Trump ou la revanche des gens ordinaires

Le populisme guide le monde…

«Il faut parfois retirer de la langue une expression et la donner à nettoyer pour pouvoir ensuite la remettre en circulation».

Wittgenstein

Les élites libérales américaines croient vivre un cauchemar ; elles en sont réduites à une simple prière : pourvu que ces quatre ans passent vite et que le pire n’arrive pas !Chaque jour qui passe, les Américains et l’opinion publique internationale… se réveillent la main sur le cœur battant la chamade…dans l’attente d’un nouveau tweet de celui qui est devenu par les vertus d’un scrutin démocratique, le président de la première puissance du monde, le célébrissime Donald Trump.

Il y a désormais dans le monde deux chefs d’Etat imprévisibles. Le premier on le connaissait  depuis quelques années déjà jouant à faire peur à ses voisins sur-développés par ses joujoux nucléaires ; maintenant on connaît aussi le deuxième ; il vient de fêter ces cinq premiers mois comme locataire de la Maison blanche. Cinq mois vécus comme un mauvais scénario hollywoodien : rebondissements à répétition,  confusion de genres, avec une constante cependant, la centralité d’un personnage atypique. Pour le décrire, la science politique classique est à court d’idées. On ressasse comme une antienne éculée la notion de populiste. «Donald Trump est un populiste improbable» écrit Michael Kazin en ouverture de son article synthèse, Trump et le populisme américain, dans le dossier consacré par la revue Esprit (mai 2017), à « l’Amérique en dissidence». Les spécialistes comme les journalistes jusqu’au citoyen lambda ressortent ainsi ce vocable, «populiste» pour décrire un phénomène, récurrent certes, mais qui se répète sans se ressembler. A chacun en quelque sorte son populiste du moment ;  notamment  lors des enchères électorales. Notion profondément ambiguë, marquée par une grande élasticité sémantique, populisme peut prétendre à figurer dans cette longue liste de mots valise qui à force d’être galvaudés et utilisés comme étiquette finissent par ne plus rien signifier. La cacophonie qui entoure l’actuelle présidence américaine en est une éloquente illustration. Des recherches pointues s’interrogent sur la possibilité de bâtir un modèle théorique du populisme fondé sur l’identification de ses caractéristiques et de ses conditions d’émergence et d’expansion. En attendant, on se contente de se replier sur une approche empirique et faire le constat de ses multiples apparitions…

Cette indétermination sémantique ne doit pas cependant occulter l’enjeu politique majeur dans toute cette histoire. A commencer par préciser que si l’on ne parvient pas à un consensus sur la définition du mot populiste, il n’en est pas moins indicateur de quelque chose sur l’état de la société et du système politique d’un pays déterminé. Et Donald Trump est un symptôme. Son élection, majoritaire voire hégémonique dans certains Etats, minoritaire et insignifiant dans d’autres…donne une topographie de l’Amérique au tournant de multiples mutations. Et dans cette perspective, Donald Trump fait figure de révélateur de l’évolution en profondeur de la société américaine. Une société je dirai prise de panique face à sa métamorphose : les Etats-unis sont en passe de devenir la première société mondialisée de l’intérieur. Le rapport de forces entre les ethnies connaît un profond bouleversement. En 2040, les blancs seront minoritaires ; ils le sont déjà aujourd’hui en termes de taux de naissance.   L’émigration asiatique est la plus importante depuis quelques années. Le vote Trump est à lire comme l’expression de la panique et de la colère de larges franges des populations blanches.

Dans ce sens, le populisme même s’il est dangereux, dans ses réactions et positions, s’avère comme un mal nécessaire. Il vient bouleverser l’équilibre des lieux de pouvoirs et mettre à nu les privilèges. Il fonctionne comme une sorte de thérapie périodique, nécessaire à la santé de la démocratie. Le sursaut en cours de la société civile états uniennes (la Californie est en ébullition) est un signe d’espoir.

Mohammed Bakrim

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