Ancien cadre de l’éducation nationale, acteur associatif impliqué dans le champ culturel, militant de la première heure de la cause de la langue et de la culture amazighes, auteur de plusieurs articles communications, traductions… au Maroc et à l’étranger, Lahcen Nachef vient d’éditer un nouvel ouvrage : La langue amazighe, aménagement et enseignement (Eventus éditions, 2017, 290 pages). Il a bien voulu nous en parler.
Al Bayane : Que pourriez-vous nous dire en premier lieu pour préciser le sens que vous donnez à «l’aménagement de la langue amazighe»?
Lahcen Nachef : Dans toute politique linguistique, on procède généralement à une planification ou aménagement linguistique par la mise en œuvre de « dispositifs et de dispositions ». Ainsi, lorsqu’on intervient directement sur une langue, on parle de normativisation; autrement dit, la planification porte sur le corpus de cette langue, sur sa codification. A contrario, on parle de normalisation lorsque la planification s’intéresse à l’intervention sur les langues en présence dans le paysage linguistique. Il s’agit alors d’un travail sur le statut, l’accent devant être mis sur la promotion de normes d’usage linguistique. La première partie de ce travail est effectué par l’IRCAM pour la langue amazighe. Il reste évidemment la deuxième partie qui relève de la compétence de l’État et c’est là où le bât blesse : cela demande une volonté politique réelle.
Quelles sont les principales constations que vous avez relevées sur l’état de l’enseignement de la langue amazighe aujourd’hui?
D’une langue principalement orale, la langue amazighe est passée au statut de langue écrite depuis quelques décennies maintenant grâce aux revendications du MCA (Mouvement culturel amazigh) et à quelques intellectuels. La langue devient donc reconnue comme langue nationale avant d’acquérir son officialisation constitutionnelle en juillet 2011. Le travail de standardisation fait par l’IRCAM lui confère le statut de langue normativisée, donc ayant des règles linguistiques idoines. Ensuite, elle est introduite dans le système scolaire marocain depuis 2003 et acquiert ainsi la fonction de langue d’enseignement. Toutefois, son officialisation est tributaire de lois organiques qui tardent à voir le jour. Aujourd’hui, on constate une régression due essentiellement à un manque terrible de volonté politique pour l’implémentation de la langue amazighe dans les domaines de la vie : les médias, la justice, l’enseignement etc.
Il y a tout un mouvement d’ampleur nationale qui revendique l’officialisation de la célébration du nouvel an amazigh. D’un point de vue pédagogique, peut-on parler d’impact symbolique d’une telle mesure sur le processus d’aménagement de la langue et de sa réception dans le milieu éducatif?
La célébration du nouvel an amazigh, comme toute célébration d’ailleurs, est bien évidemment hautement symbolique. Sur un plan purement pédagogique, cette célébration aura un impact réel sur les mentalités des gens et des enfants à fortiori. Cela est à même de décomplexer les gens par rapport à des siècles de minorisation qu’ont connus la langue et la culture amazighe. De plus, elle renforcera l’esprit d’appartenance et le sentiment identitaire.
Mohammed Bakrim