Le peintre Khalil Gharib à Oukaimden

«C’étaient de très grands vents, sur toutes faces de ce monde,

De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,»

Saint Jean Perse

***

C’est une ascension qui interpelle tant les muscles que l’esprit. Il s’agit de prendre le chemin vers les cieux proches pour assister à une installation artistique. Car en cet haut-atlas, les montagnes alignent une infinité de sommets, pics, vallons. Lignes après lignes, creux qui en cachent d’autres. Le vertige et la peur, l’admiratif regard et le pied hésitant. Alors une œuvre d’art en plein air, dans une géographie à reliefs brisés, sinueux, a de quoi remuer les tripes de l’interrogation.

C’est chose faite, et l’œuvre a pu dans une ultime inspiration émerger de son fond imaginaire suite à une invitation d’un autre artiste qu’est Mohammed Mourabiti. Une invitation qui a sonné comme un appel à se faire sien un lieu prédestiné où tout glisse s’il n’a pas l’aval des Dieux. Où tout passe et ne demeure qu’un instant susceptible d’être éternel même dans la traversée.

Alors Khalil Gharib, sollicité à cet effet, a dû sûrement retourner l’idée dans sa tête à la manière d’un léger tourbillon venteux, lui qui a apprivoisé le vent océanique de son Asilah douillette et plane.

Or, il y a vent et vent. Ça souffle différemment comme l’air de la création. Entêtement parfois, et docilité des fois. Mais une grande inconnue se dresse : celle du temps propice à l’un ou l’autre. Comme lorsqu’on voyage à bord d’un voilier.

Ce vent donc sera apprivoisé. L’artiste a choisi un endroit prédestiné : l’habitat de fortune, saisonnier, des transhumants. Beau mot et splendide visée. Ce sont deux abris bas, une frontière de pierre entassées en cercle délimitant un espace où bergers et troupeaux cohabitent dans une symbiose d’odeurs pures et d’efforts consenties. Près du ciel, vue large sur les plaines en bas et les montagnes alentour. L’impression que rien ne se passe et que tout existe pour soi. Alors, l’artiste a installé sur un mur latéral d’une des niches, blanchi à la chaux, une montre dont le cadran s’est arrêté sur une indication horaire fortuite, pour dire l’éternité d’un moment élu, éprouvée seulement ici.

Tout près, un monticule de pierres sur lesquelles est déversée de la chaux pour visualiser la neige qui est une constante dans son lieu de prédilection. Et enfin et surtout, fixer à des fils blancs ténus des morceaux de cartons blanc cassé portant des images d’oiseaux, sur le devant de l’entrée des niches. C’est là où le vent intervient, exécute son œuvre et fait voler ses êtres aux ailes. Un moment de contemplation qui tisse les sens pour celui, debout et subjugué, vit l’expérience de l’immigration, départ et arrivée confondus, traversée spatiale et relais temporel.

Une installation qui rend compte de l’immigration des choses et des êtres, comme vol et comme pause. Mais aussi comme une présence fragile susceptible de disparaître justement « en coup de vent », de n’être qu’une image intemporelle que seule la mémoire pouvait ressusciter lorsque le souvenir de l’instant passé en ce lieu de transcendance fait surface au détour d’un des détails composant l’installation. Voilà le l’autre mot de l’entreprise de Khalifa Gharib. Se saisir de l’esprit de la montagne à travers ce qu’il maîtrise : se faire métamorphoser le papier, la pierre, la ferraille.

On ne peut s’empêcher de penser à ce qu’avait écrit Edmond Amran Elmaleh à propos de l’artiste : «L’art, le grand art de Khallil est de libérer la matière, la laisser se manifester, en l’intériorisant, en s’y abîmant par une sorte d’ascèse inouïe».

Quel bonheur de vivre cet art tout près du ciel ! N’est-ce pas mystique?

Par : M’barek Housni

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