Tendances

Par : Abdeslam Seddiki

Les données publiées récemment par le HCP relatives à l’emploi et aux caractéristiques du marché du travail pour l’année 2018 méritent une analyse  dynamique afin d’en tirer les tendances lourdes et d’en dégager des scénarios d’évolution  future de l’économie et de la société marocaines.

Pour ce faire, nous avons pris comme année de référence 2009 et ce pour au moins deux raisons : la disponibilité des statistiques détaillées d’une part et le recul historique suffisamment long d’autre part. Ainsi, la période 2009-2018, soit une décennie,  nous semble largement suffisante  pour déceler des dynamiques, là où elles existent,  et dégager les traits fondamentaux d’une évolution de type qualitatif.  Les changements sociaux et sociétaux qui ne sont  pas visibles  sur une année, peuvent, par contre  se prêter facilement  à une lecture analytique au terme d’une dizaine d’années.

Au niveau de la population âgée de 15 ans et plus, son nombre est passé de 22,68 M à 25,95 M respectivement en 2009 et 2018, soit une augmentation de 14,4% au cours de la période considérée.  Le taux d’activité a connu, par contre un repli de 3,7 points passant de 49,9% en 2009 à 46,2% en 2018, avec cependant, une différence manifeste selon le sexe : les femmes enregistrent un taux d’activité ne dépassant pas le tiers de celui des hommes.

C’est un phénomène on ne peut plus inquiétant qui n’est pas en adéquation avec les ambitions de modernité affichées par le pays.  Le recul du taux d’activité en général s’expliquerait  par le rallongement de la période de scolarité d’une part et par le retrait « volontaire » du marché du travail d’autre part. En valeur absolue, les effectifs de la population active sont passés de 11,31 M à 11,979 M, soit une augmentation de  669 000 en 10 ans correspondant à un taux   de 6 %  sur toute la période.

 La population dite active comprend deux catégories : celle qui exerce un emploi et celle qui est en chômage :  la première a vu son effectif passer de 10,28 M à 10,81 M pendant la période de référence; la deuxième en revanche est passée de 1,03 M à 1,168 M avec un taux de chômage quasiment inchangé entre les deux années (9,5% en 2009 et 9,8% en 2018) avec les mêmes caractéristiques : un chômage structurel, de jeunes, de diplômés et de femmes !!  Ce qui traduit le peu d’efficacité des politiques publiques en matière de création d’emplois et de maitrise du niveau de chômage.

Au cours de cette période, on relève une tertiarisation manifeste de l’économie au détriment des secteurs  productifs : la part de «l’agriculture forêt et pêche»  dans l’emploi est passée de 40,5 % à 30,5 % ; celle de l’industrie, y compris l’artisanat,  a reculé de 12,3% à 11,7%; le BTP a vu sa part augmenter de 9,4% à 10,8%; les services ont réalisé un bond de plus de 5 points passant de 37,6% à 42,8%. Une telle structure reflète   l’originalité de la croissance de type périphérique : la baisse de la population active dans le primaire ne se traduit  pas  par un déplacement de la population vers l’industrie, mais  plutôt vers un « saut » dans le  tertiaire avec toutes les conséquences qui en découlent quant à la qualité de l’emploi  et des exigences du travail décent.

Ainsi, le procès du travail demande de moins en moins de qualification et  fait la part belle aux sous-qualifications et à la précarité.  Le niveau de qualification ne s’est amélioré que timidement au cours de la décennie étudiée générant ainsi de faibles gains de productivité pour l’économie dans son ensemble. Et tant que notre économie continuera à s’appuyer plus sur des mains agissantes au lieu des têtes pensantes, elle ne gagnera pas des parts de marché et ne relèvera pas en définitive les défis de la compétitivité.

Par ailleurs, et en dépit de l’entrée en vigueur de l’AMO en 2005, les progrès réalisés en matière de couverture médicale demeurent insuffisants puisque  elle ne touche que 26 actifs sur 100 en 2018 contre 18 actifs sur 100 en 2009, sachant que les salariés sont plus couverts que les indépendants.

Dans l’ensemble, on est en face d’une société qui évolue lentement. Les dynamiques sociales sont lentes quand elles ne sont pas absentes. Dans une formation sociale à dominante capitaliste où la logique du marché doit en principe prévaloir, le rapport salarial ne concerne que moins de la moitié de la population active. Ce sont les formes de travail précapitalistes qui prédominent sans être dominantes : pas de protection sociale, pas de syndicalisme, pas d’organisation professionnelle. Voire pas de rémunération comme c’est le cas des aides familiales. Cette forme d’asservissement de la force de travail, bien qu’en diminution, concerne toujours 16% des actifs !! Le capitalisme à la marocaine s’accommode parfaitement d’une telle situation et ne se presse pas à introduire des changements révolutionnaires.  D’ailleurs, l’esprit d’entreprise dont on se gargarise se fait de plus en plus timide : la part des employeurs dans la population active est passée de 2,7% à 2,4%.

Tels sont quelques enseignements tirés à grands traits d’une analyse dynamique de l’emploi. Militer pour un travail décent garant de la dignité humaine, c’est protéger des millions de jeunes de basculer dans l’informel ou de se faire enrôler dans les courants conservateurs et obscurantistes.

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