C’est un tsunami qui a envahi le marché marocain. Le livre piraté est devenu ces derniers temps non seulement une mode qui a inondé les artères et les rues des grandes villes marocaines, mais une industrie culturelle parallèle fleurissante, mais informelle. Des «livres» piratés de petits formats de grands écrivains à 20 dirhams et à 30 dirhams se vendent au vu et au su de tout le monde. Un phénomène qui interpelle à la fois les éditeurs, les libraires, les diffuseurs et les auteurs.
«Il y a une poignée de personnes qui en profitent de cet évènement national. Ces livres sont soumis sur tous les territoires des grandes et petites villes. Le nouveau dans ce phénomène c’est que ces gens sont passés à la vitesse supérieure c’est-à-dire les marchands ambulants qui vous accostent dans les restaurants, les cafés…», nous indique l’éditrice et écrivaine, Nadia Essalmi.
Selon la directrice des éditions Yomad, il y en a ceux qui voient d’un bon œil ce phénomène parce qu’il démocratise la lecture. «Certes, mais pas de cette façon parce que il faudrait faire une réelle politique de la lecture pour que le livre soit à l’apportée de tout le monde».
Ce phénomène, précise-t-elle, vise manger les droits autres. «Ces gens sont en train de tuer toute la chaine éditoriale pour une poignée de personne en dévorant les droits de l’auteur, de l’éditeur, du distributeur et du libraire… alors que très peu de gens profitent de ce commerce informel.
Le pire, a-t-elle ajouté, devant les librairies, les étalages sur des cartons sont mises par terre de ces personnes. «Il y a des livres font par exemple entre 60 ou 90 dirhams en librairie, mais en sortant des librairies, il y a des gens qui vous les proposent à 20 dirhams», a-t-elle expliqué. Les gens ne savent pas que c’est des livres où il y a des pages qui manquent, ce sont juste des photocopies reliées avec un petit format pour économiser les coûts de la photocopie, a-t-elle fait savoir. La culture est sacrée, elle ne doit pas être malmenée.
«J’ai entendu dire, et je n’ai pas encore de confirmation, que ces livres sont imprimés en Egypte. Il faut une enquête pour avoir le cœur net et savoir d’où viennent ces livres parce que c’est un tsunami, c’est énorme ! Et qui autorisent l’entrée de ces livres parce qu’il faut des autorisations ? Est-ce que ce commerce informel est protégé? S’il est protégé, il faut se demander par qui ?», s’interroge-t-elle.
Qu’en pense le Ministère de la tutelle?
Hassan El Ouazzani, directeur du livre, des bibliothèques et des archives, relevant du Ministère de la Culture et de la Communication, ne nie pas l’existence de ce problème.
«Certes il y a un problème. Et le Ministère de la Culture en est conscient», a-t-il affirmé dans une déclaration à Al Bayane.
Concernant ce sujet, explique-t-il, il y a deux volets dont le Ministère intervient d’une façon directe comme le Salon International de l’édition et du livre de Casablanca qu’il gère. «Nous sommes catégoriques à ce niveau. Aucun éditeur qui pratique le plagiat ne peut y participer à ce Salon. On a fermé une maison d’édition de la ville de Mohammedia qui pratique le plagiat. On lui a fermé son stand le jour même du salon. Il y en a d’autres qui sont sur la liste noire du salon», affirme-t-il.
En ce qui concerne les livres qui circulent, a-t-il fait savoir, nous travaillons dans le cadre d’une commission parce qu’il y a d’autres intervenants dont le Ministère de l’Intérieur, le Ministère de l’industrie et bien d’autres. Prochainement, conclut-il, il y a aura une commission et on tranche à ce niveau.
Une industrie culturelle parallèle informelle et fleurissante…
Abdelkader Retnani, président de l’Association marocaine des professionnels du livre (AMPL) et directeur des Éditions La Croisée des chemins au Maroc estime que ce phonème est une mauvaise réputation que nous sommes en train d’acquérir. «C’est une calamité ! Il faut que les pouvoirs publics c’est à dire le Ministère de la Culture, le Ministère de l’Intérieur prennent des décisions. Il faut qu’il y ait un contrôle, un contrôle du Ministère de l’Intérieur pour enlever cette aurore dans les rues, et qui est en train de nous faire une mauvaise réputation parce qu’au lieu d’avancer nous reculons», appelle-t-il.
Ces livres, viennent selon Retnani, sont venus de deux pays et par des marocains. «Il y a des gens qui sont dans le circuit, et qui amènent des livres piratés du Liban et du Caire. Le mal, il est chez nous ! Les livres les plus piratés maintenant se trouvent dans l’axe Casablanca, Rabat et Marrakech», a-t-il indiqué.Selon lui toujours, il y a le piratage qui vient de l’extérieur et les livres en arabes, ceux de grands écrivains, et il y a le piratage qui se fait à l’intérieur du territoire. «C’est un trafic de piratage et de malversation parce qu’ils impriment 100 exemplaires en numérique et vendent par la suite ces livres à 20 dhs dans la rue ou dans certaines petites librairies. Ça nous donne une mauvaise image au Maroc», confié-t-il. D’après lui, il faut qu’il y ait des agents compétents pour arrêter le massacre dans les rues. A ses yeux, «Lfarach» et les marchands ambulants des livres sont plus dangereux que ceux qui vendent des jouets ou autre chose. «Ce phénomène est une industrie culturelle parallèle qui est fleurissante parce qu’il n’y a pas de contrôle !», nous explique Retnani.
Une guerre sans merci livrée aux professionnels….
L’écrivain et éditeur Rachid Khaless considère que le piratage de livres qui est une nouvelle mode après le piratage des logiciels, des films et des chansons. C’est une mode d’après lui qui étonne dans un contexte notamment celui du Maroc dans lequel on a très peu de lectorat. «C’est une sorte de guerre livrée aux professionnels, notamment les éditeurs qui prennent des risques pour accepter un manuscrit, fabriquer un livre avec les coûts qu’on sait.
C’est un marché apparemment lucratif», a-t-il affirmé. Le constat, ajoute-t-il, qu’on a un livre de ce genre entre les mains, c’est que très souvent le prix de la version piratée est un prix qui peut atteindre 10 fois moins celui de la version originelle. Dans un cas précis qui concerne éditions la Virgule, poursuit-il, on vient de constater la reproduction en très mauvaise qualité d’un titre qui vient de paraître il y a à peine un mois et qui coïncidait avec le salon de l’édition et du livre de Casablanca. Ce qui attire l’attention déjà autre que cette très mauvaise qualité du papier, de la couverture, de la reproduction… ce sont les procédés ingénieux qui sont utilisés, déplore-t-il. Si avec les autres titres étrangers ou marocains, très souvent la version piratée est proposée à un prix accessible entre 20 dhs, 30 dhs jusqu’à 40 dhs. Dans ce cas précis, déclare-t-il, notre maison d’édition, le procédé est autre parce que premièrement celui qui a fabriqué cette version piratée a eu l’intelligence de mettre sur la couverture «deuxième édition», ce qui induit les lecteurs potentiels qui peuvent penser tout simplement que l’éditeur a proposé une deuxième édition et que la première a été épuisée de stock.
Ça motive la vente ! C’est un argument de vente, lui semble-t-il. d’après lui, ce pirate anonyme qu’on connait pas qui se fait de l’argent sur la sueur des écrivains et les professionnels du métier a eu recours à un autre pratique malsaine , c’est d’avoir maintenu cette fois le prix initial. Dans ce cas, c’est une attaque directe à la maison d’édition, explique-t-il. «Certains lecteurs pensaient que la maison d’édition a baissé en qualité. C’est diabolique ! La valeur de perte qui consécutive à ces pratique frauduleuses doit être estimées à des millions de chiffres d’affaire au profit de ces pirates», a-t-il fait savoir.
Aujourd’hui, a-t-il poursuit-il, nous nous ne disposons pas de chiffres relatifs à cette pratique de l’informel. Cela nous pousse à faire plusieurs constats qui sont de nature structurelle et législative.
Pour Rachid Khaless, ce sont des constat qui révèle d’une éthique, d’une morale du consommateur marocain qui se permet d’acheter une production de très mauvaise qualité d’une façon inconsciente qui porte atteinte au travail et à la propriété intellectuelle. «Nous avons un vide législatif flagrant qui permet à ces pratiques de se développer. Elles auront de beaux jours devant eux s’il n’y a pas une intervention des autorités concernées», conclut-il.
En effet la lutte contre ce nouveau phénomène nécessite l’intervention des différents acteurs concernés pour sauver une «industrie» du livre, si n’osons dire, qui reste boiteuse et qui fait face à plusieurs enjeux. Il en reste un long chemin encore à parcourir dans ce cadre.
Mohamed Nait Youssef