Aziz BELAL, 39 ans déjà…
Par Fathallah Oualalou*
Dans ce témoignage, je voudrais revenir sur le contexte des premières années quand j’avais connu, en 1961, feu Si Aziz Belal, Lah yarhamou (Paix à son âme !). Il était professeur aux Facultés de droit de Rabat et Casablanca et enseignait un cours sur la planification économique, tout en étant vice-doyen. J’étais l’un de ses élèves. Il était un professeur aimable, agréable, très gentil et solide, on l’avait compris dès le départ.
Il venait de quitter l’Administration du Plan. Il était parmi les rédacteurs du plan quinquennal 1960-64 au moment où feu Abderrahim Bouabid était ministre de l’économie et des Finances (dans le gouvernement d’Abdallah Ibrahim).
En ce moment là, Aziz Belal appelait ce plan quinquennal, en s’amusant, le «bleu», en rapport avec la couleur bleue de la couverture de ce document…
Sur le plan politique, Aziz Belal était un dirigeant du Parti Communiste Marocain. Il représentait la gauche communiste au Maroc.
C’est en ce moment que j’ai assisté à une de ses premières conférences dans la salle de l’actuel Ministère de la Culture, à l’époque elle dépendait de la Chambre du commerce. La conférence portait sur le 20 ème congrès du PCUS (Parti Communiste de l’Union Soviétique). L’URSS, en ce moment là, s’imposait dans le monde, après l’envoi du spoutnik et la «destalinisation»… J’ai assisté à cette conférence. Je faisais parti de l’UNFP, l’autre gauche, le mouvement de libération nationale.
J’avais des réserves quant au système soviétique.
Si Aziz était, en ce moment, était sur deux fronts :
• Le front académique, universitaire, de la recherche
• Le front militant, au sein du Parti mais aussi au Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESup).
Il était très proche, un compagnon de route de l’UNEM. On lui demandait toujours d’assister à nos conférences de formation des cadres, organisées durant l’été ou pendant les vacances.
Belal s’imposait par sa modestie et son savoir
Il s’imposait, en même temps, par sa modestie et par son savoir essentiellement.
En 1963, j’étais membre du Comité exécutif de l’UNEM. La direction de l’UNEM m’a proposé pour la représenter dans une réunion, d’un club, le Club Omar Ben El Khattab. Ce Club comptait moins de 10 personnes, des cadres, des experts plutôt de la gauche marocaine, qui se réunissaient chez Si Mohamed Lahbabi.
Il y avait Si Mohamed Lahbabi, il y avait Si Aziz Belal, … Abraham Serfati, Si Mohamed Tahiri, Benabderrazik… Moi j’étais le plus jeune. Donc je n’osais même pas intervenir, car j’apprenais et je suivais le débat dans ce club.
On se rencontrait une fois par semaine. Les réunions étaient dédiées à l’étude de l’assistance technique dans l’Administration. A cette époque, la marocanisation de l’Administration figurait à l’ordre du jour. Nous recherchions le comment, pour les cadres marocains, de se substituer essentiellement aux cadres français.
La marocanisation était, avec le développement économique, le prolongement de l’indépendance du Maroc.
Ces experts réfléchissaient sur cette question. C’est dans ces réunions que j’ai découvert la personnalité de Si Aziz, la profondeur de sa démarche, sa sérénité et son patriotisme bien sûr.
Le premier docteur marocain en sciences économiques
En, 1965, j’étais étudiant à Paris. Aziz Belal est venu à Grenoble pour soutenir thèse de doctorat à Grenoble, sur l’investissement au Maroc de 1912 à 1964. C’est un titre sobre mais une thèse dense. Une thèse devenue une référence, dans l’histoire de la politique économique du Maroc, durant la période du protectorat et le début de l’indépendance du Maroc.
Si Aziz Belal était le premier docteur marocain en sciences économiques. Nous étions, nous ses élèves, très fiers de lui.
En 1965, il continuait à être présent au niveau de l’engagement politique et au niveau de l’Université et de la recherche.
C’est là, à partir de 1968, que je l’ai connu en tant que l’un des refondateurs du Bulletin économique et social, une revue de recherche créée dans les années 1920 par des cadres français. Elle a été « marocanisée » en 1967-68. J’étais membre aussi du comité de rédaction, et là je le retrouvais avec Serfati, khatibi et d’autres.
Beaucoup de ses recherches et écrits on les retrouve dans ce Bulletin.
Belal était notre maître…
A la Faculté, en 1968, j’étais jeune enseignant et ses cours sur les problèmes structurels attiraient les étudiants.
Avec son approche progressiste, et surtout avec ses cours solides, l’on pouvait dire que Belal rayonnait.
Et à partir de 1968-69 nous sommes devenus des amis.
A côté de son engagement politique et de son Parti, Si Aziz Belal avait son monde, le monde de ses amis.
Nous étions fiers d’être ses amis. Nous en étions fiers de lui. Parce qu’il était notre maitre.
Il avait le sens de l’amitié, de la fidélité et de la joie de vivre.
Sur le plan idéologique, nous discutions de nombreuses questions après l’intervention de l’URSS en Tchécoslovaquie, la révolution culturelle, le conflit sino-soviétique… Un débat enrichissant.
Par ailleurs, j’ai suivi avec beaucoup de sympathie et d’intérêt ce que j’appelle « la transition intellectuelle de Aziz Belal », marquée essentiellement par l’apparition de son petit livre mais un livre dense, sur les facteurs non économiques du développement, qui ne se limite pas au seul développement de l’infrastructure, au matériel, à l’économie mais il est lié aussi à la culture et la superstructure.
Si Aziz Belal n’était pas sectaire. Il était très ouvert. Il militait pour l’union des progressistes et des patriotes.
En ce moment, deux événements allaient jouer un rôle important dans son cheminement politique et intellectuel.
Le premier événement est relatif à la récupération du Sahara, après la Marche Verte. Il était très enthousiaste. C’est dans ce cadre que J’ai eu le plaisir de l’accompagner dans un voyage à Budapest au congrès mondial des économistes. Nous en avions profité pour défendre la marocanité du Sahara.
Le deuxième événement était constitué par l’ouverture du Maroc sur plus de pluralisme et de démocratie.
C’est dans ce cadre qu’il a été élu en 1976, en tant que membre du Conseil de Sidi Belliout, présidé par feu Mustafa Karchaoui. Il avait été élu le premier vice président de ce Conseil, dans le cadre d’un travail en commun entre l’USFP et le PPS.
C’est également dans ce cadre que Belal était parti dans ce voyage à Chicago avec une délégation marocaine d’élus pour le jumelage de Casablanca avec Chicago. Il a eu droit à un visa malgré le fait qu’en tant que communiste on lui refusait l’entrée aux Etats Unis.
Malheureusement, il y avait cette disparition tragique.
C’était un grand choc pour moi personnellement, pour tous ses amis, ses élèves et une grande perte pour notre pays.
Si Aziz avait les qualités des gens de l’Oriental, les qualités de rigueur, de bonté, de générosité et de patriotisme. Il les représentait franchement.
C’est pour toutes ces considérations que chaque année je pense à lui. Et, à nouveau, je dirai qu’Aziz Belal est un homme à ne pas oublier.
* Professeur d’économie et ancien ministre