Mohammed Ben Salmane, un prince héritier (bientôt) déshérité?

Si jamais l’enlèvement ou la mort d’un journaliste n’ont eu autant de retentissement que la disparition le 2 Octobre dernier du saoudien Jamal Khashoggi, c’est parce que l’atrocité de son exécution  dépasse l’entendement, le lieu choisi pour l’accomplissement de cette macabre opération est un bâtiment officiel de l’Etat saoudien à l’étranger et, enfin, cette opération aurait été effectuée par une quinzaine de «barbouzes» spécialement venus ce jour-là d’Arabie Saoudite à bord de deux avions privés pour repartir le jour-même après l’accomplissement de leur mission.

Pour rappel, avant d’être collaborateur du Washington Post, Jamal Khashoggi, la victime de cette macabre opération de décapitation effectuée sous les yeux du Consul d’Arabie Saoudite à Istanbul par le  commando dépêché à cet effet – et, si l’on en croit le président turc Recep Tayyip Erdogan, suivie directement de Riyad par le Prince héritier Mohammed Ben Salmane-  était un proche collaborateur de la famille royale saoudienne et des services de renseignement de l’Arabie Saoudite qui a subitement changé son fusil d’épaule et s’est mis à critiquer la politique autoritaire du nouveau prétendant au trône d’Al Saoud et nouvel homme fort du pays, le Prince héritier Mohammed Ben Salmane…

Car même s’il affiche un bilan désastreux depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2015 en tant que ministre de la Défense avant même son intronisation comme Prince héritier et son accession au poste de vice-premier ministre en Juin 2017, Mohammed Ben Salmane n’accepte pas la critique et encore moins lorsqu’elle émane d’un ancien serviteur du trône.

Et Jamal Khashoggi est bien cet homme-là. Il s’est permiS de signaler, dans ses écrits, que dès sa venue aux affaires de l’Etat, MBS a déclenché la guerre contre le voisin yéménite; une guerre qui, en plongeant le Yémen dans une catastrophe humanitaire sans précédent, a fait chuter de 80% les investissements directs étrangers en Arabie Saoudite de 7 milliards en 2014 à 1,4 milliard de dollars en 2016 alors même qu’ils étaient de plus de 12 milliards de dollars en 2012. Jamal Khashoggi a également rappelé qu’après son conflit avec le Qatar et son intervention au Yémen, Mohammed Ben Salmane avait encore «brillé» lorsqu’à la suite des protestations du ministre canadien des Affaires étrangères à propos de l’incarcération de femmes saoudiennes ayant critiqué son pouvoir, il avait expulsé l’ambassadeur canadien, gelé les accords commerciaux avec Ottawa et retiré 15.000 saoudiens des écoles et hôpitaux canadiens.

Le journaliste assassiné avait même prédit que cette situation allait empirer et les faits sont en train de lui donner raison. Mais, au comble de l’ironie, le dernier coup d’éclat de Mohammed Ben Salmane – celui-là même qui s’est déroulé dans l’enceinte du Consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul et dont la victime a été Jamal Khashoggi – va assassiner politiquement l’homme fort du régime de Riyad et donner le coup de grâce à une économie saoudienne déjà bien mal en point.

En effet, par cette dernière sortie aussi hasardeuse que dangereuse, l’enfant-roi a réussi à faire l’unanimité contre lui et à isoler une Arabie Saoudite qui n’en avait pas besoin surtout en ce moment où, pour diversifier son économie qui repose uniquement sur les revenus du pétrole, elle avait convié tous les grands de ce monde à la «Future Investment Initiative»; une sorte de  «Davos du désert». Or, à la suite de ce tragique incident, Richard Branson, le patron de Virgin, Dara Khosrowshahi, le PDG d’Uber Technologies, Bob Bakish, le PDG de Viacom Inc., le New York Times, le Financial Times ou encore CNN se sont empressés d’annuler leur participation à ce forum qui va incontestablement «tomber à l’eau».

Ainsi si, après deux semaines de dénégation, Riyad a confirmé, dans la nuit de vendredi à samedi, ce que le monde entier savait déjà, à savoir la mort de Jamal Khashoggi mais ce, tout en continuant à nier son implication dans une mort involontaire qui serait consécutive à «une rixe» qui aurait eu lieu entre lui et certaines personnes, aucune chancellerie au monde n’a «avalé» cette version des faits.

En conséquence, ce samedi, Frederica Mogherini, la Cheffe de la diplomatie de l’Union européenne, a réclamé «une enquête approfondie, crédible et transparente qui fasse la lumière sur les circonstances de la mort du journaliste saoudien» et exigé que les responsables rendent des comptes.

L’Allemagne, ayant jugé «insuffisantes» les explications données par Riyad, évoque des rétorsions économiques. Ainsi, Heiko Maas, son ministre des Affaires étrangères, dira que «tant que ces questions resteront ouvertes, (il) ne peut pas imaginer qu’il y ait une base positive au sein du gouvernement allemand pour approuver des exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite».

En considérant, dans une déclaration, que les explications fournies par Riyad après la mort de Jamal Khashoggi, ne «répondent pas à toutes les questions», le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a réclamé une «enquête exhaustive et diligente pour établir l’ensemble des responsabilités et permettre que les responsables du meurtre de Jamal Khashoggi répondent de leurs actes». Et le ministre français d’ajouter que «ces attentes sont d’autant plus fortes que (les) deux pays sont liés par un partenariat stratégique qui implique franchise, exigence et transparence».

Chrystya Freeland, la ministre canadienne des Affaires étrangères, a jugé les explications données par l’Arabie Saoudite comme n’étant «ni crédibles ni cohérentes» et appelé à «une enquête approfondie menée en pleine collaboration avec les autorités turques».

Même Donald Trump qui, dans un premier temps, avait jugé plausibles les explications données par Riyad a fini par reconnaître qu’elles sont «trop courtes» même si elles constituent «un bon premier pas» et par exiger «une réponse» qui soit satisfaisante. Mais, soucieux, par ailleurs, de ne pas nuire à la relation commerciale qui existe entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite, le président américain a tenu à rappeler qu’il ne serait pas «constructif» pour l’économie US d’annuler une commande de «450 milliards de dollars».

Or, tout ceci n’a pas empêché certains sénateurs d’évoquer l’application de sanctions à l’encontre de l’héritier du trône d’Al Saoud en sortant des tiroirs la loi Magnitski déjà utilisée contre des ressortissants russes impliqués dans des crimes graves.

Le républicain Paul Rand ira même jusqu’à suggérer qu’il soit mis fin à tout financement, formation ou toute autre forme de coordination avec l’armée saoudienne «jusqu’à ce que Khashoggi soit restitué vivant» alors que son acolyte Lindsey Graham a déclaré à CNN que «si cela est l’œuvre du gouvernement saoudien (et) que le prince héritier a été impliqué de quelque manière que ce soit, cela anéantira pratiquement sa capacité à diriger ce pays sur la scène internationale».

Enfin, d’après son Directeur général, Richard Mintz, Harbour Group, une société de conseils basée à Washington et qui depuis Avril 2017 gère tout un réseau de lobbyistes pour le compte de Riyad, aurait mis un terme au contrat qui la liait à l’Arabie Saoudite.

Il semble donc qu’aveuglé par le pouvoir que lui conférait l’argent tiré de ses puits de pétrole, l’enfant-roi ne s’est pas donné le temps qu’il faut pour apprendre à s’asseoir correctement sur le trône d’Al Saoud et l’a fait vaciller comme nul autre avant lui. De quoi donc demain sera-t-il fait dans cette riche monarchie pétrolière ? Va-t-on «destituer» Mohammed Ben Salmane et faire appel à son frère Khaled de son ambassade de Washington ? Tout semble l’indiquer, pour l’heure, mais attendons pour voir…

Nabil El Bousaadi

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