Rachid Afilal: Au plus haut de l’émotion

M’barek Housni

«Celui qui a le sentiment vif de la couleur a les yeux attachés sur sa toile» Diderot

L’inspiration artistique s’enclenche toujours de quelque part. D’une rencontre, d’un rêve, d’une pulsion ou de l’émergence d’un ressenti fort. Tel un flux invisible qui finit par titiller les doigts et l’esprit. Chez Rachid Afilal, on est dans le droit de mettre tout cela côte à côte et y croire, tellement son travail nous pousse à y adhérer. Accrochés sur les murs de sa galerie privée, dans un lieu qui sent la nostalgie d’un temps d’éternité porté par une architecture française à la mode des années vingt un siècle plutôt, on les voit défiler devant nos yeux au gré de la contemplation méditative, et on se sent accrochés à notre tour. Magique.

Ça commence par deux tableaux où ne dominent que des éléments purement plastiques : des lignes et des couleurs vives, du rouge et du vert notamment, et l’insertion du bleu ci ou là, dans des proportions qui forment des aplats recouvrant le regard.  On dirait que l’artiste s’introduit dans la scène artistique par ce qui compte le plus : la maîtrise de l’harmonie colorée. Puis c’est le tour d’une série de tableaux exécutés différemment qui fait évoluer une palette à chaque fois privilégiant une couleur plus qu’une autre sans se départir du souci de la tache minuscule esquissée ou spatulée. On y constate un penchant pour le geste guidé par une énergie intérieure dans le but d’organiser un tumulte de sensations, non pas pour évacuer un surplus de charge émotionnelle, mais pour aboutir à exprimer du beau et du plaisant. On en veut pour preuve la série des toiles bleues.

Le sens de cette couleur difficile à usiter pour dire les affres et les perturbations  y est rehaussé à sa nature de beauté calme, de transparence d’âme, et d’accompagnement des temps sereins sans être de tout repos. Il est indéniable que cela n’est guère fortuit, car on ne s’improvise pas artiste du jour au lendemain, et Rachid Afilal a passé deux années dans une école d’art en Tunisie, alors qu’il voulait étudier l’architecture. Le mot étude ne lui est pas étranger puisqu’après tout ce va-et-vient entre plusieurs disciplines, il s’est créé une étude, mais de notaire, après des années passées à bûcher le droit. Toutefois, la passion de la peinture est si ancrée en lui qu’il peint en parallèle. Grand bien lui fasse.  Il n’y a que l’art pour toucher l’essence du monde.

C’est ainsi que continuant notre marche contemplative, un grand tableau nous surprend. Il est de format carré avec un fond blanc qui se voit investir petit à petit par des taches noires véhémentes dispersées un peu partout, mais voilà, mine de rien, qu’en bas vers le milieu, trois quatre taches rouges préfigurent ce qui ressemble à une bouche faisant un pendant individualisé aux yeux esquissés en haut. Cela s’appelle créer la différence en faisant introduire du figuratif avec juste ce qu’il faut afin de rendre compte d’une présence indéniable.Le visage. Trait de marque essentiel de l’artiste. Sa touche qui le désigne actuellement, et lui octroie le label artistique parmi ses pairs. Le visage ressort et s’impose dans une multitude de toiles paraissant avec les couleurs et les autres composants comme le thème d’une préoccupation axiale. Mais, fait remarquable, pas le visage tout entier, juste les contours, une certaine physionomie et surtout les yeux. C’est la présence à travers des yeux arrondis, montrés par deux traits joints ou plusieurs contours. C’est l’ébahissement total devant le monde via un événement d’une grande envergure.Celui qui touche au plus profond de l’être en tant qu’individu coincé  dans l’incompréhension, et non tel un élément vivant sa routine de vie dénuée de questions fondamentales.

C’est une peinture impliquée fort dans son sujet. Appartenant à cette expressionnisme révélateur de turbulents désirs de l’émergence d’une réalité de résistance par le défi du regard ouvert sur la présence comme sur l’absence, en une concomitance de forces. Lorsque l’homme se noie dans un souci majeur suite à un engrenage, il découvre l’autre face du vécu. C’est ce que semblent décrire ces visages qui affleurent en enfilade d’une œuvre à l’autre, fixant le monde après un orage autant matériel, quotidien et prosaïque qu’existentiel.  Et nous voilà mis devant une esthétique de l’angoisse par des touches, des couleurs et des formes de figures béantes sur l’immensité de ce qui nous reste à franchir. De l’art qui aide à comprendre, celui que le grand peintre Jean Fautrier a qualifié ainsi : «Le geste de peindre n’est pas simplement le besoin d’étendre de la peinture sur une toile et il faut bien admettre que le désir de s’exprimer, à l’origine, nous vient de la chose vue». Ici la chose vue est tout un monde dans des circonstances qui mettent l’homme à l’épreuve. De la vérité comme de l’art.

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