«Il ne faut pas faire du darija une langue d’enseignement!»

recevoir  la clef  de la ville de Zagora, un trophée qui se place sous le signe d’un hommage pour son parcours riche dans le domaine de la littérature et l’art.

Benjelloun est considéré parmi les écrivains francophones comme le plus traduit au monde. Parmi ses œuvres figurent «L’Enfant de sable» (Seuil 1985),  «La Nuit sacrée» (Prix Goncourt 1987), «Le racisme expliqué à ma fille» (plus de 400.000 exemplaires ont été vendus) et bien d’autres.
Dans le cadre du FIFT, il a bien voulu nous accorder cet entretien
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Al Bayane : Que représente le Festival transsaharien de Zagora pour Tahar Benjelloun ?
Tahar Benjelloun :
D’abord Zagora est une ville qui m’est très chère parce que je la connais depuis très longtemps. Lorsqu’on m’a demandé de participer à ce festival, j’étais vraiment très heureux. C’est pour moi également  une occasion de passer quelques jours dans cette ville et de la connaître un peu mieux. Je trouve  qu’il y a ici des jeunes pleins d’idées, de projets pour faire vivre cette ville qui a l’air un peu marginalisée et oubliée, notamment en ce qui concerne les moyens de transports. D’ailleurs, on c’est avec beaucoup de difficultés qu’on est arrivé ici. On a mis des  heures, car  la route est mauvaise et dangereuse.  C’est assez dommage que cette ville soit oubliée par la «RAM». Celle-ci pourrait ne pas toujours organiser un vol, mais mettre au moins un petit avion à la disposition de ceux qui veulent passer le week-end à Zagora.
Le festival est une occasion intéressante pour rencontrer des gens qu’on n’aurait pas  la possibilité de voir  en dehors du festival, par exemple le cinéaste tunisien Mahmoud Ben Mahmoud. C’est un ami que j’ai connu il y a une trentaine d’années. Je l’ai revu une ou deux fois et c’est grâce au festival que je l’ai retrouvé. Je suis heureux aussi de rencontrer  le grand acteur égyptien Abdelaziz Makhyoun que je voyais uniquement dans les séries. Je ne le connaissais vraiment pas. Le fait de rencontrer de jeunes actrices et acteurs marocains est une très bonne chose, parce qu’on n’aurait pas pu les réunir de cette façon. Pourtant, grâce au festival ils sont là.  
Dans le jury par exemple il y a l’actrice Fatima Khair que je connaissais dès le début comme tout le monde,  mais parler avec elle, discuter avec elle, diner avec elle, m’a permis de mieux la connaitre. C’est une femme remarquable, intelligente et qui donne un sens à son travail.  Pour toutes ces raisons, et à mon avis, le CCM et le ministère de la Culture se doivent non seulement d’encourager ce genre de festivals, mais aussi de les financer. Ce genre d’évènements n’a pas de prix.

Comment voyez-vous cette dynamique cinématographique créée par l’Association Zagora du film transsaharien ?
La salle de projection était pleine. Les jeunes arrivent à voir des films gratuitement  dans une grande salle. C’est magnifique ! Pendant une semaine c’est la fête du cinéma. Une semaine de débats,  de rencontres et  de discussions. Tout cela fait du bien aux Marocains qui sont là et à la ville en général. En même temps, nous découvrons d’autres cinématographies américaines ou françaises qui sont fortes et qui passent très facilement partout. Les films marocains par contre ont du mal à s’imposer sur la scène internationale.  Certains sont de très bonne qualité, mais n’ont pas la carte blanche. Une espèce de magie qui fait que les distributeurs américains et européens  soient intéressés. C’est très rare. Tout cela fait que le festival soit une bénédiction  pour la culture au Maroc. Et d’ailleurs, j’ai remarqué qu’il y a des villes comme Khouribga qui connaissent une dynamique artistique remarquable. Quand il y a un festival, les gens se déplacent pour voir des films. C’est bien et formidable.

Lors d’une conférence en marge des activités du festival, vous avez traité la problématique de l’adaptation d’un roman au cinéma. Pouvez- vous nous en dire plus ?
Ce que j’ai dit c’est qu’un roman  est une vision, une écriture avec les mots et le cinéma, une écriture avec les images. Il y a des choses qui sont cousines entre les deux, mais différentes aussi. Alors il ne faut pas mélanger le tout.
Peut-on faire un bon film d’après un bon roman ? Ce n’est pas toujours vrai ! Donc, il vaut mieux écrire un scénario plutôt que d’essayer d’adapter des romans parce que le roman n’est pas fait pour être adapté. Le roman est créé pour être lu, et cela laisse au lecteur son imaginaire se développer.  L’adaptation en images réduit les facultés d’imagination.

Pensez-vous que le cinéma marocain a pu traiter la question de la mémoire dans ses films ?
Les Marocains essayent  tant qu’ils peuvent de raconter l’histoire de leur pays. Ce sont des cinéastes marocains comme les écrivains qui sont les témoins de leur époque, de leur pays. En effet, c’est bien d’ouvrir cette porte sur le passé parce que nous avons malheureusement  un manque dans notre pays sur ce plan. En revanche, les hommes politiques clés qui ont participé d’une manière effective à la politique de ce pays ne s’expriment pas, ne laissent pas de mémoire et  n’écrivent pas de livres… Je me souviens il y a très longtemps que j’avais sollicité «Lmrhoum» Abderrahim Bouabid. Je lui ai demandé  de raconter son itinéraire politique depuis l’indépendance puisqu’à l’époque il était ministre, avait été en prison et était un fervent militant    . Malheureusement, il est mort sans l’avoir fait.  Ali Yata, quant à lui avait quand même le journal.
De nos jours, beaucoup de jeunes ne sont pas informés des manifestations de  Mars soixante-cinq. Mais, à mon avis, la faute est à tous les citoyens, pas uniquement aux hommes politiques.  

Le scénario pose un véritable problème dans la qualité de la production cinématographique marocaine. Qu’en dites-vous?

Je préfère que quelqu’un s’attelle à écrire un scénario original au lieu de fouiller dans les bouquins. Je pense également qu’il y a beaucoup de choses à raconter au Maroc. C’est un pays qui est fabuleux. Moi en tant que romancier, je trouve toutes mes inspirations au Maroc.  Je ne peux pas raconter la vie française, ils ont des écrivains pour ça. En outre, le cinéma exige des moyens financiers, l’esprit d’équipe et les ressources humaines.
Pour un écrivain, il suffit de disposer du papier, d’un stylo ou d’un ordinateur.  Le cinéaste par contre  a besoin  de producteurs, d’ingénieurs de son, d’un chef operateur…  Grosso modo, des centaines de personnes sont appelées à travailler sur un film. Pour un roman,  il ne revient qu’au romancier de trouver un éditeur pour publier son ouvrage.

Actuellement, il y’a un débat au Maroc, celui qui porte sur l’enseignement du darija. Qu’en pensez-vous ?  

Le darija est une langue que nous parlons tous avec de petites différences entre le nord et le sud. Effectivement, il ne faut pas en faire une langue d’enseignement. On ne peut pas l’employer parce qu’il faut une langue qui soit  commune à les tous pays arabes, excepté si on  projette de nous séparer du monde arabe.
Par exemple quand je me trouve dans les pays du Golfe, avec qui nous avons beaucoup de ressemblances, je ne parle pas en darija puisque personne ne me comprendra. Donc, je communique avec eux en arabe classique.
A mon avis, il faut tout simplement prendre l’arabe classique, le faire apprendre, donner  aux élèves des bases et puis le moderniser, un peu comme les Grecs le firent avec «la langue démocratique». Ils ont pris le grec ancien et l’ont modernisé. Chez nous au Maroc, si nos linguistes travaillent pour faire de la langue arabe classique une langue accessible à tout le monde, ça serait formidable !

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