Les dégâts du plan «Halieutis»
Profondément scandalisés en cette période de crise due au Covid-19 par les dommages directs et collatéraux causés au secteur de la pêche par certains comportements irresponsables et l’échec de la stratégie décennale de développement «Halieutis» devant prendre fin cette année, les professionnels du secteur poursuivent depuis peu leur plaidoyer et leurs contacts auprès des parlementaires et des différents partis politiques (Istiqlal, PPS, USFP, PAM, MP, PJD) pour réclamer surtout des « Assises nationales» pour en évaluer les résultats.
Quant au RNI, il n’a pas répondu jusqu’à la date du jeudi 1er octobre à leur demande de les recevoir pour les écouter, ont-ils indiqué le même jour dans un entretien avec les journaux Al Bayane et Bayane Al Youm.
Ils étaient tous là, venus plaider et exposer au siège national du PPS à Rabat les problèmes du secteur et leurs revendications à l’opinion publique à travers les organes du PPS, dont le Secrétaire général les a assurés de la disposition du parti à ne ménager aucun effort dans l’intérêt du pays et du secteur.
Faisaient notamment partie de cette délégation conduite par Mohamed Oumouloud, président de la Fédération des chambres des pêches maritimes, Hassan Arzaz, président de la Fédération nationale marocaine de la pêche chalutière, Ibrahim Battah, vice-président de la Chambre de pêche maritime de l’Atlantique Sud (Dakhla), Larbi Mhidi, président de la confédération nationale de la pêche côtière) et bien d’autres.
Une certaine tension était palpable parmi les membres de la délégation, qui n’ont pas caché leur déception devant le comportement «irresponsable» du département de la pêche, dont la Secrétaire générale, «refuse notamment de répondre» aux écrits des professionnels et de les «écouter».
«C’est de l’abus du pouvoir», selon Mohamed Oumouloud, qui n’a pas hésité à qualifier de «morte» la zone Nord où le degré de surexploitation de la ressource serait de plus de 90%.
Sur ce point, Larbi Mhidi et Brahim Battah sont revenus en détail sur l’état des pêcheries, zone par zone (A, B, C), les échecs du plan Halieutis en matière de préservation des ressources halieutiques, de valorisation des produits de la pêche, de mise à niveau du secteur et en particulier des infrastructures portières, de qualification des ressources humaines et du renforcement des institutions représentatives dont les Chambres de pêche.
A ce propos, Brahim Battah a estimé que les RSW (Refrigerated Sea Water), ces bateaux qui utilisent l’eau de mer pour refroidir le poisson et lui garder sa fraîcheur jusqu’à bon port, sont responsables dans une grande mesure de la dégradation de la faune et de la flore aquatiques. Selon lui, ces bateaux de la pêche hauturière, représentent la principale innovation du plan Halieutis, qui a tout mis en œuvre pour les soutenir et les favoriser au détriment des autres segments des pêches côtière et artisanale.
Equipés de filets qui capturent tout ce qu’ils trouvent dans leur passage sur des rayons très larges, ils font énormément de dégâts en termes de «fausse pêche», selon le jargon des marins pêcheurs, en ramassant notamment d’autres espèces qu’ils ne sont pas autorisés à pêcher et dont ils se débarrassent en pleine mer, privant ainsi les autres navires autorisés à pêcher ces espèces de leurs produits. Ce qui constitue de la pure concurrence déloyale aux palangriers qui pêchent ces espèces, a-t-il expliqué.
En jetant en pleine mer ces poissons sans vie, ils créent des sortes de «cimetières», dont l’odeur de mort qui s’en dégage font fuir d’autres espèces (anchois, dorades, crevettes et divers poissons blancs), qui émigrent vers d’autres endroits plus sûrs, a ajouté pour sa part Larbi Mhidi, qui a fait savoir que la zone A s’étend d’Essaouira jusqu’à Saâidia, la zone B d’Agadir jusqu’à Laâyoune et la zone C de Boujdour jusqu’à Lagouira. Il a également cité dans ce cadre le cas des fermes d’engraissement du thon rouge par les «captures de la fausse pêche» réalisé par les RSW, qui sont en train de faire fuir de nombreuses espèces vers d’autres mers.
Abondant dans le même sens que les autres membres de la délégation, il a souligné que la situation dans la zone A et en particulier en Méditerranée est alarmante, tout en en attribuant la responsabilité au plan Halieutis mais également à d’autres facteurs humain et autres. De nombreux armateurs ont quitté les zones touchées où des milliers d’emplois ont été perdus, a-t-il précisé.
Revenant sur «la valorisation des produits» de la pêche, un des objectifs majeurs que le plan Halieutis s’est fixé, il a rappelé qu’au départ, le lancement de ce plan, il y a dix ans, avait suscité beaucoup d’espoirs chez les professionnels qui y avaient adhéré.
C’est le cas de l’application de la mesure concernant l’utilisation des caisses normalisées en plastique en remplacement de celles en bois à bord des bateaux de pêche, a-t-il dit, soulignant que l’Office national des pêches (ONP), qui a été chargé de gérer ce dossier a échoué en long et en large sur ce plan.
Ce qui a impacté directement la valorisation du produit et sa commercialisation, étant donné que l’ONP, censé rechercher de nouveaux marchés extérieurs et encourager la consommation interne, a également échoué dans sa mission, en limitant son action à la vente des prises débarquées et à la collecte des taxes dues.
Pire encore, la gestion de ce chantier de valorisation a été menée par l’ONP, l’Opérateur global dans les ports, de manière anarchique.
Après avoir échoué dans cette mission de gestion des ports, l’ONP (opérateur global) a été convaincu de la nécessité de restituer la gestion de ces infrastructures à l’Agence nationale des ports (ANP), tout en acceptant de lui verser une indemnisation forfaire pour les dégâts subis dans les ports. Fixée au départ à 30 millions de Dirhams, cette indemnité a été rabaissée en 2019 à quelque 10 millions de Dirhams, après maintes tractations entre les deux établissements publics.
Evoquant l’état de dégradation des pêcheries dans la zone entre Tanger et Saâdia, Larbi Mhidi en a attribué la responsabilité à différents facteurs dont l’utilisation des mines et autres moyens interdits de pêche, la dragage des sables des fonds marins et la prolifération du «Négro», comme l’appellent les marins pêcheurs locaux, ce dauphin noir fort intelligent qui attaque et détruit les filets de pêche, une fois bien remplis de poisson, après un ou deux jours de labeur et de pêche.
C’est ce qui avait suscité le mécontentement des marins pêcheurs, dont un certain nombre a été «indemnisé» à Al Hoceima pour les destructions causées par ce «Négro», dont la protection internationale est assurée par une Association internationale au sein de laquelle le Maroc occupe le poste de vice-président. On leur avait promis aussi de les équiper en filets plus résistants que le «Négro» ne pourrait pas percer et détruire.
Quant au dragage des sables des fonds marins, a indiqué Larbi Mhidi, il détruit le milieu marin de reproduction de certaines espèces, qui ont disparu ou en voie de distinction en particulier dans la zone entre Tanger et Casablanca.
Il a également évoqué le problème du trafic des civelles, ces alevins de l’anguille très prisées pour leurs prétendues vertus médicinales, et qui menacent l’espace et sa survie dans toutes les rivières où elle se reproduit notamment dans les eaux du Bouregreg, Sebou et ailleurs, précisant que ce trafic et cette anarchie ne profitent en fait qu’aux gros producteurs, connus de tous et opérant en vertu de licences qui leur sont accordées par l’Administration.
Après avoir évoqué toute une série d’autres problèmes (amendes excessives infligées aux armateurs, marginalisation des chambres, ententes illicites entre les mareyeurs, etc…), il a souligné que les professionnels réclament entre autres la révision d’un certain nombre de lois (lois 15-12, 14-08, 15-02) et demandent le retrait pur et simple du projet de texte sur la police portuaire.
M’Barek Tafsi
Halieutis est une stratégie intégrée, ambitieuse et globale. Elaborée conformément aux orientations stratégiques de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, elle vise la mise à niveau et la modernisation des différents segments du secteur de la pêche ainsi que l’amélioration de sa compétitivité et de sa performance.