Annoncée fin février, la cessation surprise des activités d’Uber au Maroc apparaît désormais comme un repli stratégique. Alors qu’elle ne ferme pas la porte à un retour, ses (ex) concurrents se frottent les mains. Le marché est désormais pour celui qui en veut le plus…
Les raisons invoquées pour mettre des points de suspension à ses activités au Maroc ne convainquent pas. L’idée que la vaillante Uber qui a gagné à New York, qui vient de faire plier le Brésil, qui a secoué Londres et mis Paris sens dessus-dessous, ait cédé au Maroc sous “les coups de boutoir“ d’une réglementation inexistante, après 3 années de sourde oreille aux rappels à l’ordre des autorités, ne passent pas. Car l’entreprise américaine n’est pas du genre à lâcher le morceau, aussi facilement. Pour exécuter sa sortie de scène donc, Uber Maroc argue une incertitude quant à la réglementation actuelle qui ne lui permet pas de «fournir une expérience sûre et fiable à ses clients, encore moins à ses chauffeurs». Et de renchérir qu’elle est contrainte de suspendre ses opérations «tant qu’il n’y aura pas de vraie réforme et un environnement favorable aux nouvelles solutions de mobilité». En gros, Uber reproche ainsi au Maroc de n’avoir pas fait grand chose pour lui baliser le terrain, son véritable objectif caché derrière l’évocation d’une réglementation sectorielle. Mais pourquoi le Maroc se mettrait à dos les détenteurs de “grimate“ et des milliers de taxis pour plaire aux plateformes électroniques?
Les non-dits d’un retrait
À l’analyse, les raisons soulevées apparaissent bien plus comme une pirouette pour se sauver la face et souffler sur les morsures pour en atténuer la douleur aux 300 chauffeurs désormais lâchés. En réalité, l’entreprise américaine est en pleine redéfinition de son périmètre et de ses priorités, notamment depuis l’arrivée aux commandes de Dara Khosrowshahi en Août dernier, conséquemment à l’éviction de Travis Kalanick. Mandaté pour remettre Uber sur les rails et la mener sur les routes de la rentabilité, Dara Khosrowshahi semble avoir entamé sa mission en décidant de se séparer des marchés “non importants“ et qui poseraient des soucis, accessoirement. Evidemment, pourquoi continuer à subventionner une activité sur un marché où les moyens de paiement électroniques sont encore à la traine, où le paiement cash est encore de rigueur alors que le modèle d’Uber s’appuie essentiellement sur les paiements électroniques ? Il faut noter qu’avec l’entrée dans son tour de table de Softbank, groupe télécoms japonais, à hauteur de 15%, ce qui en fait l’actionnaire majoritaire, Uberest tenue de revoir sa stratégie.Le géant japonais militerait pour qu’Uber recentre désormais ses activités sur les États-Unis, l’Europe et l’Amérique latine, délaisser le marché asiatique, voire les marchés émergents encore trop frileux et où Uber accumule revers après revers.
Pause. Softbank joue sur tous les tableaux et tient à gagner sur chaque mise ! En effet, après l’échec d’Uber sur le marché chinois, échec qui l’a contraint en 2016 à céder ses activités à son concurrent chinois Didi Chuxing pour en devenir actionnaire à hauteur de 20%, Softbank avait annoncé en mai 2017 un futur investissement de 5 milliards de dollars dans Didi Chuxing. En février dernier, les deux sociétés Softbank Group et Didi Chuxing ont annoncé avoir noué un partenariat pour développer des services de réservation sur le marché japonais des taxis. Cantonner Uber aux marchés occidentaux et pousser Didi Chuxing en Asie et dans les pays émergents ferait sens pour le groupe japonais. Car même au Brésil, le chinois, devenu numéro 1 mondial, est sur les talons d’Uber pour se faire une place de choix dans le plus vaste marché de l’Amérique latine.
Bon débarras
Au Maroc,où les premières applications de service VTC existent bien avant l’arrivée de l’américain, l’annonce du retrait d’Uber a failli occasionner des réjouissances populaires chez ses concurrents Careem et Heetch. Les deux acteurs y ont trouvé une occasion en or pour dérouler leurs atours et charmer les usagers, dans le dos du “vilain“ Uber. Careem, de facto leader dans les services de réservation de VTC, a annoncé dans la foulée «être fière de sa présence au Maroc, malgré quelques obstacles momentanés et franchissables». “Le nouveau leader“ s’engage par la même occasion à «développer les services de transport au Maroc dans le cadre de sa coopération avec les administrateurs du secteur, créer plus d’opportunités d’emplois et mener des initiatives à caractères social, similaires à celles qu’elle a lancées dans d’autres pays de la région». La danse du ventre est exécutée à la perfection. L’entreprise revendique d’ailleurs quelque 100.000 utilisateurs de ses services avec plus de 1000 voitures sous sa coupole. Sa consœur Heetch, qui vient de poser le pied le 13 février dernier sur le marché, a préféré frapper un grand coup d’entrée. En effet, à l’inverse d’Uber et Careem, l’application française a eu la géniale idée de s’éviter des ennuis avec la corporation des taxis en s’associant à eux à travers un accord avec les syndicats du secteur, notamment le Syndicat national des taxis marocains de l’UMT pour créer l’application «Fiddek». La jeune française affiche ainsi ses ambitions de « réconcilier les taximen et les VTC » et revendique déjà, quelques jours après son lancement à Casablanca, des milliers de clients et pas moins de 600 taxis labellisés. Une révolution du métier, rien que cela. Selon un confrère, Heetch prévoit investir 7 millions de dirhams au cours de cette année pour améliorer l’expérience client, former ses chauffeurs, soutenir le système d’assurance maladie offert aux chauffeurs et exécuter leur plan marketing. Heureuse coïncidence que le départ d’Uber, l’arrivée de Heetch et la prise de poids de Careem ! Il faut croire que les étoiles s’alignent pour ces plateformes. Quant aux autres applications, trop petites pour faire autant de bruit, itaxi, votrechauffeur.ma (lancé en 2015 et qui revendique une centaine de véhicules, 10.000 courses par mois pour 20.000 utilisateurs), elles devront battre des coudes pour grignoter des parts. La reconfiguration du marché et la redistribution des cartes est en marche, la bataille en vue…
Soumayya Douieb
Uber
Précédemment Uber Cab, Uber a été fondée en 2009 par Garrett Camp, Oscar Salazar et Travis Kalanick, le plus connu des trois et en poste jusqu’en juin dernier. C’est une entreprise technologique avec la particularité de développer et exploiter des applications mobiles de mise en contact d’utilisateurs avec des conducteurs offrant des services de transport (VTC, voiture de tourisme avec chauffeur). Basée à San Francisco, Uber est présente dans plus de 600 villes dans le monde.L’entreprise qui a pris de l’importance à coups de levées de fonds successives, fonctionnant uniquement sur la confiance des investisseurs qui tablent sur de potentiels gains et bénéficies futurs, a été valorisée entre temps à près de 70 milliards de dollars, avant que cette valorisation ne soit revue à la baisse. Cette valorisation est aujourd’hui tombée autour de 50 milliards de dollars. Mais malgré les divers apports de fonds, Uber n’a toujours pas encore atteint son point d’équilibre et est encore moins rrentable. L’entreprise américaine a enregistré, pour l’exercice 2017, quelque 4,5 milliards de dollars de perte malgré une augmentation continue de son chiffre d’affaires. En effet, le chiffre d’affaires brut de 2017 s’est établi à 11 milliards de dollars et le chiffre d’affaires net (après rémunération des chauffeurs) s’est quant à lui établi à 2,2 milliards de dollars. Accablée par de nombreuses polémiques et controverses (harcèlement sexuel, hacking de sa plateforme, logiciels trompeurs, contestation dans de nombreuses villes, procès avec Google, etc.), Uber pousse son PDG (et co-fondateur) Travis Kalanick à la démission. Celui-ci est remplacé par Dara Khosrowshahi qui veut insuffler un changement stratégique à l’entreprise, en se débarrassant notamment des marchés les moins importants pour se recentrer sur les marchés les importants d’Uber et en axant ses efforts sur la rentabilité de l’entreprise. Il annonce, après sa prise de fonction, une entrée en Bourse dans les 18 à 36 mois prochain, sans que ce délai soit ferme.
Careem
Créée en 2012 par des anciens du cabinet de conseil McKinsey & Company Mudassir Sheikha et Magnus Olsson, Careem est basée à Dubaï et opère dans 90 villes à travers le Moyen Orient, l’Afrique du Nord et l’Asie du Sud. La compagnie, plateforme de services à la location de voitures et au transport, a été valorisée en 2017 à près de 1 milliard de dollars. Careem revendique plus de 20 millions d’usagers et pas moins de 500.000 chauffeurs dans son portefeuille. En 2015, Sheikha et Olsson sont rejoints par Abdulla Elyas après que Careem ait racheté sa société de livraison à domicile basée en Arabie Saoudite. Careema levé presque 430 millions de dollars de fonds et son tour de table compte des investisseurs de renom tels que The Abraaj Group, Saudi Telecom ou encore STC Ventures. Malgré les nombreuses critiques liées aux activités de Careem, cette dernière a été un peu moins l’objet des attaques que le géant américain. Sur le marché marocain, la société Dubaïote continue de faire son chemin et d’étendre ses activités.L’entreprise propose aux jeunes désireux de rejoindre les rangs de ses capitaines des emplois à plein temps et d’autres à temps partiel.
Heetch