Les liens invisibles et les trois ingrédients de la vie

Entretien avec Patrick Lowie

Par Noureddine Mhakkak

Né à Bruxelles en 1964, Patrick Lowie est écrivain, éditeur et metteur en scène belge. Il a une vie de multiples professions, combats artistiques et villégiatures, auteur d’une vingtaine de livres tous publiés en France et en Belgique. Entre 2000 à 2005, il publie la Trilogie des illusions, trois romans qui se déroulent au Maroc. En 2012, marqué par sa rencontre onirique avec Marceau Ivréa à Marrakech, il recompose l’œuvre de ce dernier: Les chroniques de Mapuetos. Depuis 2016, il écrit des portraits oniriques de personnalités sur le site next-F9.com et en 2019 il devient éditeur responsable aux éditions ONZE à Casablanca

Voici un entretien avec lui.

Que représentent les arts et les lettres pour vous ?

Les Arts et les Lettres sont des termes tellement vastes et tellement vagues. Cela peut représenter un immense désert comme une forêt tropicale. Tout dépend où on se trouve et où on regarde. J’aime sortir des sentiers battus, tomber sur l’inattendu, s’amouracher de toiles ou de textes d’inconnus. Je ne sais pas ce que représentent les Arts et les Lettres pour moi, probablement rien, mais je constate qu’ils se développent là où la nature est pratiquement absente. Ce ne sont donc qu’une tentative humaine de construire de nouveaux mondes et tant mieux.

Que représente l’écriture pour vous ?

Sans musique, sans lecture et sans écriture, je serais mort depuis longtemps. Ce sont trois ingrédients essentiels. Mon écriture a pendant une première partie de ma vie été automatique, comme le suggèrent les Surréalistes, mais je pensais que c’était mal d’écrire comme ça, et je me suis structuré dans la deuxième partie de ma vie, aujourd’hui je sais que la première partie était la plus proche de ma vérité, et j’assume donc, l’écriture pour moi c’est du lâcher-prise, comme dans les rêves. C’est mon subconscient qui écrit pendant que mon conscient est faible, engourdi ou confus. Mes rêves me guident dans mon écriture et donc dans ma vie.

Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours artistique.

Le Portugal et Lisbonne en particulier. J’ai écrit mon premier livre à Evora seul dans une quinta. J’habitais pratiquement dans un champ de tournesol, je laissais la porte de la maison ouverte, je me réveillais dans le jaune. Mais ensuite, j’ai beaucoup vécu à Lisbonne où la présence fantasmagorique de Fernando Pessoa et d’Antonio Tabucchi mais aussi la ville elle-même, sa puissance onirique. Lisbonne a été la ville révélatrice pour moi. J’aurais pu sans doute y rester mais j’ai toujours eu peur de m’enfermer même dans les plus beaux rêves. L’Inde, Mumbai, Cochin, Ooty sont des traces qui ne s’effacent pas. Par contre, l’Italie n’a jamais été littéraire pour moi, mes années romaines ont été cinématographiques. Celles à Porto Alegre au Brésil furent théâtrales. Je pense qu’Olinda à Recife a laissé des traces dans mon imaginaire littéraire. Mais il y a surtout Ouarzazate où j’ai vécu six ans. Une révélation, un apaisement aussi. C’est une ville qui m’a toujours inspirée, j’ai beaucoup écrit là-bas. 

Que représente la beauté pour vous ?

Une idée subjective, il suffit de voir la différence des canons de beauté d’un siècle à un autre, d’une région à une autre. La beauté n’est pas un mot, c’est un puits, comme la richesse. Pourtant, j’utilise souvent le mot “beau” mais quel sens peut-il avoir ? Les tableaux du Caravage sont d’une extrême beauté, les mots de Gérard Manset sont d’une immense beauté, des hommes et des femmes peuvent être d’une beauté étonnante. La beauté est probablement un Mystère. Pour moi, la beauté est un lien invisible qui nous touche profondément, qui nous bouleverse. Et dans ce monde où l’on pousse à l’individualisme, la beauté se fait plus rare. Le syndrome de Florence expliqué par Stendhal prouve qu’on peut marcher avec la crainte de tomber face à la beauté et qu’il s’agit d’une émotion passionnée. Cela m’est arrivé plusieurs fois.  La beauté crée en vous un trouble. Mais pour être troublé, il faut ouvrir sa conscience, s’ouvrir au monde, et être capable de déconstruire son identité culturelle oppressive pour faire jaillir autre chose, ce quelque chose d’indéfinissable. C’est offert à tout le monde, pas besoin d’avoir fait des études.

Parlez-nous des livres que vous avez déjà lus et qui ont marqué vos pensées.

Hemingway, Dos Passos, Oscar Wilde et Dino Buzzati, Pier Paolo Pasolini, Fernando Pessoa, Hervé Guibert, Marguerite Duras, Hanif Kureishi, Mishima, Paul Bowles, Kawabata, Yves Navarre, Albert Cossery, Difficile de parler d’un livre en particulier. Je vous cite ces auteurs parce qu’ils sont connus, mais j’ai lu énormément d’auteurs inconnus ou auteurs d’un seul livre, puis je suis éditeur et j’ai lu beaucoup de livres qui n’étaient pas encore publiés. J’ai une très mauvaise mémoire des noms, des titres, de ce qui m’a bouleversé ou pas. Je n’ai pas de listes, tout s’est amalgamé, enregistré, imprimé en moi. Je ne pourrais pas vous citer une seule phrase d’un de ces livres, je ne pourrais même pas vous citer une seule phrase d’un de mes livres. Mes lectures sont un peu comme dans la dernière scène du film de Peter Greenaway Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant lorsque le voleur fait manger des livres à l’amant… à en mourir. Voilà, j’avale, j’avale, cela fait un fond, un substrat, une boule énergétique qui ne sert pas à démontrer ce que j’ai lu mais qui nourrit mon écriture.

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