Interview Avec Rachid Khaless
Par Noureddine Mhakkak
Rachid Khaless est agrégé de lettres françaises. Il enseigne à l’université Mohamed V de Rabat. Il est poète, romancier et traducteur.
Connu d’abord comme poète, il signe deux recueils de poésie chez L’Harmattan : Cantiques du désert (2004) et Dissidences (2009). Son 3ème recueil, Dans le désir de durer paraît en 2014 à (la Maison de la poésie au Maroc). Guerre totale (suivi de) Vols, l’éclat est publié par (Virgule Éditions) en 2018. Il obtient le Prix du Maroc du Livre, 2019.
En 2015 Rachid Khaless publie deux romans : Pour qu’Allah aime Lou Lou (aux Éditions Marsam), et Quand Adam a décidé de vivre à (La Croisée des chemins). Absolut hob parait à (Virgule Éditions) en 2016.
Rachid Khaless a traduit notamment les textes du poète Hassan Najmi, Un Mal comme l’amour, (La Croisée des chemins, 2016), d’Yves Bonnefoy, Que ce monde demeure (Maison de la poésie au Maroc, 2014) et de Saâdi Youssef, Poèmes de Tanger, (Virgule Editions 2018.). Ici une interview avec lui.
– Que représentent les arts et les lettres pour vous?
Les arts et les lettres sont le miroir qu’on promène sur la raideur du monde. Ils ne sont ni son calque ni sa duplication, mais son épaisseur car, alors, ils ne se contentent pas de refléter sa silhouette mais le réenchantent et, mieux encore : le réinventent. La photographie, conçue comme l’image la plus fidèle du réel, est l’angle mort de notre être au monde ! La face cachée de notre sensibilité. Le récit, pour prendre un exemple, est emblématique de ce désir de persévérer dans son être. Il épelle les hoquets et la marche familière du monde. Pourquoi cette fascination universelle pour le récit ? Certainement pas pour dupliquer le vécu mais pour le vivre autrement. La vie est donc étroite. Cette épaisseur qui n’existe pas forcément dans la vie nous est octroyée par la vie du récit. Pour moi, les arts et les lettres ont cette vertu, rare, d’augmenter notre existence.
– Que représente l’écriture pour vous?
Une nécessité et un élan vital. Élan vital, elle augmente l’être, épaissit l’instant et le magnifie en quelque sorte. Car à la source de toute création, il y a l’être. Et à l’horizon de toute œuvre d’art : la beauté. L’écriture n’est paradoxalement pas un acte solitaire et égoïste, mais un partage avec nos semblables. L’écriture me permet de vivre autrement. Je n’ai jamais conçu une œuvre d’art sans la vie – qui est mon personnage principal. Les personnages de mes romans ne sont pas de simples silhouettes mais des êtres entiers – du moins aspirent-ils à cette complétude. Ils sont en quête de fraternité avec leurs semblables, d’une réconciliation avec le monde. Tous souhaitent changer leur vie en destin. Au fond, je ne cherche pas autre chose. Je vis ce destin par procuration car je suis curieux de l’être humain où il se trouve et tend sa main en signe d’amitié.
– Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours artistique?
Les villes où j’ai vécu ou que j’ai rêvé d’habiter se situent toutes le sud de l’âme, indifféremment de leur position géographique. Ces villes, pourtant réelles, sont moins une topographie qu’une représentation. De celles-là j’ai un amour rare. Et au commencement, Meknassa, le royaume de mes ancêtres. J’ai découvert ce territoire après le décès de mon grand-père et je n’y suis resté que deux étés ! Pourtant, ce lieu travaille mon imaginaire. Je raconte cette passion dans un roman à paraître dans un an, L’Eden de grand-mère. J’adore Tanger, ville de tous les paradoxes, de toutes les amitiés. Mais chaque fois que je suis ailleurs, j’ai la nostalgie de Rabat, ma ville d’adoption. La ville me procure une sérénité rare. Des capitales européennes, j’ai l’amour d’Amsterdam et, surtout, de Bruxelles. Je ne saurai dire pourquoi, même si je n’y ai séjourné que quelques jours. J’aimerais vivre, et mourir, à Bruxelles. Mes fictions accueillent ces villes, sauf Bruxelles, allez savoir pourquoi !
– Que représente la beauté pour vous?
La beauté existe dans le regard, non dans l’objet. La beauté est en nous et nulle part ailleurs. C’est pourquoi, je valorise toute chose qui m’émeut ou m’interpelle. L’œil, ai-je écrit, ne voit que la beauté de la fleur mais ignore le tumulte de ses racines. La beauté est, sans doute, notre capacité de percevoir, en les choses et en nous, cette part d’indicible que nous rendons visible. C’est une reconquête de notre être, de son essence indépendamment de nos représentations biaisées sur la beauté. Ces alchimistes que sont Baudelaire ou, plus près de chez nous, Mohamed Leftah, ont extrait la beauté de ce qui est culturellement admis comme de la laideur : preuve tangible que la beauté est dans le regard porté sur un objet.
– Parlez-nous des livres que vous avez déjà lus et qui ont marqué vos pensées.
La liste est longue et éclectique. Tous les livres nous apportent une belle lumière. Le premier livre qui m’a bouleversé et façonné mon imaginaire est Les Fleurs du mal de Baudelaire. Il est un de ces livres que j’aimerais littéralement manger. Plus récemment, j’ai eu la même envie avec Kafka sur le rivage de Haruki Murakami. Ce roman est envoûtant. Le récit se présente comme une énigme et sa résolution. C’est une belle interrogation sur l’être, sur la vie. Les courts romans de Stephan Zweig ont eu le même effet sur moi. Les évènements y sont brillamment relatés.
Chez cet auteur, j’aime particulièrement la mécanique du récit. Cette liste de livres aimés compte une très belle fable contée par Sony Labou Tansi : ça s’appelle La vie et demie, auteur que m’a fait découvrir Abdelhak Serhane. La marque de fabrique dans ce livre est le grossissement et l’auteur s’y adonne avec une grande jubilation et une poésie rare. Enfin, je ne peux éviter d’attirer l’attention sur les recueils de Mostafa Nissaboury. Quelle amplitude dans cette poésie ! Lisez Approche du désertique, par exemple. Un texte de haut vol.