Yennayer et le calendrier Julien

Origine et définition

Le nouvel an berbère, Yennayer, est une tradition ancienne inscrite dans le calendrier agraire de l’Afrique du Nord et qui connaît aujourd’hui un regain de vitalité. Comme premier jour de l’année (aqerru useggas), il est marqué par des rites, des mets, des augures dans une atmosphère de fête à peu près semblable dans toutes les régions.

Une interprétation optant pour une étymologie berbère donne yen-n-yur, « 1er de la lune », envisageant par là un calendrier lunaire originel. Les premiers calendriers forgés par les hommes étaient probablement d’origine lunaire, le cycle de la lune étant le plus aisément observable depuis la terre, mais cela ne constitue pas une preuve suffisante pour donner raison à cette étymologie qui soulève plusieurs questions :

– «Si les Berbères avaient élaboré un comput et un calendrier lunaire datant de l’antiquité, pourquoi l’auraient-ils abandonné et pourquoi n’en ont-il laissé aucune trace alors qu’ils connaissaient l’écriture leur permettant de le faire ?»

– Si les Berbères avaient nommé leur mois de janvier en référence à la lune, comment se fait-il que les onze autres mois portent des noms latins ? Ces simples questions laissent penser que Yennayer est bien plutôt le mois de janvier latin, le Januarius du calendrier julien comme le sont tous les autres mois de l’année agricole berbère.

Ce Januarius du calendrier romain était le mois du Dieu Janus (Dieu des portes, des seuils). Il s’agit du mois de janvier du calendrier républicain romain qui n’est lui même devenu le premier de l’année qu’au cours du 2e siècle avant notre ère, prenant la place de Martius, le mois de Mars qui marquait jusque-là le début de l’année. Mais à cause de son décalage croissant par rapport à l’année solaire, ce calendrier lunaire est devenu, au fil des années, ingérable par les pontifes (prêtres) romains, et a conduit Jules César à le réformer, grâce aux conseils du mathématicien et astronome grec Sosigènes rencontré à Alexandrie. Ce dernier s’appuyait sur des projets de réforme du calendrier solaire égyptien qui possédait déjà 12 mois de trente jours chacun auxquels étaient rajoutés cinq jours pour arriver à une année de 365 jours. La mort brutale de Jules César fit que la réforme ne s’appliqua pas avec toute la précision voulue et les pontifes intercalèrent au calendrier une année bissextile tous les 3 ans. Son neveu Octave devenu l’empereur Auguste, le réajusta encore en intégrant cette année bissextile seulement tous les 4 ans pour obtenir enfin une année de 365 jours ¼.

Le calendrier julien est donc un calendrier solaire de 11 mois de 30 et 31 jours chacun auxquels s’ajoutent un mois de 28 jours, plus ¼ de jour supplémentaire (année bissextile tous les 4 ans), ce qui donne une année de 365 jours ¼. L’année solaire est exactement de 365,2422 jours. Ce léger décalage par rapport à l’année tropique a été supprimé par le pape Grégoire XIII en 1582 qui a fait passer simplement la date du 4 octobre à celle du 15 octobre supprimant ainsi les 11 jours de dérivation qui manquaient au calendrier julien depuis sa réforme augustéenne (11 mn/an soit 1 jour tous les 134 ans). Ce calendrier grégorien s’est répandu en Europe occidentale, dans le monde catholique d’abord, protestant ensuite, demeurant probablement inconnu en Afrique du Nord jusqu’au 19e siècle.

Introduction du calendrier julien en Afrique du Nord

Deux hypothèses ont été avancées jusqu’à présent :

Transmission du calendrier julien depuis l’antiquité

Il est évident que le calendrier julien a été introduit en Afrique du Nord avec l’empire romain et qu’il était connu dans les régions latinisées tout au moins. Mais cela suffit-il pour dire que c’est lui qui nous est parvenu et que nous connaissons aujourd’hui? La question mérite d’être posée car rien n’est moins sûr étant donné l’absence totale de traces de transmission. Comment comprendre en effet qu’un calendrier nous soit parvenu depuis l’antiquité en l’absence totale de traces en latin ? D’autre part, comment expliquer la présence du calendrier partout en Afrique du nord, même dans les zones du Sahara où l’influence romaine était plus faible?

Hypothèse de l’origine copte

C’est dans les années 1950 que Jean Servier propose une origine copte du calendrier berbère. Cette hypothèse est difficilement recevable à cause des caractéristiques très différentes des deux calendriers. Le calendrier chrétien copte a conservé les noms de mois des divinités égyptiennes ainsi que la structure de l’année qui compte 12 mois de 30 jours + 5 jours supplémentaires comme le faisait l’année égyptienne. Il faut ajouter à cela que le premier mois de l’année copte, nommé Thout débute en août-septembre, ce qui n’est pas le cas en Afrique du Nord.

Nedjima Plantade

(Anthropologue)

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