Sionisme, antisionisme et antisémitisme
Mokhtar Homman
Après avoir présenté la situation au niveau mondial, et dans quel cadre l’action du sionisme se développe et accentue son oppression, nous allons examinons le développement du conflit au niveau régional, englobant le monde arabo-musulman et centré sur la Palestine.
La lutte palestinienne pour la sauvegarde de son territoire remonte aux premières vagues d’immigration sioniste, mais surtout à partir des années 1930 sous mandat britannique, marquée par la révolte de 1936/39.
Cette lutte va s’autonomiser. Pendant longtemps différents pays arabes contrôlaient des factions de la résistance palestinienne en fonction de leurs propres intérêts pour certains, au nom du panarabisme pour d’autres. Ce qui mena à des impasses pour la libération du peuple palestinien.
Le nationalisme palestinien prit son essor autonome avec la fondation du Fatah (1959), du FPLP (1967) et du FDLP (1969), qui vont mener la lutte politique et armée contre l’occupant sioniste. Ces organisations et d’autres vont unifier leur lutte au sein de l’Organisation de la Libération de la Palestine (OLP).
L’OLP, fondée en 1964 à Jérusalem, est composée du Fatah, du FPLP, du FDLP, du Parti du Peuple Palestinien, ancien parti communiste palestinien, et d’autres organisations. Elle revendique un État démocratique unitaire pour tous ses habitants de toutes confessions en Palestine du Jourdain à la mer.
Suivant les résolutions du Sommet de Fès en 1982, au cours de la 19ème session du Conseil National Palestinien en novembre 1988 l’OLP va proclamer l’indépendance de l’État de Palestine et adopter la reconnaissance de la solution à deux États sur la base de la résolution 242 de l’ONU (1), ce qui définit les frontières et la reconnaissance implicite d’Israël. Mais Israël rejettera cette proposition de règlement du conflit.
Les Intifadas et les pseudos accords de paix
Les soulèvements de Palestiniens dans toute la Palestine, connue sous le nom d’Intifadas, vont entraîner des accords entre l’OLP et Israël.

Face à face entre Palestiniens et soldats israéliens dans la bande de Gaza, le 21 décembre 1987 (source : Wikipédia).
L’Intifada en 1987/93 va pousser aux Accords d’Oslo I (13 septembre 1993) et II (28 septembre 1995) de reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP, finalement sous les auspices des États-Unis. Donc dans un rapport de forces défavorable à la cause palestinienne, ce que traduisent les dispositions techniques des Accords où le déséquilibre de droits Israël/OLP fait jeu égal avec leur complexité irréalisable.
Le sionisme n’aura de cesse de vider ces accords de toute perspective de construction d’un État palestinien viable en s’appuyant sur leur déséquilibre structurel où le peuple palestinien n’est pas reconnu à égalité de droits mais comme une population à assujettir aux intérêts sécuritaires israéliens. Sans jamais cesser de poursuivre l’accroissement des colonies, considérées comme crime de guerre par l’ONU (2).
Les Accords d’Oslo ont au contraire verni les dirigeants sionistes d’une auréole de « pacifistes » leur permettant d’un côté de poursuivre les objectifs sionistes et de culpabiliser les Palestiniens de tout retard dans le « processus de paix » dont la pérennité sans solution était devenue un axe stratégique du sionisme.
Son aile extrémiste n’hésitera pas à provoquer l’assassinat d’Itzhak Rabin (3) le 4 Novembre 1995, un mois après Oslo II, pour ouvrir la voie à son accession au pouvoir, courant qui domine la politique israélienne depuis.
C’est ainsi que les négociations de Camp David II en 2000 ne pouvaient qu’échouer, la « généreuse offre de paix » israélienne reflétant le rapport de forces sur le terrain, loin des résolutions de l’ONU, dissolvant la revendication nationale palestinienne. Israël proposait de garder Jérusalem-Est, les colonies et la vallée du Jourdain, faisant de l’État de Palestine un archipel de bantoustans, et rejetait le retour des réfugiés. Généreuse ? Les médias occidentaux matraqueront cet « argument » sioniste pour accuser l’OLP de refuser la « paix ». Ce qui facilitera l’arrivée au pouvoir de Netanyahou dont la thèse est que les Palestiniens ne veulent pas la paix et que la seule solution est leur expulsion.

Affrontements entre Palestiniens et militaires israéliens à Ayosh près de Ramallah, en 2000 (source : Wikipédia).
Une nouvelle Intifada a lieu dans les années 2000/05. La victoire Hamas (soutenu par Israël à son origine pour contrer l’Autorité Palestinienne) aux élections palestiniennes de 2006, non reconnue par Israël et l’Occident, va faire affronter le Fatah, poussé par les pays occidentaux, et le Hamas dans une guerre fratricide qui sera la principale faille et faiblesse de la lutte du peuple palestinien : le manque d’unité, suivie par la déliquescence de l’Autorité Palestinienne, notamment après la mort suspecte de Yasser Arafat en 2004.
Avant le génocide à Gaza, le peuple palestinien a subi plusieurs opérations militaires majeures israéliennes que nous détaillerons dans un prochain article. La résistance des Palestiniens dans les territoires occupés était la sœur de celle des Palestiniens citoyens d’Israël.
La lutte des Palestiniens citoyens d’Israël
Malgré l’expulsion massive des Palestiniens en 1947/49, une partie est restée vivre en Israël. Aujourd’hui la population palestinienne représente 20% environ de la population totale, soit 2 millions de personnes. Leur part n’a cessé de croître depuis 1948.
Jusqu’en 1966 ces Palestiniens vivaient sous un régime militaire. Depuis la cessation de ce régime leur statut, officiellement égal comporte néanmoins un certain nombre de discriminations de facto comme par exemple l’application des droits sociaux, les permis de construire pratiquement impossibles et la répression politique.
Quelques députés palestiniens sur 120 ont siégé ou siègent à la Knesset alors que les Palestiniens représentent 20% de la population d’Israël. Au départ ils étaient majoritairement élus sous le drapeau du parti communiste israélien, parfois dans des partis sionistes. L’intifada de 1987 suscita une solidarité croissante des Palestiniens en Israël avec leurs frères dans les territoires occupés. Ces manifestations de solidarité provoquèrent des répressions et accru leur statut de citoyens de deuxième catégorie. Un des moments forts fut la défense contre la profanation de l’esplanade des mosquées et de la Mosquée Al-Aqsa, notamment lors de de l’irruption d’Ariel Sharon le 29 septembre 2000. Cette provocation, qui causa la mort de sept Palestiniens, déclencha la deuxième Intifada regroupant les Palestiniens d’Israël, de Jérusalem et des autres territoires occupés. Ainsi s’est reconstruite l’unité du peuple palestinien de part et d’autre de la ligne verte.
Pendant le génocide de Gaza, les Palestiniens israéliens ont multiplié les actes de solidarité et de soutien avec les Gazaouis, mais la répression à leur égard s’est accentuée, travailleurs, étudiants subissant des licenciements et expulsions des Universités. Les députés arabes et juifs antisionistes ont également manifesté au sein de la Knesset leur dénonciation des crimes israéliens. Ils sont menacés de destitution de leur mandat de député.
Les victoires de la résistance palestinienne
Le peuple palestinien voyait difficilement la victoire dans un avenir proche. Le monde arabe affichait sa faiblesse. Netanyahou paradait à l’ONU en Septembre 2023 sur la réussite définitive du sionisme et annonçait un nouvel Proche-Orient où Israël avait absorbé toute la Palestine.
Dans ce contexte l’opération « Déluge d’Al Aqsa » (4) de la branche militaire du Hamas et d’autres organisations de la résistance palestinienne le 7 Octobre 2023, a remis la Question Palestinienne au centre du jeu, de stopper, pour le moins provisoirement, la reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite. Celle-ci était considérée comme l’objectif majeur des Accords d’Abraham en vue de la « normalisation » de l’occupation sioniste et la liquidation de la Question palestinienne, tel que présenté par Israël lors de l’Assemblée Générale de l’ONU en septembre 2023, quelques semaines donc avant le 7 Octobre.
La résistance du peuple palestinien a mobilisé les peuples arabes et forcer leurs dirigeants à des postures fermes contre le sionisme. C’est le cas notamment de l’Arabie Saoudite qui n’a pas cédé aux manœuvres de séduction et aux pressions pour établir des liens avec Israël.
De même aucun pays arabe, notamment la Jordanie et l’Égypte n’a accepté de transfert de populations de Gaza malgré les pressions et les pseudos appels humanitaires de ceux qui pourvoyaient aux massacres.
Cependant le soutien des États arabes et musulmans s’est limité aux volets humanitaire et diplomatique. Aucune mesure de force de type économique n’est venue épauler les positions de principe.
Deux exceptions notables toutefois dans le soutien arabo-musulman au peuple palestinien : les Houthis yéménites et le Hezbollah libanais, soutenus par l’Iran. Tous deux se sont engagés militairement contre Israël, infligeant des pertes sensibles à l’armée sioniste. L’Iran a lui aussi montré sa force en contrattaquant les provocations et meurtres sionistes, battant en brèche la supériorité militaire israélienne.
Les victoires diplomatiques à l’ONU
Les crimes de guerre commis contre les populations palestiniennes, ont provoqué sur le terrain diplomatique l’isolement croissant d’Israël et des États-Unis.
L’AG de l’ONU a adopté une résolution à l’écrasante majorité le 18 septembre dernier qui exige « d’Israël de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé au plus tard dans 12 mois ». 124 pays ont voté pour (dont en Europe : France, Espagne, Belgique, Irlande et Norvège), 43 se sont abstenus, en majorité les pays occidentaux (dont Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Italie, Suède et Australie). Seuls 14 États ont voté contre : Argentine, États-Unis, Fidji, Hongrie, Israël, Malawi, Micronésie, Nauru, Palaos, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Paraguay, Tchéquie, Tonga, Tuvalu.
Le 15 novembre 2024 l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution affirmant le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, à l’indépendance et à la liberté de l’occupation israélienne, en faisant référence à l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice, qui a déclaré l’occupation israélienne illégale et a appelé à sa cessation immédiate. 170 pays ont voté en faveur de la résolution, dont le Canada, l’Australie, tous les États membres de l’UE et la majorité des pays d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Afrique. Seuls six pays ont voté contre la résolution : Israël, les États-Unis, l’Argentine, le Paraguay, la Micronésie et Nauru.
Le 20 Novembre 2024 au Conseil de Sécurité de l’ONU, le veto habituel des États-Unis contre une résolution exigeant le cessez-le-feu à Gaza a fait face au vote favorable des 14 autres membres, y compris le Royaume-Uni et la France.
Le peuple palestinien a obtenu la reconnaissance de la Palestine comme État par l’Espagne, l’Irlande et la Norvège. Les résolutions de la Cour Internationale de Justice et les mandats d’arrêt contre des dirigeants sionistes par la Cour Pénale Internationale constituent deux victoires majeures qui seront le fondement de beaucoup d’autres à venir malgré les manœuvres dilatoires occidentales.
Le soutien de l’opinion publique
Enfin l’opinion publique mondiale a basculé massivement en faveur de la cause palestinienne y compris dans les pays occidentaux.

Manisfestation pour le cessez-le-feu à Gaza, Washington DC, 13 janvier 2024 (source : anadoluimages).
Enfin la résistance palestinienne a mis à nu la véritable nature du sionisme aux yeux du monde entier, ce qui constitue une victoire idéologique et stratégique considérable. Autre victoire stratégique : le monde connaît la vraie face des dirigeants de certains pays occidentaux affublés d’une démocratie et d’une défense des droits humains à géométrie variable.
Le monde a majoritairement basculé pour longtemps en faveur de la cause palestinienne. Seuls certains dirigeants des pays occidentaux, dans le plus grand déshonneur en appuyant le génocide, contre l’avis majoritaire de leurs opinions publiques, continuent d’appuyer Israël.
Ce sont des victoires stratégiques.
L’imposition du cessez-le-feu le 19 janvier 2025 aux conditions de la résistance palestinienne est une victoire majeure contre le colonialisme sioniste, même si sa durabilité est comme prévu remise en cause par les dirigeants sionistes.
L’héroïsme du peuple palestinien
Plus de trois quarts de siècle d’oppression, de nettoyage ethnique, de crimes de guerre, de pillage, les privations de leurs besoins vitaux, la confiscation de leurs ressources, le génocide de Gaza n’ont pas pu briser le peuple palestinien. Sa résilience n’a d’égal que l’héroïsme et le courage avec il fait face à l’armée et aux colons sionistes.
Il faut admirer la résilience du peuple palestinien pendant un siècle contre l’usurpation de leurs terres et leurs droits. C’est la force déterminante pour empêcher ou du moins freiner la réalisation des objectifs sionistes. Nous lui devons une solidarité totale.
C’est avec toute cette force qu’il va résister au pire génocide du siècle.
Mokhtar Homman, le 7 mars 2025
Demain : XXIV – Le génocide de Gaza : méthodes et complicités
Notes
1.acques Baud : Opération Déluge d’Al Aqsa, p. 36. Cette résolution a été votée à l’unanimité le 22 novembre 1967 à la suite de la guerre des Six jours et souligne l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre, exigeant donc d’Israël le retour aux frontières précédant cette guerre.
2. Les colonies israéliennes constituent un crime de guerre, selon le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme territoires palestiniens occupés depuis 1967 | ONU GENEVE.
3.Itzhak Rabin était un des dirigeants sionistes ayant mené le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948, et, en tant que ministre de la défense, avait ordonné de réprimer l’Intifada en 1987 en « brisant les os » de jeunes Palestiniens lançant des pierres, donc un sioniste pur et dur. Il a été un des rares dirigeants sionistes à avoir opté pour une résolution par la voie diplomatique du conflit, toujours au service du sionisme, fondée sur une version modernisée des bantoustans sud-africains, implicites dans les Accord d’Oslo. Mais ce n’était pas acceptable pour les extrémistes sionistes : il l’a payé de sa vie. La violence est la signature indélébile du sionisme, y compris à l’égard des Juifs, même parmi les serviteurs du sionisme.
4.Jacques Baud : op. cit., p. 211 et suivantes pour une description détaillée.
Bibliographie
Baud, Jacques : Opération Déluge d’Al Aqsa. La défaite du vainqueur. Éditions Max Milo, Paris, 2024.