Muriel AUGRY: «une prison de mots»

Des écrivains à l’heure du Covid-19

Il y a les couche-tard et les lève-tard, il y a les couche-tôt et les lève-tôt. J’appartiens sans contexte à la première catégorie. C’est pour moi un plaisir indicible que de repousser les limites de la nuit, de me retrouver seule avec ma feuille dans une demeure assoupie et de goûter enfin un moment réparateur, loin du tumulte diurne.

Le confinement a sur nos vies, bien évidemment un impact spatial. Il réduit nos déplacements à la plus simple expression, mais il a aussi un impact temporel conséquent.Le lundi est semblable au mardi, le mardi au mercredi et rien ne distingue les jours de la semaine de ceux du week-end. Les jours, mais aussi les heures se rétrécissent ou s’allongent, sans mobile réel. Mais cette confusion, qui pourrait se révéler un handicap, devient richesse infinie. Le temps de l’écriture peut enfin empiéter sur le temps tout court.

Le temps de l’écriture n’a plus à obéir à aucune horloge. Il est là, disponible, à portée de main, presque palpable. Il se fait chair et nourrit mes personnages ; il est essence et insuffle un souffle à mes vers. Dans cette période du confinement, je peux enfin rêver éveillée, je peux laisser déferler mes émotions et éclater mes réactions, sans me soucier du carcan horaire. Cette réclusion forcée dilue le temps, en stimulant la création.

Une image me vient à l’esprit: été 2019, la visite de l’île de l’Asinara en Sardaigne, sur laquelle est construite une prison ayant accueilli des prisonniers de la première guerre mondiale, puis des prisonniers de la mafia italienne, une prison désormais désaffectée. La beauté du lieu est à couper le souffle. L’azur de la mer est repris en écho sur les murs des cellules peintes en bleu et blanc. Cette île minuscule, à l’ extrême nord-ouest d’une autre île méditerranéenne, m’avait donné une sensation de vertige; d’une beauté âpre, sauvage elle étaitcertes le cadre idéal pour un lieu de réclusion.

Et lorsqu’ en visitant l’une des cellules au décor minimaliste, j’avais vu des feuillets noircis d’encre, j’avais ressenti comme un coup de poing dans l’estomac… Seuls dans quatre mètres carrés, avec une fente de lumière donnant sur la mer, des prisonniers avaient écrit : des lettres à leurs proches ou avaient tout simplement consigné sur des pages leurs états d’âme.

Cette émotion violente que j’avais ressentie, je peux aujourd’hui, dans les circonstances dans lesquelles nous sommes, mieux l’analyser. La privation d’espace, l’annulation de repères chronologiques peut se supporter grâce à l’écriture, qui devient, à elle seule, une raison de vivre et dans certains cas de survivre.L‘écriture est donc salvatrice. C’est le constat auquel aboutit spontanément un écrivain, mais c’est aussi celui que  d’autres individus, bien loin de ce type de préoccupations ont fait leur.

Si écrire reclus, écrire confiné est  synonyme d’espoir, est-il pour autant un geste aisé qui se réalise dans la sérénité ? Il ne peut, bien sûr, y avoir de réponse unilatérale. Le syndrome de la page blanche peut survenir en toutes situations. Face à la douleur, face à l’irrationnel, la peur guette tout un chacun et il peut sembler superflu, voire indécent de coucher sur la page, des mots qui ne soient pas en phase directe avec la réalité.

Mais justement ce moment insolite n’est-il pas paradoxalement un formidable catalyseur d’émotions qui permet une éclosion de l’écriture, conviant autant à l’introspection qu’à la quête de l’autre, un moment  qu’il convient de ne pas laisser filer et d’exploiter dans toutes ses subtilités. L’écriture ayant aussi une mission de « divertissement » au sens pascalien, il importe de ne pas se sentir coupable et d’oser la fiction au pouvoir libérateur.

Convaincue de la fonction lénitive de l’écriture, j’ai un soir de marsdoux et sucré, ponctué des cris de sirène d’ambulance, rédigé ce court poème  Demain sera lueur

Le printemps n’a plus de visage

Les ombres se sont rétrécies

Furtives elles frôlentl’asphalte sans mot

Le temps a décidé de s’arrêter

Sans préavis

Aux quatre coins cardinaux

Solennité de l’ inaccoutumé

L’heure est à l’attente

Demain sera lueur

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