«Quand on monte des pièces avec amour et passion, le message passe d’une manière fluide»

Les planches sont un lieu d’aveu, de confession et de dénonciation par excellence. Dans la pièce «selfie», Naima Oulmakki, militante chevronnée des droits de femmes, évoque la situation de la femme. «Ma relation avec la planche s’est tissée depuis l’enfance. Le choix de «selfie» est une recherche de soi», déclare-t-elle. Le texte de la pièce est écrit par Anas El Aakil et interprété par Naima Oulmakki, mis en scène par Ahmed Hammoud, les scènes filmées en vidéo par Amine Oulmakki et Fayçal Ben et les costumes réalisés par Amal Belcora. Al Bayane a contacté la comédienne qui nous donne davantage de détails sur son premier «one woman show».

Al Bayane: Vous êtes archéologue de formation. Parlez- nous de votre passage de l’archéologie aux planches ?

Naima Oulmakki: Celà fait 20 ans que je suis investie dans l’archéologie. C’est mon gagne- pain ; c’est avec cette profession que je vis. En parallèle, je fais beaucoup de travail social. J’ai adhéré depuis le début au théâtre Aquarium. Un théâtre qui milite pour les droits humains, notamment ceux de la femme. C’est là où j’ai commencé à travailler comme chargée de relations publiques et de communication. Ce parcours avec cette association m’a permis de vivre avec les artistes pendant 20 ans. J’ai vécu leurs souffrances, leurs rêves, leurs colères… J’ai toujours été fascinée et interpellée par cet univers : le monde des artistes. J’ai un lien avec le théâtre depuis ma tendre enfance. Quand j’étais petite, les gens me disaient que j’étais toujours sur scène. Ma relation avec la planche s’est donc tissée depuis l’enfance.

«Selfie» est votre première performance artistique. Le «One woman show» est-il un choix artistique pour vous ?

Pour ce qui est du «One woman show», au début ce n’était pas un choix. Cela fait des années que j’ai quelque chose à dire, à poser et à partager avec l’autre, mais je ne savais pas ce que c’était exactement. Le moment opportun est venu par la suite !  Après beaucoup de travail sur moi, puisque je suis coach professionnel de métier, et je m’intéresse énormément au développement personnel, je cherchais en moi quelque chose pour m’exprimer.

Chaque être humain a son élan créatif en lui et celui-ci doit sortir un jour. Dans cette optique, j’ai essayé un peu de musique, de peinture…mais je sentais toujours que la planche m’interpellait. C’est là où j’ai contacté Ahmed Hammoud qui est metteur en scène et qui a compris cette profondeur parce que je ne voulais pas faire du théâtre pour être une comédienne connue. Ce n’était pas mon but!  Pour moi, c’était un besoin humain et personnel que je devais assouvir, et pas avec n’importe quel metteur en scène et surtout loin d’une approche classique du théâtre parce que, je ne me base pas sur un texte pour une dramaturgie classique. Je voulais faire un théâtre personnalisé. J’ai rencontré Ahmed alors qu’on n’avait ni fonds, ni forme. Cela a débouché par la suite sur un travail de recherche profond, sans plan d’action et une façon de faire préétablie. Ce travail de recherche a abouti à «Selfie». Chaque spectacle ne ressemble pas au précédant parce que c’est de l’humain dans son changement, ici et maintenant, dont il est question.

 Avec l’évolution des nouvelles technologies, le «Selfie» est devenu une tendance. Y-a-t-il une quête de soi dans le choix de ce support?

Le choix du «selfie» est une recherche de soi-même. Dans l’acte du «selfie», est-on en train de prendre la photo de soi ? Est-ce une photo réelle ou le contraire ? C’est relatif, quand je me prends en photo, est- ce moi qui suis dans la photo ou bien l’image de moi ? L’image de moi est-ce moi ?  Dans la pièce, on projette une vidéo de la mise en scène de la pièce de théâtre, celle-ci fait partie de la mise en scène. Il y a beaucoup de projections de vidéos dans la pièce «Selfie». Nous avons travaillé sur la photographie et sur différentes techniques. Lorsque je parle à un appareil photo qui est un élément important dans la pièce, c’est une manière de me parler à moi-même.  Une manière de parler à mon image qui est dans le diaphragme. Chaque personne peut comprendre le «selfie» comme il veut, mais la plupart des gens pensent que le «selfie» c’est la quête de soi et l’image de soi. Pour moi, le «selfie» est la grande question : en faisant un «selfie», sommes-nous nous-mêmes ou l’image de nous-mêmes?

Vous avez incarné le personnage d’une femme riant parfois aux éclats. Un rire à la fois cynique, qui interpelle et remet en question la situation de la femme dans une société hybride, métamorphosée et faisant face à plusieurs enjeux et transformations. Camus disait : «Si le monde était clair, l’art ne serait pas». Qu’en pensez-vous?

C’est vrai que dans «Selfie», il y a la femme dans tous ses états : la joie, la colère existentielle. Il y a une injustice à l’égard de la femme, notamment dans une société purement masculine. Elle y subit une injustice naturelle, juridique, sociale.

La femme incarnée est une petite fille rebelle depuis son enfance, qui a subi le poids du pouvoir religieux, institutionnel, le pouvoir de la famille et celui de la société. Depuis son enfance, la petite fille était sensible à cette injustice. Lorsqu’elle est devenue adolescente et est partie en France pour y étudier, elle est revenue dans son pays avec une dimension d’ouverture et d’épanouissement sur les droits humains pour poursuivre la lutte et militer avec beaucoup d’humour noir et d’enthousiasme.

Il y a beaucoup de moi dans cette pièce. Il y a un autre personnage, Nabila, qui est fictive. Elle met en avant un autre registre de femme, celle qui vit dans les montagnes, qui protège sa virginité. Ces deux femmes, l’une moderne et l’autre traditionnelle, présentent l’image d’une seule femme universelle.

A votre avis, quel rôle peut jouer le théâtre en matière de sensibilisation aux droits de la femme, notamment l’héritage, l’égalité, la parité et la liberté?

Je pense qu’après 20 ans d’expérience dans un théâtre social, je peux dire que le théâtre est extrêmement important en matière de sensibilisation parce qu’on peut toucher le maximum de femmes et d’hommes. Ainsi, lorsqu’on est sincère, qu’on monte des pièces avec beaucoup d’amour et de passion et on prend le spectateur comme acteur, je crois que le message passe d’une manière fluide et profonde.

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

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