Retour aux sources

Vaudoo, la nouvelle bédé de Hicham Lasri

Entre deux films, un roman, une pièce de théâtre et éventuellement une commande de télévision, Hicham Lasri revient à ses premières amours, la bande dessinée. Et dans son cas, il faut parler du neuvième art. Il vient en effet de terminer un album Vaudoo où un personnage de bédé justement devenu apatride «outcast, un citoyen du vide» tente de revenir dans une case et se présente à un casting. Comme pour son cinéma, on ne peut que présenter un synopsis approximatif de ce qui passe pour des véritables sables mouvants du sens. C’est le travail dans sa totalité qui fait sens.

On sait qu’au départ, Hicham Lasri aimait dessiner, ses premiers articles critiques, fin des années 1990, étaient souvent accompagnés de dessins comme dans un faisceau de signes multiformes. Devenu cinéaste, ses films sont traversés de cette culture originelle, initiale ; les comics ont nourri son regard. Son imaginaire est d’abord iconique, visuel. Le Vaudoo d’aujourd’hui constitue dans ce sens une sorte de rappel de cette filiation. Cette bande dessinée n’apparaît pas comme une pause distractive mais  un prolongement d’une réflexion globale (sur le rapport aux images au storytelling) par d’autres moyens.  Un retour aux sources de la représentation visuelle : le  cinéma et la bande dessinée ont eu un destin croisé dès les origines. En reprenant le dessin, c’est une continuité de la réflexion sur le cadre, la place du corps dans l’espace, sur le trait. On ne peut alors ne pas relever que cela intervient dans un contexte de bouillonnement des images, où l’image vidéo notamment est tombée dans le domaine public. Hicham Lasri ouvre alors une «case» pour interroger la légitimité des images aujourd’hui.

 «Le style est dans les détails», nous dit Gérard Genette, le théoricien de la narratologie. Dans «Vaudoo», on est quand même captivé par le parcours de ce personnage qui cherche à remplir une bulle, mais ce sont surtout les détails de chaque planche qui nous invitent à un parcours de sens. C’est le dessin lui-même qui est un fait de style. Comme dans son cinéma, on n’est pas ici dans une posture réaliste qui neutralise la forme.  La dimension plastique l’emporte sur la dimension réaliste. Dès le générique, on est introduit dans un univers étrange où il faut se doter de ses propres repères. La préface est illisible pour le lecteur lambda et des pages noires insinuent le domaine de l’étrange. Pour accéder au sens ou plutôt à une hypothèse de sens, il faut prendre son temps et donner au détail sa mesure. Le détail n’est pas un ornement (le portrait de Hassan II instaure par exemple une piste de lecture et de filiation avec des films précédents de Lasri). Tout fait sens. Il n’y a pas de degré zéro de l’expression : le trait, le vide…la graphie est en soi un discours. L’énonciation fait irruption dans l’énoncé. Le dessin renvoie au geste qui l’a fait naître. Il s’inscrit dans le cadre de la polyphonie textuelle jouant sur les ruptures signifiantes, les contrastes, les dissonances (du gros plan à l’insert au plan large… entre autres). Et comme dans ses films, il multiplie les clins d’œil, les citations graphiques.  Il invite le lecteur à mobiliser son background culturel et visuel. Devant une planche ou devant un film, Hicham Lasri interpelle notre mémoire.

Mohammed Bakrim

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