coloniale et de lutte de résistance et de libération d’un peuple occupé, opprimé ?
En effet l’occupation de la Palestine et la lutte opposant les forces coloniales aux forces de la résistance revêtent des caractéristiques qui les distinguent d’autres luttes anticoloniales, même si toutes sont particulières, comme par exemple les luttes anticoloniales marocaines, algériennes, vietnamiennes. Les caractéristiques particulières de la colonisation de la Palestine sont les suivantes.
Il s’agit d’abord d’une colonisation de peuplement, comme l’ont été les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’Argentine, marquées par le pillage de la terre et le nettoyage ethnique des populations indigènes. A la différence par exemple de la colonisation du Maroc (sous forme de Protectorats français et espagnol), de la plupart des pays africains (la colonisation de l’Algérie, du Zimbabwe – ex Rhodésie – et de l’Afrique du Sud comportaient une part de peuplement) et des pays asiatiques (Indochine, Indonésie, Inde …) où les colons étaient très minoritaires tout en tenant le pouvoir. Autrement dit une population venue d’autres territoires, lointains, s’installant sur un territoire dont elle chasse et élimine par la force les habitants autochtones.
Cette colonisation existe en droit international du fait d’une résolution de l’ONU créant l’État d’Israël à partir de l’immigration européenne (n°181 en 1947 : 33 pour, 13 contre comprenant les 10 pays musulmans membres + Cuba, Grèce et Inde, 10 abstentions y compris le Royaume-Uni). Dans la même résolution est stipulée la création de l’État de Palestine, création qui n’aura pas lieu. La création de l’État palestinien ne relève pas d’une immigration, d’une colonisation, mais de la reconnaissance du droit à un État d’un peuple existant sur sa terre depuis des millénaires.
L’octroi par les Nations Unies d’une partie de la Palestine au profit du Yichouv (« société » en hébreu), c’est à dire à des colons et autres arrivants européens juifs d’obédience et d’idéologie sioniste, ont été le résultat des situations spécifiques en Europe au XIXe siècle et porte donc les stigmates de l’idéologie colonialiste de l’époque, concrètement celle du colonialisme britannique (6) y compris dans son exécution territoriale. La résolution créa un État importé en compensation des crimes nazis commis en Europe au XXe siècle.
La colonisation de la Palestine se fonde, aux yeux de ceux à qui elle a profité, sur un pseudo droit « biblique » à la terre identifiant, contre toute rigueur scientifique et historique, un ancien royaume d’Israël à l’Israël d’aujourd’hui, en sus de la vacuité et de l’inexistence d’un tel droit.
Elle prend « justification compensatoire » auprès des puissances occidentales de la barbarie nazie contre les personnes de confession juive en Allemagne et l’antisémitisme officiel et populaire qui a prévalu en Europe en général depuis la fin de l’Antiquité et qui perdure de nos jours de manière sournoise (aussi, ouvertement, à l’égard des autres sémites : les Arabes).
Elle est construite par l’expulsion massive des populations palestiniennes de leur terre, la Nakba, par le terrorisme sioniste en 1948-49 (7).
Elle se caractérise par les guerres contre les pays arabes : guerres généralisées (1948, 1956, 1967, 1973), les invasions du Liban (1982, 2006, 2024 …), les opérations militaires mortifères à Gaza, les attaques régulières contre la Syrie, contre l’Irak (Osirak en 1981).
Elle est marquée, à un niveau jamais égalé, par la violation constante et ouvertement assumée des résolutions de l’ONU condamnant Israël depuis 1948 (8), 94 au total sans veto des États-Unis.
En corollaire, elle est constituée par l’expansion coloniale permanente et les nombreuses actions militaires massives avec crimes de guerre, un terrorisme multiforme (par l’armée et les colons) permanent, notamment en Cisjordanie, au Golan, et surtout à Gaza sous forme de génocide.
C’est ce qui nous amène à traiter de la question du sionisme, de l’antisionisme et de l’antisémitisme. Car en Occident, la confusion antisionisme avec antisémitisme est l’arme idéologique, l’arme politique fondamentale utilisée pour justifier et soutenir la poursuite de la barbarie sioniste, pour lui créer un écran d’impunité, pour éviter la condamnation de la politique israélienne que tout être humain devrait moralement faire.
C’est une question extrêmement importante dans la lutte pour la libération du peuple palestinien. Elle l’est, fondamentale, pour les forces progressistes et d’émancipation dans le monde. Nous allons voir qu’elle l’est aussi pour la préservation du droit international, sur le plan géopolitique et pour l’avenir de l’Humanité.
Quel monde demain ?
Le génocide commis à Gaza s’inscrit aussi dans le cadre d’une agressivité accrue de l’impérialisme occidental, comme on le voit dans les causes de la guerre en Ukraine, dans les menaces contre la souveraineté et l’unité de la Chine, dans le deux poids deux mesures pratiqués par l’Occident, dans la violation permanente du droit international que l’arrivée de Donald Trump au pouvoir illustre de manière extrême. Occident qui cherche par tous les moyens maintenir son hégémonie économique et militaire à l’heure où la plupart des pays et peuples militent pour une gestion multipolaire et pacifique des questions environnementales, de développement, de bien-être de l’Humanité.
Car l’enjeu est aussi le monde de demain : un monde dominé par la loi du plus barbare sans aucun cadre international permettant d’éviter ou pour le moins juguler les crises, ou un monde régi par la coexistence et la coopération entre les peuples et les nations. À l’heure où l’Humanité fait face aux gravissimes menaces du changement et dérèglements climatiques, déjà à l’œuvre, à l’heure où des multinationales géantes visent la prise de pouvoir au niveau mondial (9), à l’heure où de nouvelles technologies très puissantes peuvent être utilisées à bon ou mauvais escient, à l’heure où le sous-développement, la faim, les épidémies font toujours des ravages pour des centaines de millions d’êtres humains.
Mokhtar Homman, le 9 Février 2025
Demain : IV – Les origines et caractéristiques du sionisme
Notes
Nous définissons l’Occident comme l’ensemble des pays formant partie des alliances militaires avec les États-Unis, c’est-à-dire les pays membres de l’OTAN plus l’Australie et la Nouvelle-Zélande (liés aux États-Unis via les Five Eyes et l’AUKUS) auxquels on peut ajouter, avec un degré moindre d’alignement, le Japon et la Corée du Sud qui ont des traités militaires bilatéraux avec les États-Unis. Presque tous ces pays ont des bases militaires américaines dans leur territoire. Leurs politiques étrangères sont alignées sur les intérêts des États-Unis.
Pour une revue du traitement biaisé et pro-sioniste de l’information sur la Palestine par les médias occidentaux : Joss Dray et Denis Sieffert : La guerre israélienne de l’information ; sur la couverture du génocide de Gaza : Didier Fassin : Une étrange défaite.
Les correspondants de la presse internationale en Israël n’envoient leurs reportages ou écrits qu’une fois validés par la censure des renseignements israéliens. La presse internationale est interdite d’accès à Gaza et les journalistes gazaouis y sont tués en masse par l’armée israélienne. Plus 130 journalistes palestiniens ont été tués en moins d’un an à Gaza au 26 septembre 2024, dont 32 dans l’exercice de leur fonction (source : Reporters Sans Frontières). Le nombre de journalistes tués aurait atteint 205 au 17 janvier 2025, plus que pendant la IIème guerre mondiale.
Selon les chercheurs le bilan de morts est compris entre 126 et 1 654
Etienne Balibar et al : Antisémitisme : l’intolérable chantage.
Eric J. Hobsbawm : L’ère des empires 1875-1914.
Ilan Pappé : La guerre de 1948 en Palestine.
Jacques Baud : Opération Déluge d’Al Aqsa, p. 439 pour une liste des 94 résolutions condamnant Israël et votées par le Conseil de Sécurité de l’ONU et les 45 résolutions avec veto américain à fin 2023.
Le soutien d’Elon Musk et Mark Zuckerberg, première et quatrième fortunes du monde fin 2024, à Donald Trump et l’interventionnisme d’Elon Musk dans la politique européenne en faveur de l’extrême droite signe peut-être l’entrée en politique directe d’une élite mondialisée et défiscalisée en vue de leur gouvernance mondiale, réduisant d’autant les espaces de démocratie.
Bibliographie
Balibar, Etienne et al : Antisémitisme : l’intolérable chantage. Éditions La Découverte, Paris, 2003.
Baud, Jacques : Opération Déluge d’Al Aqsa. La défaite du vainqueur. Éditions Max Milo, Paris, 2024.
Dray, Joss et Sieffert, Denis : La guerre israélienne de l’information. Désinformation et fausses symétries dans le conflit israélo-palestinien. Éditions La Découverte, Paris, 2002.
Fassin, Didier : Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza. Éditions La Découverte, Paris, 2024.
Hobsbawm, Eric J. : L’ère des empires 1875-1914. Éditions Fayard, Paris, 1987 (Pluriel, Paris, 2012, nouvelle édition).
Pappé, Ilan : La guerre de 1948 en Palestine. La fabrique éditions, Collection 10-18, 2000.