Témoignage de Me Abdellatif Ouahbi

Quand un ami journaliste m’a convié au 45e anniversaire de parution d’Al Bayane et Bayane Al Yaoum, j’ai senti l’envie pressante de remonter le temps et d’inciter ma mémoire à rejouer des scènes encore vivaces de ma relation avec Al Bayane.

J’admets que la relation entre ce journal et moi est empreinte de dissonance. Je le lis et je désapprouve certains contenus, mais je ne peux me passer de lui, surtout que notre relation a commencé depuis que j’étais élève au collège, où je fus un lecteur assidu d’Al Bayane et D’Al Moharrir à l’image d’une majorité de mes congénères.

Ces deux parutions formaient ce cadre culturel qui allait encadrer mon appartenance politique au futur, voire dessiner ma façon de penser en dépit des tournants que ma carrière politique a subi.

Ma relation avec Al Bayane en tant qu’étudiant se matérialisait dans les quelques articles que je rédigeais autour de l’équipe de foot locale de ma ville Taroudant. Les rédacteurs les corrigeaient puis les publiaient. C’était des moments de gaieté ceux où je comparais ce qui a été publié à ce que j’ai envoyé, ce qui me permettait de corriger mes erreurs et de me forger un style rédactionnel dans cette école qu’est Al Bayane. Puis je me suis mis à rédiger des articles à caractère social, et même politique, et qui relatent le quotidien de ma ville paisible.

Quand mes articles paraissaient, je portais l’édition dans mes bras, tout empli de fierté que mon nom soit imprimé sur ses pages, ressentant une forme de satisfaction intense quand quelques camarades m’informent qu’ils ont lu un de mes articles.

Ainsi s’est prolongée ma relation avec cette publication en tant que lecteur épris de sa ligne éditoriale, surtout quand elle publiait autour des activités parlementaires du «monument» Ali Yata, cet homme qui suscitait mon admiration et ma curiosité quand il se déplaçait depuis la Gironde à Casablanca jusqu’au siège du Parlement à Rabat au volant de sa propre voiture, une Mercedes classique dont je me rappelle les contours. Il était, à lui seul, un groupe parlementaire sur pieds. Je me rappelle encore ses interventions tonitruantes au Parlement, droit comme un promontoire sur les bords du podium, parlant un arabe sophistiqué, sûr de lui-même et conscient de ses capacités politiques, dessinant avec précision ses objectifs. Il traitait des affaires politiques épineuses en profondeur, et marchait par ses discours sur une lame de rasoir sans que ses pieds en soient égratignés ou qu’il en trébuche. Il était satisfait et convaincu de son rôle.

Je me remémore encore, je disais, le monument Ali Yata entrain de «navetter» en permanence entre Casablanca et Rabat avant même l’existence d’une autoroute, se déplaçant sans chauffeur. Il conduisait seul le parti et la voiture, il menait seul un groupe au Parlement… L’Homme possédait une grande aptitude à affronter les autres.

La vérité est qu’Ali Yata attirait ma curiosité, et le journal mon intérêt. En compagnie de certains de mes camarades de la province, adhérents du parti d’Ali Yata, nous opérions dans une association au nom de «l’Association des amis de la culture et de l’art». Nos divergences politiques n’impactaient nullement notre œuvre, et Al Bayane nous supportait par la publication de rapports autour des activités de notre association, de la semaine palestinienne à celle culturelle, en passant par la semaine du cinéma et la foire du livre et maintes autres activités.

Aujourd’hui, étant honoré d’avoir assisté, en compagnie d’une kyrielle de politiciens et de journalistes distingués, à la commémoration du 45e anniversaire de cette publication, je la vois célébrer un passé riche, lors duquel elle s’est forgé plusieurs amitiés, a livré au paysage médiatique national des générations de journalistes et a établi des ponts avec ses nombreux lecteurs au Maroc et ailleurs.

On peut diverger avec ce journal, même qu’il est capable de réveiller la colère en nous par moments, et nous provoquer à diverses occasions… Mais en fin de compte on ne peut s’en séparer, car le mariage avec Al Bayane est similaire à une union catholique où le divorce est interdit.

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