Un pilier d’Al Bayne s’en va…

Mohamed Khalil

Sans aucun préavis, il s’en est allé ailleurs, dans un long voyage, loin des contingences physiques et les contraintes de la vie, ici bas.

Abdelkader Jamali s’est éteint après une vie militante pleine où il a donné sans recevoir, plaçant la cause prolétarienne et les intérêts de la patrie, du peuple et du parti à la tête de ses préoccupations.

Il avait rejoint les rangs du Parti communiste marocain, clandestin durant l’année 1965-66, au sein d’une cellule de l’ancienne Médina de Casablanca, où le parti jouissait d’une grande sympathie parmi la population.

Avec sa disparition, c’est l’un des « gardiens du temple Al Bayane » qui s’en va, laissant le souvenir d’un militant hors pair, complètement dévoué au parti qui lui a permis de s’épanouir intellectuellement.

Natif de l’ancienne médina de Casablanca, au domicile sis 250 au Hay Sidi Fatah, et originaire de la tribu des Ouled Ziane (dans la Chaouia, près de Casablanca), il était le prototype du militant sincère et dévoué, complètement disponible pour servir la cause commune.

Il faudra dire qu’à l’époque la conjoncture politique, aux lendemains de l’indépendance du Maroc, se prêtait énormément au militantisme, avec tous les risques de la répression ambiante.

Jeune adolescent, il était témoin d’une époque de la vie de notre pays, marquée par de grandes mobilisations sociales et populaires, de solidarité avec les pays africains en lutte contre l’occupation coloniale. Il jouira d’une proximité de quartier où le Parti communiste marocain était présent et apprécié. Ce qui le fera adhérer, dans la clandestinité, à ce dernier alors interdit.

Mais le nom de Abdelkader Jamali sera connu au début de la décennie 1970 quand il avait intégré le maigre staff administratif orchestré par le camarade Christian Frankel, alors secrétaire particulier de feu Ali Yata, qui devait changer de carrière. Le défunt bénéficiera de l’expérience du vieux compagnon d’Ali Yata et sera vite formé aux rouages du parti et de ses journaux. C’est ce qui l’amena à faire le choix d’abandonner son poste d’instituteur pour accepter celui d’ « employé » des deux journaux Al Bayane, avec toutes les contraintes politiques et financières, ainsi que de la sévérité et des exigences d’un leader comme le fut Ali Yata…

J’ai connu Abdelkader Jamali, durant l’été 1974 à l’imprimerie d’Al Bayane, puis, quelques mois plus tard, lors de la préparation du premier congrès du Parti du progrès et du socialisme. Il était à cheval entre son travail administratif partisan et la rue de la Réole où se trouve l’imprimerie de nos journaux. Là, il donnait un coup de main également à la traduction, en français, des thèses du parti qui avait accusé un retard et abouti au report de ce congrès.

A la rue Ledru Rollin, « siège » d’Ali Yata, le défunt détenait un « bureau » face à celui du directeur. Il faisait presque office d’anti-chambre…

Jamali n’a pas été à l’Université. Mais il corrigeait bien les fautes d’universitaires dans la langue de Molière qu’il maniait à l’aise. Il rivalisait avec les camarades qui ont eu la chance de croiser le fer avec les extrémismes en milieu étudiant. Il était dans la lecture des œuvres de Marx et de Lénine et connaissait les tréfonds de l’idéologie matérialiste. Ce qui lui permettait d’engager des discussions et de débattre de questions idéologiques complexes. Cette formation, il l’avait acquise au sein de la cellule du parti et de sa soif de connaître ce qui se passait dans les pays socialistes, notamment en ex URSS.

Des fois, avec feu Nadir Yata, notre rédacteur en chef, on s’amusait et on le prenait en dérision, en le nommant Souslov, en comparaison avec le grand idéologue et théoricien de l’URSS et de la communauté socialiste, dont il était imbu…

Abdelkader Jamali était, à vrai dire, un homme à tout faire, comme le dit si bien un adage bien de chez nous : un homme aux sept métiers mais au destin perdu ? Feu Ali Yata le chargeait des missions délicates. C’était l’homme en mesure de mener n’importe quelle tâche, même si elle n’a rien à voir avec ses compétences reconnues.

On l’a vu à l’œuvre partout. Il s’occupait du dédouanement du papier journal qui arrivait, depuis l’Union soviétique, au port de Casablanca, des flancs de clicherie qui parvenaient de l’ex RDA ou, plus tard, de Suisse. Il était devenu un grand expert en matière de transit…

Il était le « joker » en mesure de parer aux absences des uns et des autres. Il rédigeait, au besoin, les réclamations et plaintes populaires des citoyens que le SG du PPS avait coutume d’adresser aux autorités locales et nationales.

Il rivalisait avec des techniciens en électricité et mécanique quand il s’agissait de pannes dans les linotypies ou les rotatives. Doté d’une infime curiosité, il se mêlait de tout, même de ce que ses connaissances cognitives ne le permettaient pas mais cherchait à savoir, connaître et partager.

Il donnait, parallèlement, un coup de main à la rédaction de nos journaux et intervenait aussi bien en sports qu’en politique, avant d’être intégré, officiellement, à la fin des années 1980, en tant que membre du comité de rédaction de la version française du journal.

Durant sa carrière journalistique, il fera preuve de rigueur et d’objectivité dans ses écrits et sera le prototype du militant journaliste polyvalent et dévoué à la cause des démunis.

Il connaîtra une ascension spectaculaire lors de la couverture du « procès Tabit » où il fera preuve d’une clairvoyance inédite. Il couvrira toutes les audiences nocturnes jusqu’au petit matin et n’ira se reposer qu’après avoir rapporté les tenants et aboutissants de chaque audience, avec une transcription, presque mot par mot, des interrogatoires et des plaidoiries…

Cet engagement et dévouement sera récompensé. Al Bayane battra tous les records de vente au Maroc grâce au suivi de ce procès historique. Cela donnera un véritable coup de fouet au développement de nos journaux qui ne recevaient presque plus d’invendus…

Il était également connu pour sa rubrique hebdomadaire « Drôle de logique… », faite de dérision et d’humour dont il regorgeait.

Le défunt était également engagé au sein du bureau régional du PPS à Casablanca et fut l’un des fondateurs de la section de Casablanca du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), après son élargissement aux journalistes.

Mais au-delà de cet engagement politico-médiatique, Jamali avait tissé de nombreuses amitiés politiques, syndicales, poétiques et littéraires, outre professionnelles.

Ainsi, grâce à feu Jean Pierre Koffel, Jamali a pu être introduit dans le cercle des « Amitiés Poétiques et Littéraires du Maroc (APLM) et contribué pendant de longues années la page hebdomadaire « Al Bayane-Création », la seule qui était ouverte à tous les créateurs…

Paix à son âme et toutes nos condoléances à sa famille, notamment à son épouse Touria et à ses filles Zakia, Sanae et Oumaima ainsi qu’à ses nombreux frères et sœurs, aux proches, à ses camarades de route et à ses amis.

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