L’Atelier, l’Agence, la Villa

1976 fait date pour moi : la sortie de mon premier film « Chergui » dans une salle d’Art et d’Essai à Paris.

Pauline de Mazières me dit alors : «J’ai un billet Ram que je n’utilise pas ; et tu peux venir à la maison».

A Rabat, Pauline et Patrice de Mazières m’ont plongé dans un tout autre monde que celui de l’histoire coloniale, ses fureurs, ses rages, ses ambigüités.

Tous deux, «tout simplement» comme dit Pauline, m’ont ouvert leur maison («une maison est faite pour abriter des amis» comme dit l’architecte Patrice), avec leurs deux magnifiques filles, Nathalie et Catherine, belles, vivantes, lycéennes concernées (affiche de Chebâa pour «Souffles» dans leur chambre).

Et la maison de Pauline, fondatrice de la galerie L’Atelier, rue d’Annaba, et la maison de Patrice de Mazières, le père de l’architecture moderne marocaine, la maison de ces Français /Marocains était un foyer de la culture marocaine, arabe, internationale.

Khatibi, Melehi, Chebaâ, Belkahia, Edmond El Maleh, Berrada l’écrivain, Driss Khouri, Shahid la Palestinienne, Azzaoui l’Irakien, la Syrienne Etel Adnane, Georges Henein l’Egyptien, Nicole Chaperon l’Algérienne (une cousine d’Albert Camus), le photographe Mohamed Benaïssa, Toni Maraïni la critique d’art italienne. ET les peintres marocains, les Casablancais, ceux d’Essaouira, d’Azila, de Rabat…la revue «Attaqafa al Jadida»… tant d’autres nomadisant entre la rue Annaba de L’Atelier, la place de l’Unité Africaine de l’Agence de Mazières-Faraoui, et la villa douce et délicieuse du Souissi.

Le fils de Léon Tolstoï , Mikhaïl Lvovitch, qui a sa tombe à Rabat, réveillait Pauline par ses puissants ronflements, anecdote truculente d’un livre en préparation de Pauline Chéréméteff -de Mazières sur un sujet totalement inédit : «Histoires de Russes au Maroc».

Je dois à Pauline et à Patrice d’avoir réalisé mon deuxième long métrage, «44-Les Récits de La Nuit», influencé par les valeurs esthétiques qu’ils enseignaient, défendaient et transmettaient, discrètement, presque en chuchotant, un peu ironiquement, et soutenu par leur aide matérielle au quotidien : le gîte et le couvert pendant mes séjours à Rabat pour les batailles avec le CCM (le Whisky ou le Ksar rouge du soir, un verre, car il faut reprendre les routes le lendemain dès 7 heures) ; les bureaux, le téléphone, le fax, les coursiers de l’Agence et de L’Atelier pour la cavalerie de la production, une certaine belle Sylvia Belhassan toujours là pour pousser à la roue.

J’approfondissais l’Ancien et je découvrais le Moderne et l’Avant-garde avec Pauline et Patrice : la restauration de la Koutoubia, l’immeuble de la BNDE ou de la BP à Rabat pour l’architecture, la beauté des formes anciennes et la peinture et le design de l’art moderne arabe. Toutes pistes qui m’ont ouvert la voie pour mes recherches dans la mise en scène d’une esthétique propre au Maroc, son Histoire et ses Arts, dans le film «Les Récits de la Nuit» (1981).

Et que de peintres, de sculpteurs, d’écrivains, de politiques même ayant fréquenté  la Villa du Souissi,  n’apporteraient-ils pas un semblable témoignage.

Pauline, Patrice, merci d’avoir été le signe vivant et actif que la colonisation ne fut pas seulement le fait d’un Occident aveugle et ignorant par ses classes sociales bourgeoises de ses propres valeurs de liberté et d’amour des sciences, de la littérature et des arts, que vous avez vous deux,à l’instar des intellectuels et artistes progressistes d’Occident, pérennisé et transmis, avec audace, abnégation et générosité.

 (Paris le 24 février 2017).

Moumen Smihi

(Auteur de films)

***

Kulte Gallery présente (du 25 février au 5 avril 2017) les archives de la galerie L’Atelier. Fondé par Pauline de Mazières en 1971 à Rabat, L’Atelier expose près d’une centaine d’artistes sur vingt ans (peintres, sculpteurs, photographes, architectes, designers) en véritable incubateur de la vie culturelle marocaine. Plus encore, il s’avère un carrefour des trajectoires cosmopolites dont le secret se délie à la fois entre ses murs et «hors les murs». Œuvrant en toute indépendance pour la défense d’un art libre et avant-gardiste, L’Atelier démontre une ouverture exceptionnelle, non seulement sur le Maghreb, le Mashreq, mais également sur les deux rives de la Méditerranée, entre Afrique et Europe. Autant de constellations, sur la route des MODERNITÉS NOMADES, que cette exposition propose d’esquisser, grâce aux archives inédites de cette galerie historique – entre documents, œuvres, objets de design et affiches. Présentation spéciale en présence de l’équipe de MODERNITÉS NOMADES : Pauline de Mazières, Sylvia Belhassan, Maud Houssais, Morad Montazami, Yvon Langué et Yasmina Naji.

Related posts

Top