Sarah Moussabik, une voix amazighe qui monte depuis Shanghai

Par : Al Mustapha SGUENFLE – MAP

La gent féminine a laissé une empreinte indélébile dont l’excellence demeure connue et reconnue par les férus de la musique amazighe. Dans la région de Souss Massa, par exemple, cette contribution a été l’œuvre de voix féminines qui ont été enregistrées depuis la deuxième moitié du siècle dernier, à l’image de Sfiya Oulet Telouat, Fatima Tihihit Moujahid et Rkia Talbensirt.

Loin de s’évanouir dans l’oubli, cet héritage a été repris par une nouvelle génération d’artistes femmes amazighes, dont beaucoup ont fait le choix de s’installer à l’étranger. Mondialisation oblige, cette génération n’hésite pas à fusionner le répertoire du Souss avec d’autres styles musicaux.

Dans cette catégorie, figure une jeune voix feutrée dont l’écho se répercute limpidement depuis Shanghai, celle de Sarah Moussabik qui forme avec son époux un duo musical dont les réalisations commencent à séduire. La culture amazighe a naturellement façonné la personnalité de Sarah depuis sa naissance à Agadir en 1991. En effet, la passion qu’éprouve aujourd’hui cette jeune artiste pour la musique amazighe remonte à une petite enfance bercée par la langue maternelle.

« J’ai grandi en communiquant uniquement en amazigh avec les membres de ma famille », raconte-t-elle dans un entretien avec la MAP.
« Étant donné que j’écoutais la musique de Rways comme Lhaj belaid, Rrayss Arsmouk et Fatima Tabaamrant, c’était tout naturel que je chante en amazigh », poursuit-elle, affirmant que la culture amazighe représente « les racines, le présent et l’avenir ».

Cet attachement viscéral aux origines n’a aucunement exclu l’ouverture sur d’autres horizons musicaux, notamment occidentaux, d’autant plus que Sarah est issue d’une famille de mélomanes. « Mes parents adoraient la musique, c’était quelque chose de très important dans notre maison », relate-t-elle.

Par conséquent, une fraternisation entre styles amazighs et occidentaux s’exprime nettement dans l’œuvre artistique de Sarah Moussabik qui, quand elle rédige des textes en amazigh, peut s’inspirer d’artistes comme Nina Simone et Alpha Mist. Après avoir achevé ses études à Agadir où elle a obtenu une licence en management, Sarah s’est déplacée à Wuhan afin d’y compléter son master en commerce international. C’est dans cette ville chinoise qu’elle allait faire la rencontre, en 2016, d’Ismael Moussali.

L’aisance affichée par Ismael dans le jeu à la guitare lui a valu l’admiration de Sarah. « L’idée de jouer de la musique avec Ismael a toujours été un de mes rêves, je suis une grande fan de lui », admet-elle.
Peu de temps après leur rencontre, les deux ressortissants marocains ont entamé une collaboration artistique. De fil en aiguille, des liens sentimentaux se sont subtilement tissés entre eux, donnant lieu à leur mariage en 2019. C’est dans cette année-là qu’Ismael allait déménager à Shanghai, où Sarah était déjà installée, afin de former avec son épouse le duo « Sarah & Ismael ».

A Shanghai, Sarah s’active dans le marketing et le développement commercial, tandis que son époux travaille comme compositeur et chef de projet pour un centre d’art. La mégapole chinoise offre une expérience de vie foncièrement différente pour la jeune artiste, qui avoue ne pas se sentir à l’aise dans les grands centres urbains : « je me vois plus comme une « Iliss N’Tmazirt » (une fille de la campagne), le fait d’être entourée d’éléments organiques naturels me rend plus heureuse ».

Néanmoins, elle essaie de s’habituer aux gratte-ciel et formes carrées afin de profiter des opportunités économiques et, surtout, de la culture cosmopolite qu’offre Shanghai et qui « permet d’entrer en contact avec des gens du monde entier et découvrir de nouvelles cultures au quotidien ».
Malgré les besognes de la vie professionnelle, Sarah et Ismael font en sorte de maintenir la cadence de la production artistique. « Bien que nos horaires soient serrés, nous essayons de produire autant que possible, que cela soit des chansons reprises ou originales. Nous essayons aussi d’explorer l’héritage de la musique amazighe », relève-t-elle.

Ce dévouement artistique n’a pas tardé à porter ses fruits, puisque le duo marocain a été invité à jouer dans plusieurs festivals en Chine. « Depuis que nous avons formé notre duo, nous avons créé un autre projet intitulé « Tarwa N’Ayyur » (Enfants de la lune) et avons joué au festival JZ de Shanghai (l’un des plus grands festivals de jazz en Asie), au festival WorldMusic à Shanghai, ainsi que dans de nombreux autres festivals de yoga et de méditation », note-t-elle. Le duo « Sarah & Ismael » produit des reprises inspirées du répertoire artistique amazigh du Souss. Parmi celles-là, figurent « Immi Hnna » d’Izenzaren, « Zayd A Zzaman » de Mohamad Outhnawt et « Ahayli » de Raiss Hmad Bizmawn.

« L’idée de produire des reprises a commencé à germer dans mon esprit quand je dénichais dans le répertoire amazigh. Ismael et moi-même avions commencé à écouter des morceaux de ce répertoire et à discuter des aspects relatifs aux mélodies, au rythme et aux arrangements. Ensuite, nous nous sommes mis à jouer ces morceaux suivant des arrangements différents », explique-t-elle.

Le duo s’est également lancé dans la production d’ »Amoudou » (Voyage), un album basé sur des chansons originales. Les paroles de la première chanson de l’album, également intitulée « Amoudou », ont été rédigées par Sarah il y a trois ans. La jeune artiste y évoque sa perspective vis-à-vis de la thématique du voyage nomade chez les Amazighs.

« La chanson ‘Amoudou’ traite également des différences et similitudes existant entre les modes de vie observés chez différentes tribus amazighes. Je pense qu’il y a de la beauté et de la sagesse à tirer de cette comparaison », note-t-elle, annonçant, en outre, que des collaborations avec d’autres artistes sont prévues au titre de l’album.

La deuxième et prochaine chanson de l’album « Amoudou » s’intitule « Timgharin » (Femmes), et devra être postée sur la chaîne Youtube « Sarah & Ismael » à l’occasion de la journée internationale de la femme.
« En tant que femme amazighe, cette chanson occupe une place de choix pour moi. Lors de mes voyages dans différentes contrées amazighes (Timizar), je me suis rendu compte que les femmes rurales sont incroyablement talentueuses, fascinantes et fortes! J’ai vu des femmes porter du bois de chauffage, jouer un rôle majeur dans l’agriculture et soutenir leur foyer », soutient-elle avec enthousiasme.

« Je pense que les femmes rurales méritent reconnaissance et gratitude. ‘Timgharin’ est un message destiné à toutes les femmes amazighes et plaidant pour qu’elles se sentent autonomes et en confiance », positive-t-elle.
L’admiration que voue Sarah aux femmes s’étale au champ artistique. « Je suis tellement fascinée par les performances d’Aicha Tachinwite, la grâce et la présence de Mina Tabaamrant, l’écriture de Fatima Tabaamrant mais aussi les arrangements musicaux de Hindi Zahra », détaille-t-elle.

Pour elle, le 08 mars constitue une occasion pour conscientiser des réalisations et du rôle des femmes marocaines aujourd’hui comme hier, citant à cet égard Fatima Al-Fihriya qui avait fondé, en 859, la plus ancienne université au monde. Cet événement offre « un message clair hérité de nos ancêtres, et qui consiste à souligner que nous autres femmes, sommes capables de réaliser de belles choses », fait-elle valoir, non sans fierté.
S’agissant des plans futurs, Sarah estime qu’il est bien difficile de prédire l’avenir en ces temps incertains. Néanmoins, elle espère qu’elle et son époux retrouvent le plus tôt possible la mère patrie.

« Pour le moment, nous souhaitons rentrer bientôt chez nous et voir nos familles et amis, renouer avec nos racines et avoir une nouvelle inspiration. Nous aimerions aussi jouer et enregistrer au Maroc. En attendant, nous nous attelons sur la finalisation de l’album ‘Amoudou' », dit-t-elle.

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