Point d’orgue
Par Sami Zine
Rabat, cité-jardin parfumée d’Histoire, exhibe pour notre émerveillement quotidien son urbanisme foisonnant et ses bâtiments art-déco. Le Royaume en a fait avec la bénédiction de l’UNESCO un patrimoine mondial. Du coup, la reconnaissance de la valeur universelle exceptionnelle des sites labellisés leur accorde une protection mondiale. La communauté internationale, en considérant ces sites comme des joyaux de l’humanité, prend sous son aile leur conservation et leur sauvegarde pour les générations futures.
La mission de conservation est du ressort de l’État marocain, et le ministère de la culture doit transmettre des rapports périodiques sur la gestion du site à l’organisme onusien. L’UNESCO, de son côté, demeure vigilent quant au maintien des valeurs qui ont fondé l’inscription, et peut faire des contrôles, se concerter avec l’État pour résoudre des problèmes nés des dynamiques du développement, voire reclasser le site ou le retirer définitivement de la liste du patrimoine mondial, à l’instar de ce qu’il a fait pour le sanctuaire de l’oryx arabe à Oman, la vallée de l’Elbe en Allemagne et la cathédrale de Bagrati en Géorgie.
Le réaménagement de la gare ferroviaire de Rabat-ville est encadré par ces règles. Or, l’ONCF a initié ce projet et en a démarré les travaux sans concertation préalable avec le ministère de la culture, sans considération des obligations du Royaume envers l’UNESCO, et sans étude d’impact sur le tissu du patrimoine mondial. Le profil bas du ministère de la culture et de la Wilaya et le laxisme de l’UNESCO ont favorisé la réalisation effective d’un projet, aujourd’hui remis en cause.
Le projet est doté d’une structure métallique imposante et agressive qui coiffe d’un képi gigantesque et invasif le bâtiment de la gare et installe une dysharmonie dans le paysage. L’arrière-train de cette structure bouscule le tracé rectiligne de la muraille historique et place un élément intrus et hideux qui défigure son horizontalité et dérange la paisibilité de l’espace.
Il faut rappeler que le projet, aujourd’hui en terminaison des travaux, a été porté par un concept et un langage architectural qui lui ont valu le premier prix du concours. Si le caractère contemporain du projet ne pose pas, à priori, de problème sur un site patrimonial, certaines composantes de sa « performance » nuisaient, à l’évidence, à son ancrage réussi dans le paysage urbain. Leur impact a été, assurément, sous-évalué, et au final, le pari artistique a donné naissance à une verrue urbaine.
Le périmètre du patrimoine mondial de la ville de Rabat ne peut supporter la fabrique d’une corpulence métallique envahissante par ses piètements et son volume, qui brise le charme de son harmonie reconnue, enlaidit son environnement, et crée une pollution visuelle dont nous sommes nombreux à espérer la disparition.
On se rappellera que le souverain, dans un geste salvateur et bienfaisant, avait ordonné en 2018 la destruction du « Green Mall », un bâtiment en construction à Salé dont l’érection obstruait la vue de la porte monumentale Bab Lemrissa et celle de la Marina.
Une rebelote dans l’autre rive serait la bienvenue.