Le Canada pressé de resserrer son système d’immigration

L’interpellation est venue des provinces, d’analystes reconnus dans les milieux d’affaires et des finances ainsi que des élus municipaux ou organismes en charge de programmes de logement.

C’est le 1er Ministre de la province francophone, Québec (où vivent près de 160.000 Marocains d’origine), qui prit les devants dans une lettre adressée personnellement au 1er Ministre Fédéral pour lui demander d’endiguer le flot de demandeurs d’asile, à défaut de quoi les capacités d’accueil de la province atteindront bientôt leur point de rupture. « Nous sommes tout près du point de rupture en raison du nombre excessif de demandeurs d’asile qui arrivent au Québec mois après mois. La situation est devenue insoutenable », prévient-il. Soulignant que sa province (moins de 9 millions d’habitants sur 40 millions de canadiens) a accueilli la presque totalité des demandeurs d’asile qui se sont présentés au pays de façon irrégulière en 2022 et 2023. Selon le gouvernement québécois (centre droit), près de 65.000 demandeurs d’asile se sont présentés en 2023 aux frontières du pays, le plus souvent avec un visa de visiteur et « pratiquement tous à Montréal », précise, pour sa part, la ministre québécoise de l’immigration, en ajoutant que cela « crée une forte pression sur les services gouvernementaux, les organismes d’accueil, mais aussi sur la disponibilité des logements ».

Dans sa lettre à Justin Trudeau,1er Ministre Fédéral, M. Legault évoque également cet impact de l’immigration sur la sérieuse crise de logement que vit la Province, comme d’autres : « Les demandeurs d’asile ont du mal à se trouver un toit, ce qui contribue à accentuer la crise du logement. Nombre d’entre eux se retrouvent dans les refuges pour sans-abri, qui débordent, d‘autres sont en situation d’itinérance, ce qui aggrave un problème déjà aigu, particulièrement en hiver ». M. Legault évoque également le secteur de l’enseignement : « Nos écoles débordent, alors que nous manquons déjà cruellement d’enseignants et de locaux pour accueillir ces milliers d’enfants qui, pour la majorité, ne parlent pas français ». Il souligne aussi la charge financière que son gouvernement assume pour accueillir ces dizaines de milliers d’arrivants, notamment en leur versant une aide financière en attendant qu’Ottawa traite leur dossier et leur délivre un permis de travail. Selon la ministre québécoise de l’immigration, sur les 146 000 personnes qui perçoivent cette aide au Québec, plus de 43 000 sont des demandeurs d’asile, soit près du tiers des prestataires.

Cette interpellation du Fédéral par le gouvernement québécois afin que le système d’immigration canadien « soit resserré rapidement » souligne donc les impacts sur divers secteurs de la province : les finances publiques, le logement, l’enseignement, la santé, l’inflation et même la sécurité… « La possibilité d’entrer au Canada en provenance du Mexique sans visa (aboli depuis 2016 par le gouvernement libéral de Trudeau NDLR) explique certainement une partie de l’afflux des demandeurs d’asile » et ceci « risque d’ouvrir des brèches utilisées par des groupes criminalisés qui posent de sérieux enjeux de sécurité pour le Québec et le Canada », prévient encore M. Legault.  Plusieurs rapports indiquent que nombre de mexicains passent légalement, avec visa, au Canada avant de rejoindre les USA et que d’autres latino-américains utilisent frauduleusement des papiers mexicains pour entrer légalement au Canada. En 2023, le Québec a accepté 30% des 25.000 mexicains qui se sont présentés comme demandeurs d’asile.

Répondant, par une déclaration publique, au 1er Ministre québécois, M. Justin Trudeau, a confirmé son intention de porter à 500 000 le nombre annuel d’immigrants au Canada. Il a cependant annoncé son intention de « reprendre le contrôle sur l’immigration temporaire », plus spécialement les étudiants étrangers et les travailleurs temporaires qui, selon lui, ont plus d’impact sur la crise du logement.

Notons que le Canada, qui vise à atteindre 100 millions d’habitants en l’an 2100, connait une crise démographique sans précédent, avec une croissance naturelle de la population (c’est-à-dire le rapport entre naissances et décès) presque nulle.

Les étudiants étrangers financent les universités et de « faux collèges»

La quasi-totalité de l’augmentation de la population vient donc de l’immigration permanente et temporaire (travailleurs, demandeurs d’asile et étudiants). C’est essentiel à la croissance de l’économie, selon le premier ministre Justin Trudeau. L’économie aurait autrement reculé après la pandémie de COVID 19, estime-t-il. Rejoignant ainsi les milieux d’affaires qui, à coup d’analyses de spécialistes et de grands entrepreneurs, réclament et souhaitent l’accueil d’immigrants, à cause, notamment, d’une sérieuse pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs. Le gouvernement fédéral a décidé, en conséquence, d’accueillir 500.000 résidents permanents par an, en 2024 et 2025, soit près du double du seuil atteint en 2015.

Dans une déclaration commune, publiée vendredi dernier, les ministres fédéraux de l’immigration et du logement défendent la décision d’avoir augmenté ces seuils d’immigration, soulignant que des entreprises se heurtant à une pénurie de main-d’œuvre auraient fermé leurs portes et que des soins de santé et d’autres services auraient également été touchés par des retards ou un accès plus difficile.

Politiciens et décideurs économiques, à l’exception de certaines voix ultra conservatrices, martèlent que le Canada est un pays accueillant, généreux et ouvert, un pays d’immigration. Ce à quoi adhèrent une majorité de Canadiens, selon les sondages et nombre de tribunes de la société civile. Néanmoins, plusieurs élus et commentateurs estiment que de plus en plus de citoyens sont d’avis que les seuils d’accueil deviennent trop élevés, étant donné la forte progression des objectifs d’immigration permanente et du nombre d’immigrants temporaires qui arrivent au Canada. « On peut se demander si le temps n’est pas venu de revoir la stratégie en cette matière au Canada », dit un journaliste spécialiste.

D’autre part, Le gouvernement Fédéral libéral annonce son intention de revoir son programme d’accueil des étudiants étrangers, pour résoudre, explique-t-il, les problèmes de fraude et de coût de la vie pour ces nouveaux arrivants. Selon M. Trudeau, le gouvernement fédéral est prêt à prendre davantage de mesures si les établissements postsecondaires ne garantissent pas que les besoins en logement des étudiants étrangers peuvent être satisfaits. Dans un communiqué commun, les ministres fédéraux de l’immigration et du logement déclarent qu’ils attendent des établissements d’enseignement qu’ils n’acceptent que le nombre d’étudiants qu’ils sont en mesure d’héberger ou qu’ils les aident à trouver un logement hors campus. Ajoutant qu’ils comptent prendre les mesures nécessaires – notamment en limitant considérablement les visas – pour garantir que les établissements d’enseignement offrent des services adéquats et un soutien suffisant aux étudiants. Le pays a octroyé des visas d’études pour : 240.000 en 2020, 637.000 en 20221, 807.000 en 2022, et 90.000 en 2023, dont 40% venus d’Inde.

Les débats sur ce volet, concernant les étudiants étrangers, ont porté amplement aussi sur les fraudes : de faux collèges privés (pourtant certifiés) qui recrutent des candidats à l’étranger, dont nombre « achètent ainsi une résidence puis une nationalité », de faux étudiants qui, une fois inscrits et arrivés au pays, font autre chose, deviennent des étudiants fantômes… Des pratiques que le gouvernement fédéral compte regarder de plus près également. Alors que les universités rappellent que les étudiants étrangers financent, en moyenne, 45% de leurs « modèles d’affaires ». « Les affaires », aspect qui fait partie du modèle canadien comme pays d’immigration, avec l’aspect démographique… ou plus que celui-ci ?

Jamal Eddine NAJI

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