Taitu Betul, fondatrice d’Addis-Abeba

Très connue en tant que siège de l’Union Africaine, Addis-Abeba, capitale de l’Ethiopie anciennement appelée Abyssinie, doit son existence à une femme, Taitu Betul, reine d’Ethiopie et femme de l’empereur Ménélik II. C’est vers 1886 que la ville est fondée et baptisée «Addis-Abeba» qui signifie, «nouvelle fleur» en langue amharique par Taitu Betul. En dehors de son rôle dans la fondation de cette ville, Taitu Betul s’est érigée comme l’un des personnages clés de son époque pour avoir résisté aux desseins coloniaux italiens dans son pays.

Née en 1851, Taitu Betul, épouse de Ménélik II, Roi des rois d’Ethiopie, fut une reine et impératrice remarquable. Elle descendrait de la lignée impériale issue du Roi Salomon et de la Reine de Saba, à travers son grand-père Dejazmach Haile Maryam. Après quatre mariages non réussis, elle rencontre Ménélik, alors roi du Shoa, vers 1876-1877. Celui ayant eu également d’autres mariages et relations précédemment. Il est charmé par sa beauté. Le couple se marie en 1883 et s’installe à Entoto, dans la région du Choa, près de l’actuelle ville d’Addis-Abeba. Etant donné la rareté de l’enseignement pour les femmes à cette époque, Taitu Betul faisait exception. Elle savait lire et écrire la langue amharique, langue utilisée exclusivement dans la liturgie éthiopienne orthodoxe.  Elle excellait par ailleurs dans la poésie, les échecs et le bagana, un instrument de musique à cordes. Elle doit son prestige et sa réputation à ses différentes actions, son intelligence exceptionnelle pour renforcer et étendre son pouvoir et son caractère autoritaire.

L’histoire raconte que Ménélik II et son épouse vivaient dans la ville d’Entoto, un sommet  situé au nord-est d’Addis-Abeba. Le couple impérial avait pour habitude de séjourner dans les sources thermales de Filoha, situées à une altitude moins élevée. Alors qu’en 1886, Taitu admirait le paysage, elle aperçut une fleur d’une très rare beauté, au loin. Charmée par le climat de cet endroit, elle demanda à son époux s’il pouvait y construire une maison. Ménélik II approuva, entama les travaux et promit à Taitu de lui offrir le terrain de la future résidence. Ménélik II sélectionna l’emplacement précis de la fondation d’Addis Abeba suite à une prophétie que fit son grand-père, Salhe Selassié, roi de 1813 à 1847. Celui-ci avait déclaré : «Ce pays est couvert de broussailles et de végétation, mais un jour viendra où mon petit-fils construira ici une maison et y fondera une ville». C’est à l’endroit précis indiqué par son grand –père que la ville fut fondée. Le nom de la ville fut choisi par Taitu.

Celle-ci, frappée par une fleur qu’elle n’avait jamais aperçue auparavant, choisit d’appeler la ville Addis-Abeba ou «la nouvelle fleur». Taitu ordonna le début des travaux de construction du palais qu’elle surveillait depuis Entoto. Petit à petit, Addis Abeba se développa et devint une véritable ville, avec l’implantation du couple impérial, des dignitaires, des soldats. A la suite de la famine qui s’abattit sur le pays en 1889-1892, plusieurs personnes s’installèrent à Addis-Abeba. Le souverain qui détenait les terres dans la nouvelle ville les distribua aux nobles, à diverses églises. Ainsi, des résidences furent construites dans la ville qui se développa progressivement. En outre, Taitu Betul fit bâtir l’église d’Entoto Maryam entre 1885 et 1887 et le premier hôtel d’Ethiopie, l’Itegue Taitu Hôtel.

Très cultivée, Taitu était aussi patriote et conservatrice, des qualités qui lui ont permis de jouer un rôle considérable dans la bataille d’Adoua contre l’Italie. Elle représentait, à la Cour, le courant conservateur qui résistait aux progressistes qui voulaient développer l’Ethiopie sur les modèles occidentaux en modernisant le pays. Profondément méfiante vis-à-vis des véritables intentions européennes par rapport à son pays, elle marcha avec Ménélik II et l’armée impériale, à la tête d’une force de canonniers afin de participer à la bataille d’Adoua  lorsque les Italiens décidèrent d’envahir l’Empire. La bataille d’Adoua se déroula près du village d’Adoua, au cœur de la région du Tigray, dans le nord de l’Éthiopie, en 1896, entre les forces de Ménélik II et celles du royaume d’Italie dirigées par le colonel Baratieri.

Cette guerre s’acheva par la victoire des Éthiopiens et mit fin aux diverses tentatives de pénétration en Éthiopie par plusieurs puissances, notamment les États européens et l’empire Ottoman. Cette guerre mit également fin à la première guerre italo-éthiopienne débutée en 1895. Cette bataille est importante à plusieurs égards. En plein partage de l’Afrique, elle constitue une victoire définitive d’une nation africaine face à un pays européen. Elle assura un prestige international à l’empire éthiopien et à Ménélik II, aussi bien auprès des peuples d’Afrique que des mouvements anti-ségrégationnistes des États-Unis et anti-colonialistes d’Europe. Lors de cette célèbre bataille marquée par la victoire éthiopienne, Taitu arriva sur place avec sa troupe personnelle de quelques hommes, dirigea aussi des femmes porteuses et des infirmières qui assistèrent les guerriers sur le champ.

Déterminée à résister aux visées impérialistes étrangères sur son pays, elle s’opposa catégoriquement à toute négociation susceptible d’entraîner la perte de territoires éthiopiens. Elle utilisa son intelligence exceptionnelle pour renforcer et étendre son pouvoir en arrangeant et concluant des mariages politiques. En 1896, elle arrangea le mariage du rival de son mari dans le Tigrai, le Ras Mengesha, avec sa nièce, Woizero Kefei, dans une tentative d’apaiser les tensions entre le Tigrai et le Shoa. Son neveu, Dejazmach Gesesse, gouverna le Simien et le Wolqayt ; le mari de sa cousine régna sur le Kaffa ; l’influent Ras Makonnen accepta d’épouser sa jeune nièce, Mentewab Wele (qu’il répudierait peu de temps après au motif qu’elle était trop jeune) ; l’une de ses cousines fut mariée à un noble qui contrôlait la province de Menz, importante pour sa production de laine. N’ayant pas eu d’enfant avec Ménélik II, elle influença Zayditu, fille de Ménélik II à qui elle fit épouser son neveu Ras Gugsa Wele. En 1900, son neveu épousa la fille de Ménélik. Celui-ci reçut le poste de gouverneur de la province de Bégemder.

Vers 1906, l’état de santé de Ménélik II se détériora. Ce qui l’empêchait de régner aussi facilement qu’auparavant et Taitu commença à prendre des décisions en son nom. Ses rivaux, issus du Choa, du Tigrai et du Wollo n’appréciaient guère cette attitude qu’ils rattachaient à une prétendue xénophobie en raison de ses origines gondariennes. En 1910, Taitu fut forcée de quitter le pouvoir. Chargée de s’occuper uniquement de son mari, elle disparut de la scène politique. Ménélik II et Taitu n’ayant pas eu d’enfant, lorsque que celui-ci décéda le 12 décembre 1913Lij Iyasu, fils de la 2e fille de Ménélik II lui succéda. Taitu fut bannie et dut se retirer à l’ancien palais à Entoto, près de l’église Entoto Mariam qu’elle avait fondée et où elle avait été couronnée avec son mari. Malgré son retrait du pouvoir, Taitu conseilla divers chefs. Elle décéda le 11 février 1918. Sa dépouille repose dans le monastère Taeka Negest Ba’eta Le Mariam à Addis-Abeba, au palais Ménélik, dans le même mausolée que Ménélik II, son mari.

Danielle Engolo

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