Rachida Belkacem: «revenir à sa part d’humanité»

Des écrivains à l’heure du Covid-19

Devenir en l’espace d’un temps spectateurs impuissants à l’annonce de cette crise sanitaire, voilà ma première pensée ! La vie me parait subitement si fragile et à la fois si puissante, nous reliant tous les uns aux autres, en un instant.

Subitement nous nous rappelons cela : qu’il faut être lié les uns les autres pour survivre. Un mot m’apparaît alors comme une évidence : l’interdépendance, une nécessité absolue d’être altruiste pour survivre. Comment réapprendre le silence et l’immobilité liés à ce confinement? Il y a des évènements qui nous transforment plus que d’autres car ils disent de nous quelque chose de plus profond, ils révèlent cette part d’indicible. Des lieux entremêlant passé, présent et futur qui ont cette capacité de nous faire revenir à nous en un instant. Revenir à sa part d’humanité.  C’est cela que je recherche tous les jours dans mon écriture.

L’écriture me paraît au départ comme une fuite, s’imposant ainsi comme un refuge. Petit à petit l’écriture, la création, me parait comme un hommage à la Vie, une forme de résistance de ces temps incertains et violents. L’agitation de toutes nos émotions est palpable, nous guettons chacun d’entre nous cette lumière, remplissant chaque jour nos âmes de sourires éternels. Les sourires de ces âmes invisibles en d’autres temps. Nous sommes projetés en un instant hors temps, l’insaisissable s’emparant de nous : les hommes planifient, construisent, oubliant l’essentiel… L’homme qui écrit, réfléchit à comment rester serein, cherchant à transformer ses inquiétudes en voyage intérieur.

C’est mon cas aujourd’hui, vivre, écrire dans cette brutalité la plus douce, les mots déposés dans cette frénésie de l’attente agissant comme rempart. Nous nous posons les mêmes questions partout dans le monde : cette crise, ce virus est-il un avertissement, un rappel, un signal voire même un message mais lequel ? La peur de la maladie nous faisant ressortir les choses les plus primaires de nous-mêmes, cultivant altruisme, partage et compassion.

La peur de la maladie à cette faculté de nous isoler tout en nous réunissant tous. Les premiers temps, je me suis sentie un peu bousculée dans mon quotidien car je suis de ceux qu’on appelle les blouses blanches, de ceux qui sont passés d’invisibles à héros.  Mon planning prend soudainement l’aspect de celui d’un ministre me dira-t-on, mais sans le salaire. Les heures s’accumulent jour après jour, la fatigue aussi. Il y a donc le temps des confinés et des autres imposant de la même manière rigueur, endurance et solitude. Le mental est mis à rude épreuve, combien de temps cela va durer ? Les applaudissements de 20h n’arrivent pas à me consoler chaque jour des pertes humaines.

Dans mon quotidien de blouses blanches, le lieu dans lequel je suis affectée prend des allures de cellule de crise tous les jours. Du personnel soignant à suivre, à écouter, à dépister et redéployer ce personnel dans les différents services d’un hôpital de l’ouest parisien. Le temps persiste, se ressent intensément pour nous permettre à tous de toucher la vie chaque jour d’un peu plus près.  Pour les blouses blanches où le respect du confinement est devenu vital, on compte les jours mais aussi les morts parmi nous. Cette crise aura eu raison des plus fragiles. Nos émotions, nos peurs suspendues, ressemblent à la voix d’une femme qui répète sans cesse : respire, laisse, libère…

Comme pour nous rappeler que le cycle de la vie nécessite un lâcher prise même celui du temps. Être capable de ce temps contemplatif, d’en faire un temps de création, de construction de valeurs plus solides et plus authentiques. Il y aura le déconfinement politique dans chaque pays, chaque région. De plus, il y aura celui de l’esprit propre à chacun d’entre nous.  Celui-ci prendra plus de temps laissant parfois plus de séquelles. Chaque jour ma blouse blanche laisse la place à ma plume, le soir le plus souvent, après une séance de méditation.

C’est aussi le moment où je prends des nouvelles de ma famille et mes amis. Parfois enregistrant de la poésie pour des médias, participant à des ateliers d’écriture à distance, et continuant l’écriture d’un autre roman. Un roman bien loin du thème du COVID-19. Mes deux garçons ayant pris pour habitude de m’entourer de baisers, ont instauré d’autres rituels comme pour s’assurer de ma présence.

Chaque matin, je pense à ceux qui sont partis subitement laissant des âmes esseulées mais aussi des souvenirs comme des étoiles de vie.  Aujourd’hui, il est opportun de faire, d’aider, de vivre intensément comme l’amour n’a d’exigence que l’instant. Sortir de ce confinement, c’est aussi s’engager et être capable d’en extraire des leçons collectives. Le ciel n’est pas sans mémoire, nos vies l’emplissent de notre courage intense et de notre humanité. Il n’y aura pas de nouveau monde, il y aura celui-ci, à réinventer chaque jour face à l’adversité même invisible. Alors vivons et aimons.

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