Mohamed Hafidi: l’artiste plasticien qui fait chanter le métal

Par Azdine Hachimi Idrissi, critique d’art.

Une nouvelle exposition de l’artiste plasticien Mohamed Hafidi, intitulée « Morceaux Marquants », se poursuit  jusqu’au le 15 octobre 2024, à la Galerie Bab Al-Kabir à Rabatà Rabat, sous l’égide du Ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication.

Lors de l’  exposition «Eclats chroma métalliques» de  Mohamed Hafidi en 2017,  nous avions dit que son travail s’inscrit dans une synthèse entre «art moderne» et «art contemporain». L’artiste évite les cloisonnements et préfère  travailler dans cette  «zone frontière » permettant des échanges et des allers-retours entre plusieurs domaines de créativité ce qui lui  permet d’être très inventif.

En 2017, il  avait présenté trois types de créations : des peintures sur toile… des œuvres en traitement mixte intégrant  le cuivre avec des motifs gravés ou incrustés sur bois…et des œuvres façonnées à partir du métal (acier, inox, aluminium, cuivre…)

Dans cette nouvelle exposition « Passages en Relief » la démarche plurielle est toujours présente.  En plus de la peinture sur toile, nous notons  un fort développement de sa recherche sur le métal avec des résultats remarquables.

Lors de l’exposition antérieure, les œuvres métalliques étaient en monochrome avec l’ajout, à minima, d’une ou deux couleurs.  Par contre, dans cette exposition l’artiste  s’attribue plus de liberté avec la couleur. Les bas-reliefs en métal, inscrits dans une abstraction géométrique,  aux formes complexes et savantes, sont  rehaussés par les nuances éclatantes  de la peinture glycérophtalique.    

Cette coloration subtile arrive à estomper l’austérité initiale du matériau et attribue aux œuvres  luminosité, légèreté et finesse. C’est comme si ce chromatisme, adjoint au métal, orientait  « l’abstraction initialement géométrique » vers  une «  abstraction lyrique » intégrant une charge esthétique  remarquable. Challenge relevé haut la main par l’artiste.  

C’est pour cela qu’on peut dire  que Hafidi  est  incontestablement  « un artiste plasticien qui fait chanter le métal » en  attribue une certaine grâce. D’autres critiques, sur le même registre  ont évoqué chez lui  la  « poésie  du métal » ou même la « poétique du métal ».  

 Tout cela confirme chez lui une vision  qui transforme  l’acier, l’inox, le cuivre  et l’aluminium en « métal chantant » … Il les dépouille  de leur vocation première  pour en faire   des matériaux artistiques  absolus, sublimés par une inspiration féconde, et inventive. Il en est de même évidemment des sculpteurs qui font eux aussi « chanter le métal » de leurs œuvres qu’elles soient   figuratives ou abstraites.

Toutefois, la démarche de  Hafidi  est particulière. Il  réussit à transposer  au niveau des bas-reliefs (abstraction géométrique à 3 dimensions) les formes qui sont présentes  dans ses toiles peintes (abstraction  géométrique à deux dimensions). C’est cette  alliance maitrisée, entre formes et couleurs,  qui a rendu possible ce passage, permettant ainsi l’émergence de cette poésie inattendue dans la « néo-géométrie » de Hafidi.

L’artiste  agence plusieurs supports et techniques en des  combinaisons multiples.  Chaque œuvre est issue d’un savoir faire qui va au-delà du pinceau  ou de la brosse : bas-relief en acier inoxydable et aluminium peint… bas-relief en technique mixte sur toile…aluminium et technique mixte sur toile… acier inoxydable et aluminium sur bois de cèdre massif… technique mixte sur bois et cuivre blanc… technique mixte sur toile et cuivre blanc, etc.

Il fait tout lui même. C’est lui qui  façonne ou usine les différents matériaux. Il n’est pas dans le « faire faire » tel que cela est admis pour l’art contemporain.  Il n’a pas  choisi la voie de la facilité car chacun de ses bas-reliefs laisse entrevoir,  au-delà de la créativité esthétique pure,  un travail complexe sur le plan matériel ou physique.   

La démarche  est exigeante.  Pour Hafidi une exposition est un projet entier, une unité cohérente. Un travail « Moutakamil » dit-il  et il répète  plusieurs fois ce terme. Un projet sans fragmentation, ni segmentation. L’exposition est basée sur  un  concept murement réfléchi, étudié et maitrisé.  Complémentarité et continuité.  

A ce sujet, il souligne qu’il n’est pas dans  une  situation de production d’œuvres d’une manière fortuite ou improvisée … attendant que l’exposition prenne forme, avec des œuvres qui s’accumulent… comme par « hasard ». Il n’est pas dans l’aléatoire.

Certes il y a des artistes qui prônent cette démarche fondée sur l’inspiration du moment, de l’instant et qui, bien sûr,  aboutissent à des  résultats intéressants. Mais lui souligne  qu’il travaille sur un projet raisonné du début à la fin.   

L’abstraction géométrique étant proche du « modèle mathématique » ou de la « pensée mathématique »…cette rigueur dans la démarche artistique de Hafidi n’est pas trop éloignée des traits de sa personnalité.  

Puisque on parle du métal façonné, comment ne pas évoquer, ici, ces maîtres artisans de Fès, Marrakech et des autres cités créatives marocaines qui font eux aussi « chanter le métal » ? Ils  travaillent sur le cuivre, le laiton, le bronze, l’argent… pour en faire des objets fonctionnels.  Au-delà de leur fonction, ces objets sont également porteurs d’une profonde dimension ornementale. Cet  esprit de travailler sur le métal pour y inclure également une dimension esthétique est, chez nous, un héritage culturel profondément enraciné. Toutefois, Hafidi fait « chanter le métal »  selon une recherche inscrite dans l’art contemporain.  Ses  bas-reliefs abstraits portent la marque d une équation  esthétique post moderne.

Au-delà de la forme et pour ce qui est de la « symbolique du  métal » telle qu’elle est présente chez  Hafidi…certains critiques y on vu une composante du « patrimoine visuel contemporain et post moderne en général » et d’autres l’ont interprété comme « l’expression d’une tension issue de l’ère industrielle » 

Cette lecture liée aux tensions de l’ère industrielle (avec  tous ses aléas) peut être complétée par l’idée que l’artiste en faisant « chanter le métal » (à travers  la rythmique  des couleurs et  le  lyrisme certain ses œuvres) laisse émerger une espérance qui relativise  ce constat liée aux dérives de l’industrialisation.

Clin d’œil ! La symbolique du  « métal » a nourri l’imaginaire de plusieurs créateurs. Rappelons  la formule  « Métal hurlant » titre d’un célèbre magazine innovateur de bandes dessinées et de science fiction  créé au milieu des années 70 du siècle dernier. Il  donna aussi son titre au film « Heavy métal » … sans oublier ce genre musical  dérivé du rock appelé  « métal ».  Nous ne sommes pas spécialement, ici, dans ces références, mais ce rappel n’est pas de trop s’agissant de ces fortes déclinaisons artistiques issues de  la notion de « métal ».

Hafidi, artiste du « métal chantant », déploie une  créativité plurielle.  Il est designer, infographiste, artiste peintre, sculpteur, architecte d’intérieur, scénographe… Il  mène une recherche d’une riche complexité et  réinterprète, réinvente  et réenchante à sa manière, l’acte créatif  dans les arts plastiques.

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