Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi
S’il est vrai que, le 13 Octobre 1990, le Liban avait officiellement tourné la page de quinze années de guerre civile, il n’en demeure pas moins vrai que ce conflit a laissé une trace indélébile, au Pays du Cèdre et dans l’esprit de ses habitants à telle enseigne qu’à chaque tension inter-communautaire, que celle-ci soit d’ordre politique ou d’ordre religieux, le spectre d’une nouvelle guerre civile hante tous les esprits.
C’est pour cette raison, d’ailleurs, qu’avec les sept morts qu’elle a laissé sur le bitume, la manifestation de ce jeudi 14 Octobre organisée par le tandem islamiste Hezbollah-Amal contre le juge qui a été chargé de l’enquête concernant l’explosion survenue dans un entrepôt du port de Beyrouth le 4 Août dernier et qui a dégénéré en affrontements armés entre ces derniers et les miliciens des quartiers chrétiens de Aïn el Rammaneh a sérieusement ébranlé le fragile équilibre dans lequel vit le pays depuis trois décennies et ravivé la hantise d’un nouveau conflit interne.
Pour rappel, c’est dans ces mêmes quartiers que, le 13 Avril 1975, après que les miliciens chrétiens des « Kataëb » aient attaqué un bus palestinien, les batailles de rues qui s’en étaient suivies avaient fait plus de 30 morts et donné le coup d’envoi à cette guerre civile qui ravagea le pays durant quinze années.
La similitude ne s’arrête pas là puisqu’en répondant à l’appel de leur leader Hassan Nasrallah, les combattants du Hezbollah, ramènent aux esprits l’invasion de Beyrouth par ces derniers le 7 mai 2008 après la décision prise par le gouvernement libanais d’alors de démanteler le réseau de sécurité de la milice chiite.
Mais après avoir conservé ses armes en invoquant la nécessaire poursuite de la lutte contre Israël, le mouvement de Hassan Nasrallah n’avait jamais, avant ce jeudi, usé aussi massivement de son arsenal sur la scène locale et ses partisans n’ont pas cessé, de leur côté, de scander des slogans contre les Etats-Unis et contre Samir Geagea, le chef des Forces Libanaises, cette ancienne milice chrétienne devenue un parti politique mais que les forces chiites accusent d’être inféodé à Israël.
Tous ces faits ont conduit Randa Slim, directrice de programme au centre de réflexion Middle East Institute, à déclarer que les évènements de ce jeudi ont donné un « aperçu d’un mauvais scénario qui pourrait prendre forme dans un avenir proche au Liban si la dynamique économique et politique actuelle n’est pas résolue ». Or, le Pays du Cèdre connaît, depuis la fin de l’année 2019, la plus grave crise politique et économique de son histoire.
Si donc le week-end dernier, le pays a dû faire face à de nombreuses coupures de courant et que la situation n’a été rétablie qu’après l’intervention de l’armée, il faut rappeler que le Liban qui affronte, depuis des mois, des rationnements de courant peine à importer du carburant alors que, depuis 2019, sa monnaie nationale, la livre libanaise, a perdu 90% de sa valeur et que, selon les derniers chiffres de l’ONU, 78% des libanais vivraient, désormais, sous le seuil de pauvreté.
Dans la presse libanaise de ce vendredi, le ton est plutôt amer contre les chiites notamment car un responsable d’Amal avait promis « une journée d’enfer ».
Les médias locaux ont donc pointé du doigt les chiites car « le Hezbollah et Amal savaient qu’en passant par le quartier de Tayouné, ils allaient traverser une zone à haute sensibilité confessionnelle » (et que) quand on appelle à manifester à un tel moment, de cette façon, à cet endroit, cela veut dire qu’on est prêt à prendre le risque d’occasionner des violences ».
Enfin, selon une analyse de Mohammad Hajj Ali, chercheur et directeur de la Communication au Carnegie Middle East Center, parue le lendemain dans « L’Orient-Le jour », « Le Hezbollah a réussi aujourd’hui [jeudi] à changer la rhétorique : désormais, on ne va plus parler de l’explosion du port, mais du guet-apens imputé aux FL [Forces Libanaises]. Ce sont donc deux enquêtes qui vont, désormais, s’affronter : celle concernant les explosions du 4 Août et celle relative aux incidents violents d’hier ; cette dernière devant servir à torpiller la première ».
Sont-ce là les signes avant-coureurs d’une nouvelle guerre civile dans cet Etat multi-confessionnel qu’est le Pays du Cèdre ?