«Le Maroc est une terre unique en Afrique du Nord»

Abdelaziz El-Khayari, spécialiste des écritures anciennes 

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Une découverte archéologique et historique importante. Après de longues investigations, l’emplacement exact de la découverte d’une pierre tombale portant une inscription libyque datant d’environ 2000 ans a été défini par une commission de spécialistes de l’ l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP).

«Cette inscription revêt un grand intérêt. C’est un document scripturaire datant d’environ 2000 ans, qui nous indique que les anciennes tribus habitant cette région et appelées « Gétules » par les sources gréco-latines n’étaient pas des « barbares » comme l’insinuaient ces sources mais plutôt des populations bien organisées et utilisant l’écriture, qui est considérée comme l’un des aspects civilisationnels les plus importants.», nous indique l’enseignant-chercheur Abdelaziz El Khayari à l’Institut national de l’archéologie et du patrimoine (INSAP), spécialiste des écritures anciennes. Les détails.

Al Bayane : Quelles sont vos premières impressions lors de la découverte d’une pierre tombale portant une inscription en « tifinagh » dans la région de Settat ?  Pourrez-vous en dire plus sur cette découverte importante ?

Abdelaziz El-Khayari : Je tiens d’abord à préciser qu’il s’agit d’une inscription libyque car le terme «tifinagh» appartient à la culture des tribus Touaregs et désigne des variétés alphabétiques dérivées de l’ancien libyque. L’inscription en question n’est pas la première à être découverte dans la région. Comme on l’a signalé dans le premier communiqué de presse de l’INSAP, une stèle portant une inscription libyque a été déjà retrouvée, à la fin des années 1990, à Nkhila dans la région de Benhmed où elle était associée à une tombe dans laquelle on aurait découvert un squelette et du mobilier funéraire. Malheureusement, cette stèle n’a pas été récupérée ; je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Grâce à l’intervention d’une équipe dépêchée par l’INSAP, la nouvelle stèle à inscription libyque a été documentée sur place et a été transférée dans un lieu sûr pour être étudiée puis confiée plus tard à un musée pour être exposée au grand public. Une intervention archéologique (prospection géophysique et fouille archéologique) sera ultérieurement consacrée au lieu de la découverte.  

La terre marocaine est porteuse de secrets et de mystères. Quelle est la portée historique, patrimoniale et symbolique de cette inscription ?

Cette inscription revêt un grand intérêt. C’est un document scripturaire datant d’environ 2000 ans, qui nous indique que les anciennes tribus habitant cette région et appelées « Gétules » par les sources gréco-latines n’étaient pas des «barbares» comme l’insinuaient ces sources mais plutôt des populations bien organisées et utilisant l’écriture, qui est considérée comme l’un des aspects civilisationnels les plus importants. Cette inscription nous indique aussi que la zone n’était pas vide et qu’elle était bien habitée pendant l’Antiquité. Elle constitue une preuve de la présence d’anciennes agglomérations qu’il faudra repérer et étudier en utilisant les nouvelles technologies.  

 Le Maroc est un grand livre de l’Humanité. Pensez-vous que cette découverte ouvrira la voie pour revisiter non seulement notre histoire, mais aussi celle de l’Afrique du Nord?

Le Maroc est une terre unique en Afrique du Nord. Il constitue une aire culturelle bien distincte depuis des temps reculés. Si en Algérie et en Tunisie qui constituaient dans l’antiquité un même espace, on a utilisé une même et seule écriture libyque appelée «écriture orientale» et que j’appelle «écriture massyle ». Au Maroc, on a utilisé une écriture libyque appelée «écriture occidentale» qui comprend plusieurs variétés alphabétiques résultant à la fois des facteurs géographiques, ethniques et chronologiques. Certains chercheurs pensent même que l’invention de l’écriture libyque, ancêtre du tifinagh, a eu lieu au Maroc.  

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